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Double évènement pour les trente ans de l’ensemble chambriste belge Oxalys

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Bruxelles. La Tricoterie. 1-V-2024. Oxalys festival. Charles Ives (1874-1954) : Largo, version de 1934, adaptée pour violon, clarinette et harpe. Gian Carlo Menotti (1911-2007) : cantilena e scherzo pour harpe et quatuor à cordes. John Adams (né en 1947) : Shaker loops, version pour septuor à cordes. Aaron Copland (1900-1990) : Appalachian spring, version originale pour treize instruments. Ensemble Oxalys

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L'ensemble belge à géométrie variable Oxalys fête son trentième anniversaire avec une double évènement : d'une part la parution d'un nouveau CD consacré au protéiforme répertoire américain, de l'autre l'organisation de son premier mini-festival, tenu en l'espace multiculturel très convivial de la Tricoterie à Bruxelles.   

Oxalys a vu le jour durant l'année académique 1993-94 au sein de la section néerlandophone du Conservatoire royal de Bruxelles (KBC) : au départ il s'agissait  donc d'un projet pédagogique réunissant neuf brillants étudiants de l'institution, mais cette rencontre, fruit à la fois de la volonté et du hasard, par le truchement d'un amour immodéré pour la musique de chambre, s'est rapidement mutée en une entreprise de longue haleine toujours bien vivace aujourd'hui. L'enthousiasme demeure intact après trente ans d'existence, comme en témoigne de très nombreux concerts, un agenda bien rempli pour les prochaines saisons, et une riche discographie souvent saluée par la presse musicale tant belge qu'internationale.

La géométrie variable de l'ensemble – sur base d'un double quintette, à cordes et à vents, auquel viennent s'ajouter à l'occasion une harpe, un piano ou d'autres instruments supplémentaires- permet d'envisager un répertoire destiné à de très diverses formations (du simple duo chambriste jusqu'à la petit quinzaine de musiciens comme ce soir) : Koenraad Hofman le coordinateur artistique de l'équipe, peut ainsi programmer des œuvres destinées à une multitude de formules, et envisager l'exécution de joyaux plus rares, voire des curiosités quasi inconnues du répertoire chambriste, de l'époque classique à nos jours. L'ensemble réserve aussi une place enviable au répertoire belge au concert comme au disque (Joseph Jongen, Georges Antoine… ). Le collectif affiche donc une spécificité certaine face aux ensembles concurrents anglais (les Nash) ou allemands (les Linos, par exemple).

Bien entendu,  comme dans toute expérience humaine, la composition du groupe de base a – légèrement – évolué au fil du temps mais peut aussi, en fonction des disponibilités de chaque membre ou de la nomenclature des œuvres, faire appel à quelques musiciens cooptés, souvent issus de plus jeunes générations : tels, ce soir, le talentueux altiste , ou la violoniste – élève de la violon-conducteur de l'ensemble – ou le très prometteur violoncelliste , ces deux derniers nés bien après la fondation de l'ensemble.

C'est la volonté de l'éclectisme et de la découverte qui prime : à la Tricoterie de Bruxelles, le deuxième concert est axé sur les quintettes pour flûte (Amy Beach, Eugène Walckiers) ou clarinette (Samuel Coleridge-Taylor) et cordes, alors que le troisième explore diverses distributions possibles du dixtuor de base, avec des œuvres mêlant vents et cordes signées  Jan Novak (balletti à 9), Egon Wellesz (l'octuor opus 67 écrit pour la même formation que celui de Schubert) ou Louis Spohr (le plus célèbre nonette opus 31).

C'est toutefois le concert augural, servant de présentation au nouvel enregistrement « américain » par Oxalys, qui a davantage retenu notre attention. Le programme s'en révèle  aussi réjouissant qu'éclectique – même si la courte suite Meeelaan pour basson et quatuor à cordes, œuvre du célèbre trompettiste et (surtout) jazzman ponctuant le disque, n'a pas été retenue pour la prestation concertante de ce soir. La soirée débute donc « autrement » par un court hommage à , figure tutélaire de l'émancipation musicale du Nouveau Monde, avec son court largo, librement atonal et confrontant diverses figures mélodiques à un accompagnement très vertical mais harmoniquement imprévisible. Cette page conçue pour violon et piano dès 1901 (!) a été réaménagée en 1934 en trio pour clarinette, violon – excellentes et – et clavier. Ce soir le remplacement de ce dernier par la harpe diaphane et sensible d' confère à cette brève mise en bouche une aura mystérieuse, lunaire et presque inquiétante dans son étrangeté.


