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Retour en force de la Déjanire de Saint-Saëns

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Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Déjanire, tragédie lyrique en quatre actes sur un livret du compositeur d’après la tragédie de Louis Gallet. Avec Kate Aldrich, mezzo-soprano (Déjanire) ; Julien Dran, ténor (Hercule) ; Anaïs Constans, soprano (Iole) ; Jérôme Boutillier, baryton (Philoctète) ; Anna Dowsley, mezzo-soprano (Phénice). Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo (chef de chœur : Stefano Visconti). Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, direction : Kazuki Yamada. 2 CD Bru Zane. Enregistrés à l’Auditorium Rainier III de Monaco du 12 au 16 octobre 2022. Notice de présentation en français et anglais. Durée : 56:04 et 48:03

 

Belle réalisation d'un opéra de Saint-Saëns oublié. Distribution de choix, même si l'on aurait pu rêver d'une Déjanire au chant plus contrôlé.

Treizième et dernier opéra de Saint-Saëns, Déjanire fut créé en août 1911 au Théâtre de Monte-Carlo, près d'une quinzaine d'années après avoir été présenté sous forme de tragédie avec intermèdes musicaux au Théâtre des Arènes de Béziers. L'excellent livre-disque qui, comme toujours, accompagne les productions du label Bru Zane relate avec pertinence et précision la genèse et les vicissitudes de l'œuvre. Il pose également la question du courant esthétique dont relève l'ouvrage, en avant-garde du mouvement néo-classique qui allait marquer l'Europe des années 20, et parallèlement en plein décalage avec les préoccupations esthétiques des contemporains du compositeur. Si cette nouvelle découverte ne va pas redonner à nos scènes lyriques un chef d'œuvre absolu, on rendra grâce à la fondation du Palazzetto Bru Zane d'avoir œuvré pour présenter au grand public un ouvrage tout à fait intéressant et significatif, le 39e de la collection « Opéra français » présentée par le label. Parmi les réhabilitations des ouvrages de Saint-Saëns on compte déjà, dans l'ordre de leur parution, Les Barbares, Proserpine (Prix ICMA), Le Timbre d'argent (Clef d'Or ResMusica et Prix ICMA), La Princesse jaune et Phryné.

L'opéra Déjanire est directement inspiré des tragédies Les Trachiniennes de Sophocle et Hercule sur l'Oéta attribué à Sénèque. Habilement structuré et orchestré avec soin, l'ouvrage contient quelques superbes pages, et nul ne pourra contester la nécessité qu'il y avait à compléter au disque le catalogue d'un des compositeurs français les plus fascinants de sa génération. Le classicisme foncier de cet opéra plutôt atypique dans son sujet pourra se lire comme une nouvelle alternative au mouvement pro-wagnérien qui avait marqué tout le dernier quart de siècle de l'opéra français et qui, en 1911, se faisait encore fortement sentir.

On notera le petit clin d'œil historique dans le choix de faire appel pour cette résurrection au Chœur et à l'. Sous la baguette du jeune chef , la phalange monégasque joue avec clarté et transparence, sans pompiérisme, visiblement dans un souci de s'éloigner le plus possible de tout ce qui pourrait s'apparenter à un wagnérisme tardif. Très sollicité dans un opéra dont Haendel avait traité le sujet pour son oratorio Hercules, le chœur livre une prestation de tout premier plan, exprimant une large gamme d'affects allant de la terreur à la compassion sans pour autant négliger la fonction chorique de commentateur extérieur à l'action.

La distribution, d'un bon niveau général, aurait pu sans doute être améliorée si l'on avait fait appel aux grands noms du moment. On rêve de ce qu'auraient fait de cette partition une Karine Deshayes en Déjanire, un Roberto Alagna en Hercule ou une Marie-Nicole Lemieux en Phénice. On regrettera également la diction souvent pâteuse de certains personnages, notamment chez les dames. Parmi ces dernières, Anna Dowsley impose un mezzo-soprano riche et profond aux sonorités proches du contralto pour le rôle de Phénice, la confidente de Déjanire. Cette dernière, l'épouse bafouée d'Hercule, est interprétée par avec sa longue voix de mezzo à la limite du soprano falcon, tout à fait appropriée pour un rôle autrefois créé par la légendaire soprano Félia Litvinne. L'incarnation ne manque pas de tempérament, et l'on souhaiterait presque un chant plus contrôlé et plus mesuré pour les diverses imprécations de ce personnage constamment tourmenté. Quelques belles interventions, fort heureusement, se départent du mode vindicatif et permettent de faire entendre un legato de bonne école, notamment lors du duo du troisième acte. C'est sans doute à la soprano que l'on doit le portrait féminin le plus accompli, tant on succombe à la beauté lumineuse de ce chant, au crémeux du timbre et au raffinement de la musicalité. Chez les messieurs, on louera tout particulièrement la noblesse et le bronze du baryton de , très convaincant dans le rôle éminemment théâtral de Philoctète, à la fois ami et rival d'Hercule. Ce dernier est interprété par le ténor Julian Dran qui se montre convaincant dans un emploi héroïque dont il n'a pas les véritables moyens vocaux. La qualité de la diction, la souplesse de la ligne et la rigueur musicale dont il fait preuve à tout instant lui permettent en effet de proposer une incarnation très aboutie et parfaitement crédible du personnage d'Hercule, dont il sait traduire à la fois la vaillance physique et la fragilité psychologique que lui confèrent ses tourments amoureux. Bel enregistrement, donc, qui comble un vide discographique assez criant, même si l'interprète du rôle principal nous laisse quelque peu sur notre faim. Si seulement Régine Crespin, Jessye Norman, Grace Bumbry ou Shirley Verrett avaient bien voulu autrefois se pencher sur cette partition, elles y auraient trouvé un rôle parfaitement à leur mesure.

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Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Déjanire, tragédie lyrique en quatre actes sur un livret du compositeur d’après la tragédie de Louis Gallet. Avec Kate Aldrich, mezzo-soprano (Déjanire) ; Julien Dran, ténor (Hercule) ; Anaïs Constans, soprano (Iole) ; Jérôme Boutillier, baryton (Philoctète) ; Anna Dowsley, mezzo-soprano (Phénice). Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo (chef de chœur : Stefano Visconti). Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, direction : Kazuki Yamada. 2 CD Bru Zane. Enregistrés à l’Auditorium Rainier III de Monaco du 12 au 16 octobre 2022. Notice de présentation en français et anglais. Durée : 56:04 et 48:03

 
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