Christian Gerhaher et Gerold Huber reçoivent la médaille de l’Académie Hugo Wolf à Stuttgart
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Stuttgart. Opernhaus. 21-IV-2024. Hugo Wolf (1860-1903) : Lieder sur des poèmes d’Eduard Mörike. Christian Gerhaher, baryton ; Gerold Huber, piano.
Et c'est avec des Lieder de Wolf qu'ils fêtent cette récompense destinées aux meilleurs interprètes de lied de notre temps.
La matinée commence pourtant par une annonce peu plaisante : la météo hostile a mis à mal la voix du chanteur, qui n'a pourtant pas voulu reporter une seconde fois la cérémonie. Il faudrait en effet être sourd pour ne pas entendre la différence avec ce qu'il avait pu proposer dans ses récitals Wolf à Munich en 2022 : les premiers lieder du programme en particulier laissent voir la trame de la voix, mais l'art de diseur de Gerhaher n'est pas concerné par cet amincissement de la matière vocale. Gerold Huber, lui, est en pleine forme, lui qui avait dû céder sa place pour les concerts de 2022, et on ne se prive pas à l'occasion de laisser l'attention se concentrer un peu plus que d'habitude sur la partie instrumentale – ce, qui chez Wolf, mérite bien le détour. Les vagues délicates du piano dans Um Mitternacht, avec ses inépuisables nuances de dynamique, ses appuis imperceptibles au service de la voix, c'est du grand art, et une contribution décisive à l'émotion qui se dégage des Lieder choisis pour cette célébration.
Le choix de Wolf est justifié par le nom même de la société qui décerne la médaille ; le choix des poèmes de Mörike, lui, tombe bien pour Stuttgart, puisque c'est en quelque sorte le poète national de la Souabe, que Wolf s'enorgueillissait d'avoir découvert avant les Souabes eux-mêmes. Les quatorze Lieder choisis pour cette matinée, sans oublier un flamboyant Feuerreiter en bis, couvrent toute la palette créative de Wolf et Mörike, la méditation printanière (Im Frühling), le récit malicieux d'une rencontre amoureuse (Begegnung), l'intensité amoureuse des deux Peregrina : peu de spectaculaire, mais une intériorité à fleur de peau que l'art de Wolf, résolument personnel et moderne, rend présente et unique. Il y a une immédiate parenté d'âme entre Wolf et ses interprètes du jour, dont on comprend difficilement qu'ils aient attendu si longtemps pour s'en faire les champions. Au disque, seul un Italienisches Liederbuch il y a plus de dix ans en est le témoin : il faut espérer que le reste de ce corpus unique ne tardera plus longtemps.
Ce n'est pas une, mais deux médailles qui sont décernées ce matin, ce qui n'est que justice tant l'un ne va pas sans l'autre : la fidélité des grands chanteurs à leurs accompagnateurs est une chose commune, mais ce n'est pas de cela dont il s'agit : 35 ans de fidélité entre partenaires égaux, dans l'esprit de collaboration qui est celui de la musique de chambre et non dans celui des stars du chant : les rencontres au sommet peuvent être profitables, à la façon de celle qui réunit, entre autres chez Wolf, Dietrich Fischer-Dieskau et Sviatoslav Richter, mais le travail de longue haleine livre des fruits incomparables.
Entre les deux parties de ce court programme (une quarantaine de minutes), place aux discours, et notamment à la soprano Christiane Iven, longtemps membre de la troupe à Stuttgart, chargée de prononcer l'éloge des deux récipiendaires. L'art du discours de circonstance est un art aussi souvent pratiqué que rarement maîtrisé, ici la forme est exemplaire, mêlant maîtrise constante du discours, spontanéité et chaleur. Le fond, lui, est tout aussi marquant : pas de temps perdu par des platitudes confraternelles, mais la parole d'une musicienne qui saisit avec sensibilité et profondeur analytique ce qui fait leur art. À travers eux, c'est un éloge du Lied qu'elle prononce : dans un monde où le divertissement est tout, le lied, particulièrement dans l'interprétation des deux musiciens, est une chose sérieuse, où il s'agit de vivre le moment grâce à la force de la poésie et de la musique plutôt que de s'en détourner. Le Lied n'a jamais eu vocation à faire vibrer les masses, et sa haute ambition artistique, musicale et littéraire à la fois, n'a pas de quoi séduire les décideurs en quête de rendement immédiat : heureusement, aujourd'hui comme hier, il se trouve des artistes et des mélomanes pour faire prospérer un genre précieux entre tous.
Crédits photographiques : © Reiner Pfisterer
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Stuttgart. Opernhaus. 21-IV-2024. Hugo Wolf (1860-1903) : Lieder sur des poèmes d’Eduard Mörike. Christian Gerhaher, baryton ; Gerold Huber, piano.