La même harpiste soliste est rejointe par le quatuor à cordes (outre la violiste soliste déjà citée, d'autres piliers de l'ensemble Frédéric d'Ursel, Elisabeth Smalt, et le jeune et nouveau venu au violoncelle) pour la Canitlena et scherzo (1977), une des rares œuvres purement instrumentales de , Italien de souche, et longtemps Américain d'adoption, bien connu pour plusieurs de ses opéras à succès : une œuvre d'un romantisme sincère mais un rien trop convenu pour être totalement convaincante, sauvée par une interprétation impeccable, attentive tant aux détails des nuances qu'aux généreuses lignes mélodiques de la partition aménagée telle une scène d'opéra chambriste.

Après ces deux pièces « apéritives », et avant l'entracte, les Shaker Loops (1978) de sont donnés dans leur version originale « non modulaire » – donc ne nécessitant plus de chef – pour septuor à cordes ; l'œuvre se réfère – au delà du principe de la « boucle » (loop) à la fois à l'agitation (shake) presque brownienne des archets qu'aux danses traditionnelles très trépidantes de la communauté quasi sectaire des Shakers – d'où le double sens du titre ! Délibérément, la partition se situe dans le sillage des grandes fresques minimalistes de Terry Riley (In C) ou des première grandes réussites d'un Steve Reich (par exemple music for 18 musicians, de peu antérieure), mais Adams, en minimaliste « égaré » dans un monde polystyliste, offre une autre dynamique poétique d'ensemble par la confrontation de différentes temporalités musicales, bien individualisées au fil des quatre mouvements (les trois derniers enchaînés), par le développement de véritables mélodies de timbres (Hymning Slews) ou encore par l'irrépressible force rythmique de telluriques crescendi (Loops ans verses). Si l'œuvre est bien connue dans son adaptation pour grand ensemble de cordes, c'est toutefois dans sa version originale qu'elle prend toute sa saveur à la fois par cette mutualisation des risques  au gré des méandres répétitifs , par l'incisivité accrue des attaques ou par la différentiation plus subtile des masses sonores. Oxalys en donne une version sculpturale et athlétique – allant jusqu'à troquer ses hauts talons pour des chaussures plus sportives avant d'entamer – debout – cette grande demi-heure de musique. Forts d'un engagement physique de tous les instants doublé d'une fine analyse des nuances dynamiques  -notamment au cours de la coda du Final Shaking peu à peu mangée par le silence et la stagnation – nos musiciens donnent une version exemplaire de cette œuvre protéiforme, en en restituant toute l'originale musicalité , sise bien au-delà du simple exercice de style, de la pure démonstration virtuose voire de certains formalismes répétitifs : ils en restituent toute l'acuité du geste musical et le dramatisme latent.

Après l'entracte, nous retrouvons un des autres plats de résistance du récent CD (Passacaille), avec la version originale et intégrale pour treize instruments de l'Appalachian Spring d'. De nouveau, et même si c'est l'édition symphonique – souvent abrégée – qui est plus connue, Oxalys est retourné à la version originale et intégrale du ballet commandité par Elisabeth Sprague Coolidge et chorégraphié par Martha Graham en 1944. Cette version pour neuf cordes trois vents et piano veut narrer la journée de mariage d'un jeune couple dans l'Amérique des pionniers blancs. Le lien avec la bien postérieure partition d'Adams en est évident par la référence aux Shakers dances notamment lors du pénultième doppio movimento, sorte de thème et variation sur un hymne religieux bien connu de ladite communauté.

On sait par ailleurs que le contexte même de genèse de l'œuvre est très marqué par les changements incertains de l'époque et ce glissement progressif de l'isolationnisme du new-deal vers l'économie américaine de guerre, dans le sombre contexte géopolitique d'alors, avec cette réminiscence encore très prégnante de la guerre civile de Sécession.
Oxalys restitue toute la fraicheur native de la partition et de son argument chorégraphique par à la fois une grande alacrité timbrique et un sens inné du rebond rythmique, tout en  flattant le naturel mélodique – dans la veine du réalisme social – de la partition, sans en oublier çà et là les quelques zones plus ombrageuses dans ce contexte historique tendu que nous avons évoqué. L'ensemble est étoffé de quelques renforts – dont l'excellente pianiste Caridad Galinda Rueda- mais toujours sans réel chef à sa tête, donne par une impeccable discipline tant individuelle que collective une véritable leçon de style et de maîtrise agogique au fil de cette partition immédiatement séduisante. On retrouve à point nommé  cette même vivacité au fil de l'enregistrement discographique à paraître, présenté en début de concert, et vendu à l'entracte en avant-première.

Au vu de l'enthousiasme justifié du public, les musiciens nous gratifient d'un court bis : la section finale Hoe-down du ballet Rodeo -quasi contemporain – du même donné dans un arrangement à quatorze – vu le retour de la harpiste ! – ,  et livré avec la même spontanéité mélodique et une idéale verve rythmique.

Crédits photographiques : © ResMusica

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