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Giulio Cesare de Haendel à Francfort : place aux jeunes

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Francfort. Opernhaus. 11-IV-2024. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Giulio Cesare in Egitto, opéra en trois actes sur un livret de Giacomo Francesco Bussani adapté par Nicola Francesco Haym. Mise en scène : Nadja Loschky ; décors : Etienne Pluss ; costumes : Irina Spreckelmeyer. Avec Lawrence Zazzo (Giulio Cesare), Pretty Yende (Cleopatra), Cláudia Ribas (Cornelia), Bianca Andrew (Sesto), Nils Wanderer (Tolomeo), Božidar Smiljanić (Achilla), Jarrett Porter (Curio), Iurii Iushkevich (Nireno) ; Frankfurter Opern- und Museumsorchester ; direction : Simone Di Felice.

Avec une distribution ambitieuse dont et , une mise en scène un peu trop classique ne rend pas pleinement justice aux possibilités théâtrales de l'œuvre.

Deux grands noms dominent l'affiche, mais ce sont les plus jeunes membres de la distribution qui marquent ici : qui chante Cornelia est membre du studio lyrique de l'Opéra de Francfort, qui joue à merveille son jeune fils Sesto, est sortie du studio en 2020 pour passer dans la troupe de la maison. Toutes deux obtiennent les ovations les plus fournies, et c'est bien mérité : n'a pas la voix sépulcrale de certaines grandes titulaires du rôle, sa Cornelia n'en est que plus humaine, sans chercher le grand style de la tragédie, avec un timbre capable de variété au profit d'une véritable interprétation de chaque phrase de son rôle. partage beaucoup de ces qualités et son Sesto très vivant, très juvénile, s'appuie sur une musicalité délicate : l'incarnation est marquante aussi bien du point de vue musical que scénique.

, auréolé d'un deuxième prix au concours Operalia 2022, ne confirme pas en Tolomeo les espoirs qu'on pouvait placer en lui. Bien sûr, la mise en scène tire le méchant de l'histoire vers le grotesque, de manière pertinente à défaut d'être particulièrement délicate : hélas, le chanteur en vient à tordre sa partition en mettant à mal un timbre qui ne semble pas d'une richesse particulière, même aux meilleurs moments. On lui préfèrera même le titulaire du court rôle de Nireno, particulièrement mis en valeur par la mise en scène : Iurii Iushkevich a au contraire un timbre très lumineux, enfantin presque, et il joue avec beaucoup d'ardeur le personnage de factotum que dessine la mise en scène.

Les deux protagonistes, certes, affrontent quant à eux sans doute les rôles les plus exigeants de toute la production haendelienne. a d'éminentes qualités instrumentales, une souplesse et une lumière dans la voix qui lui permettent d'affronter toutes les difficultés du rôle. Ce qui lui manque cependant, c'est la vie théâtrale, y compris le sens du texte (on comprend souvent difficilement ce qu'elle chante) : on sent trop peu la diversité des émotions par lesquelles passe Cléopâtre, et si on est tout de même ému par son Se pietà, c'est que la perfection instrumentale et la sobriété expressive y suffisent.

Le problème de est bien différent. Il a déjà souvent chanté ce rôle, et son timbre onctueux soutenu par une musicalité sans faille lui a permis de triompher, entre autres, dans la production parisienne de Pelly. Le début de la soirée est difficile pour lui : les vocalises de ses deux airs d'entrée ne sont franchement pas en place, et malgré l'effort d'expressivité le timbre apparaît dangereusement aminci. Heureusement la situation s'améliore rapidement ensuite, mais la perte de matière sonore reste audible, et avouons que la direction d'acteur de ne l'aide pas à aller au bout de son personnage.

Les réussites et les limites de la distribution trouvent leur équivalent dans la fosse, où l'orchestre habituel de l'Opéra de Francfort est dirigé par un de ses chefs titulaires, : seuls les membres du continuo sont donc des spécialistes, ce qui n'est, en soi, pas si grave – les orchestres traditionnels ont fini par apprendre le style de la musique baroque. Mais si le mouvement général ne laisse pas de temps mort, on aimerait un peu plus d'approfondissement des couleurs pour éviter une monotonie qui finit par s'installer.

La mise en scène de Loschky a au moins cet avantage qu'elle ne détourne pas de la musique et de l'histoire à la manière des incessantes idées parasites de la mise en scène de Laurent Pelly. Les hauts murs gris qui donnent à la scène sa profondeur réduite ne sont certes pas immobiles, et la metteuse en scène ne se prive pas de donner un tour actuel par le jeu des identités de genre, mais on ne voit pas très souvent des mises en scène aussi classiques de nos jours. Il y a bien des signes épars qui indiquent le projet d'une interprétation scénique de l'œuvre, mais il manque une construction d'ensemble et une ambition formelle pour la faire vivre.

La mise en avant du personnage de Pompée, le décapité du début de l'opéra, est ainsi particulièrement bienvenue, les débordements libertins du monde de Ptolémée tout autant, mais on finit par se lasser du défilement du mur de scène, et même l'ouverture de ce dernier pour laisser voir le paradis artificiel où Cléopâtre séduit César ne suffit pas à donner un peu d'ampleur au spectacle. On doit donc se contenter de profiter de sa lisibilité pour se concentrer sur la musique, sans pour autant perdre de vue les portraits parfois saisissants des personnages. C'est déjà bien, mais l'opéra baroque, et Haendel plus encore, a beaucoup plus à offrir en matière théâtrale.

Crédits photographiues : © Monika Rittershaus

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Francfort. Opernhaus. 11-IV-2024. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Giulio Cesare in Egitto, opéra en trois actes sur un livret de Giacomo Francesco Bussani adapté par Nicola Francesco Haym. Mise en scène : Nadja Loschky ; décors : Etienne Pluss ; costumes : Irina Spreckelmeyer. Avec Lawrence Zazzo (Giulio Cesare), Pretty Yende (Cleopatra), Cláudia Ribas (Cornelia), Bianca Andrew (Sesto), Nils Wanderer (Tolomeo), Božidar Smiljanić (Achilla), Jarrett Porter (Curio), Iurii Iushkevich (Nireno) ; Frankfurter Opern- und Museumsorchester ; direction : Simone Di Felice.

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