Jean Baptiste Monnot à Saint-Ouen de Rouen

L'Abbatiale Saint-Ouen de Rouen est notamment célèbre pour son grand-orgue Aristide Cavaillé-Coll, l'un de ses plus grands chefs-d'œuvre. Jean-Baptiste Monnot, organiste titulaire joue ici cet instrument prestigieux et complète son récital avec l'orgue de chœur, ainsi qu'avec « l'Orgue du voyage », un instrument modulaire et futuriste, conçu par ses soins.

Ce qui frappe d'entrée avec ce récital, c'est la manière dont sont captés trois orgues dans la vaste acoustique de l'Abbatiale Saint-Ouen de Rouen. Le grand orgue est sans doute l'un des orgues symphoniques parmi les plus enregistrés, on en connait de très diverses approches. Ici la prise de son de Jake Purches en haute résolution et à l'aide de neuf canaux rend la perception de cet orgue incroyablement précise et immersive, sur le support SACD multi-canaux. Chaque plan sonore est parfaitement localisable, rendant efficace la présence des jeux en chamades et la rondeur des basses jusqu'à la contrebombarde de 32 pieds. L'émotion est garantie dès les premiers accords de la Symphonie n° 6 de Charles-Marie Widor. L'orgue à pleine puissance révèle toutes ses qualités orchestrales telles qu'Aristide Cavaillé-Coll savait les sublimer.

L'Abbatiale est actuellement en restauration, l'orgue est protégé mais devrait bénéficier ensuite d'une « remise à niveau », bien qu'ici la justesse et la superbe des sons soit encore très remarquable. Cet orgue n'a jamais vraiment été restauré depuis sa construction en 1890, ce qui en fait toute son authenticité et toute sa valeur. Le jeu conquérant de Jean-Baptiste Monnot fait merveille dans l'Allegro initial de la symphonie. En contraste, les chorals de Bach et de Brahms offrent d'autres climats plus intimes qui permettent d'apprécier quelques timbres solistes chers au facteur d'orgue. Par la suite l'organiste vient jouer l'orgue de chœur, peu connu, construit en 1855 par Pierre Alexandre Ducroquet. Le choral de Brahms « dit de la rose » y sonne magnifiquement tel un ensemble de cordes. La première partie du SACD nous fait donc entendre les deux instruments présents depuis le XIXᵉ siècle. César Franck est également présent ici au travers de sa célèbre Pièce Héroïque.

La suite du disque est hautement passionnante, pour d'autres raisons. Jean-Baptiste Monnot a conçu un nouvel orgue, installé pour cet enregistrement dans la nef de Saint-Ouen. C'est un instrument modulaire, sans buffet et constitué de plusieurs parties séparées sur lesquelles sont placées les tuyaux. Il porte bien son nom : « Orgue du voyage » et peut être facilement transporté dans un petit camion. Le concept même de cet instrument permet de s'adapter acoustiquement en fonction des besoins musicaux. Par le passé, Jean Guillou avait décrit un orgue « à géométrie variable » dont il rêvait. Son disciple Jean-Baptiste Monnot a suivi ses traces. D'autres réalisations ont vu le jour depuis dont l'orgue Gulliver de Franck-Henri Beaupérin et un autre réalisé par Yves Rechteiner.

La musique de Bach sur un tel instrument est incroyablement belle, portée par une harmonie des tuyaux réalisée de mains de maitre. Le discours est limpide grâce à la clarté des timbres et au jeu de l'interprète. L'absence de buffet qui habituellement sert de caisse de résonance est ici largement compensée par l'acoustique généreuse de l'Abbatiale Saint-Ouen où l'orgue du voyage a été placé et capté. On retrouve l'ambiance des enregistrements des orgues néo-baroques allemands des années 60 et 70 qui ont fait les délices de beaucoup à l'époque. Une nouvelle fois, la prise de son met en valeur au plus haut point les qualités d'un tel instrument, celles d'un orgue à tuyaux à part entière.

Le défi de ce disque, c'est de rapprocher des instruments qui de prime abord s'opposent et qui au final offrent un programme cohérent et agréable d'écoute. On pourra programmer à loisir sur son lecteur l'ordre les plages pour augmenter encore les contrastes et les passages d'un instrument à l'autre. Jake Purches, le producteur et l'ingénieur du son de cet album est aussi organiste et compositeur. Élève de Jean-Paul Imbert, on écoutera avec beaucoup d'intérêt sa pièce Prélude Passacaille et Lament op. 6, celle d'un grand passionné et jouée sur le grand Cavaillé-Coll. Pour vivre des émotions fortes d'orgue au casque ou sur une chaine de qualité ces rumeurs organistiques à Saint-Ouen de Rouen, ce SACD (également lisible sur un lecteur CD habituel) est idéal.