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« Le Souffle de l’âme ». Thierry Escaich (né en 1965) : Trois Motets pour 12 voix mixtes et orgue (1998), Évocation IV pour orgue seul (2014), Messe romane pour deux chœurs et orgue (2014). Thomas Ospital (né en 1990) : Offertoire improvisé à l’orgue (2023), Magnificat avec versets improvisés à l’orgue (2023). Hymne grégorien Verbum supernum prodiens. Thomas Ospital orgue. Chœur Dulci Jubilo ; Christopher Gibert, direction. 1 CD Anima Nostra. Enregistré à l’église Saint-Eustache à Paris les nuits du 17 au 20 avril 2023. Notice de présentation en français. Durée : 58:37
Anima NostraMotets, messe, offertoire, hymne grégorien, Magnificat : Thierry Escaich, Thomas Ospital et Dulci Jubilo se placent dans le droit-fil de la liturgie catholique et trouvent dans cette tradition les ressorts d'une expression musicale actuelle. Sur ce disque homogène intitulé « Le souffle de l'âme », c'est donc le souffle de l'orgue et des voix qui domine, incarnant une foi religieuse partagée entre interrogation inquiète et abandon confiant.
Continuité et inventivité sont par conséquent les deux directions parallèles que suit ce « souffle de l'âme », moteur « qui nous anime, nous inspire, qui crée », selon l'organiste Thomas Ospital et le chef de Dulci Jubilo Christopher Gibert, tous deux signataires du texte introductif du livret. Aussi sommes-nous loin de l'idée de pure expérimentation tout autant que du désir de réinventer la musique, car priment ici « la générosité abrasive du discours » et « le rapport charnel au son ». C'est un fait, l'élan créateur prend chez Thierry Escaich une forme narrative affranchie de toute démarche purement spéculative. Dans ses Trois Motets pour 12 voix mixtes et orgue (1998), il superpose les chants sur des écrits religieux et des extraits du recueil Le Pays perdu (1997) d'Alain Suied, ce qui génère une sorte de millefeuille où les propos mystiques du poète reposent sur l'assise quasi immuable des textes sacrés. À cet étagement participe également l'orgue, qui commente discrètement ou amplifie la dramaturgie. Ce contrepoint, l'une des caractéristiques de la musique de Thierry Escaich, lui donne une grande lisibilité et une large spatialité. Trois motets, trois climats. Le premier ondoie sur le « Puer Natus est » de l'introït de la messe grégorienne de Noël et s'enfle sur l'histoire narrée par Alain Suied : « Enveloppé dans les langes du regard, le nourrisson boit des yeux la fable du monde. » Beaucoup plus alarmant et théâtral, le « Motet II » évoque la mort sur un rythme saccadé en faisant entendre un orgue trépidant, le psaume « De Profundis » et les assertions messianiques de Suied. Le troisième conserve un rythme allant et un caractère anxieux entretenus par les paroles du « Kyrie Eleison » et celles du poète évoquant les affres de la condition humaine. Si la musique bien construite de Thierry Escaich peut séduire par l'équilibre de son architecture et sa puissance expressive, l'inspiration anagogique d'Alain Suied ne saurait emporter l'adhésion, douceâtre et soporifique, voire creuse : « Qu'est-ce qui nous traque et se joue de nous derrière nos masques ? Qu'est-ce qui souffre et se révolte au fond de nous malgré nos rêves ? Qui es-tu, triste matière silencieuse ? ». Quant à la pochette du disque, elle reproduit la photo d'une femme pliée en deux dans un geste d'abandon ou de supplication. Il s'agit de la chorégraphe et danseuse Flora Schipper, qu'Elliot Storey a filmée pour explorer, dans ces Motets, « les notions de naissance, de mort et d'espérance à travers le corps, la rencontre avec l'eau et la fumée », explique le réalisateur dans le fascicule, avec QR code à l'appui.
Les voix masculines du chœur de chambre Dulci Jubilo font retentir comme un seul homme l'hymne grégorien « Verbum supernum prodiens ». On se laisse porter par ce chant syllabique répétitif à l'ambitus restreint et les mots latins de Thomas d'Aquin résumant en une prière toute l'histoire chrétienne, de la Genèse à la Résurrection. Sa mélodie a été reprise à la fin du XVIIe siècle par Nicolas de Grigny dans son Premier Livre pour orgue puis par Thierry Escaich dans Évocation IV, pour orgue seul (2014), laquelle évocation improvise autour de l'air dans un climat de jazz en multipliant les voix, les jeux, les ruptures, les reprises.
Enregistrée ici pour la première fois, la Messe romane pour deux chœurs et orgue (2014) de Thierry Escaich donne autant d'importance à l'instrument qu'aux chanteurs. Tour à tour détendue, poignante et très rythmée, la musique prend directement appui sur les mots de l'ordinaire de la messe : « Kyrie », « Gloria », « Sanctus » et « Agnus Dei ». Les deux dernières prières sont séparées des autres par le bel Offertoire improvisé à l'orgue (2023) de Thomas Ospital, tranquille et plus spirituel que directement religieux. Ses broderies passant d'un jeu à l'autre semblent baigner dans la douce lumière surnaturelle que créent les vitraux multicolores des églises. Le même instrumentiste commente librement chaque phrase du traditionnel Magnificat, avec versets improvisés à l'orgue (2023), entonné à l'unisson par les femmes du chœur Dulci Jubilo. Ce qui produit l'équilibre très réussi d'une souple alliance entre la sobriété constante du chant de Marie et la grande variété d'un imaginaire musical alternativement recueilli, primesautier, austère ou flamboyant (comme dans la conclusion), mais toujours cohérent.
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« Le Souffle de l’âme ». Thierry Escaich (né en 1965) : Trois Motets pour 12 voix mixtes et orgue (1998), Évocation IV pour orgue seul (2014), Messe romane pour deux chœurs et orgue (2014). Thomas Ospital (né en 1990) : Offertoire improvisé à l’orgue (2023), Magnificat avec versets improvisés à l’orgue (2023). Hymne grégorien Verbum supernum prodiens. Thomas Ospital orgue. Chœur Dulci Jubilo ; Christopher Gibert, direction. 1 CD Anima Nostra. Enregistré à l’église Saint-Eustache à Paris les nuits du 17 au 20 avril 2023. Notice de présentation en français. Durée : 58:37
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