L’art d’Igor Stravinsky avec James Ehnes et le BBC Philharmonic dirigés par Andrew Davis

Ce travail remarquable d'Andrew Davis, décédé ce 20 avril à l'âge de quatre-vingt ans, consacré à la musique pour cordes d'Igor Stravinsky nous convie à profiter de trois aspects distincts de son parcours esthétique.

Ce programme enregistré en février 2023, comprend le Concerto pour violon et orchestre créé en 1931, où Stravinsky propose une étude ambitieuse et multiforme du jeu de l'instrument, le ballet en deux tableaux, Apollon musagète (1927-1927) aux accents mélodiques présents, au déroulé apaisé et à l'expression néoclassique plutôt sage et enfin deux Suites pour petit orchestre (1921 et 1925), arrangements de pièces pour piano à quatre mains, se présentant sous forme de huit miniatures où le compositeur prend plaisir à combiner habilement airs populaires et danses traditionnelles, sans convoquer le meilleur de son inspiration. On trouvera aussi une version symphonique d'une pièce pour formation jazz Scherzo à la russe composée en 1944.

Les protagonistes de ce disque très intéressant se montrent en tout point au rendez-vous. Le violoniste canadien James Ehnes est ainsi parfaitement dans son élément dans le Concerto pour violon en ré majeur que Stravinsky composa avec l'aide précieuse du fameux soliste américain Samuel Dushkin qui en assura la création en octobre 1931 à la Radio de Berlin sous la baguette du compositeur. Ehnes n'exagère ni n'amoindrit les souhaits modernistes de Stravinsky. Il surmonte les difficultés techniques innombrables de ce langage spécifique singulier, qualifié de néoclassique par certains, voire de baroque, aidé par une remarquable interprétation du BBC Philharmonic stimulé par une lecture irréprochable et particulièrement inspirée du chef britannique Andrew Davis. Tous, avec une grande complicité, soulignent les nuances délicates et les éclats sonores toniques par leur jeu et leur implication dévoués aux souhaits précis du compositeur. Une lecture superlative de cette musique riche en événements et en inventivité.

Pour certains auditeurs, moins familiers avec les changements de style du Stravinsky, la musique du ballet Apollon musagète provoquera probablement un étonnement légitime en découvrant une musique pour cordes seules positionnée entre classicisme, euphonie quasi romantique et flux musical sans cesse sous contrôle. Situation dont la froideur apparente de l'œuvre ne masque pas totalement la ductilité des lignes et les inflexions expressives minimales de plusieurs passages. La lecture d'Andrew Davis et des cordes de son orchestre, homogène et bien en place, élève cette musique de ballet (en dix sections) au summum de ses qualités néobaroques qui ne visent pas franchement l'originalité mais s'imposent quant à l'atmosphère longuement travaillée et délicatement épurée, sans jamais dévier du positionnement de l'auteur. Une lecture irréprochable !

Deux Suites (1921 et 1925) résultent de l'arrangement pour petit orchestre de Pièces faciles pour piano à 4 mains écrites quelques années auparavant. Stravinsky métamorphose des airs traditionnels (Andante, Marche, Valse, Polka, Galop) ou étrangers (Napolitana, Espaňola, Balalaïka) jusqu'à les rendre parfois méconnaissables. Le jeu délicat des instrumentistes et l'implication enthousiaste d'Andrew Davis conduisent à écouter ces miniatures, sans prétention majeure, avec une oreille flattée par la variété et l'ingéniosité de l'écriture stravinskienne.