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Paris. Athénée théâtre Louis Jouvet. 27-III-2024. Concerto contre piano et orchestre, d’après Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) ; conception : Samuel Achache, Antonin Tri Hoang, Florent Hubert & Ève Risser ; lumières : César Godefroy, Maël Fabre ; costumes : Pauline Kieffer ; orchestre La Sourde
Créé à l'Athénée en septembre 2021, le spectacle a tourné dans toute la France. L'orchestre La Sourde revient sur le plateau du théâtre avec son Concerto contre piano et orchestre rebattant les cartes du style, du genre et de l'interprétation.
Les choses commençaient pourtant bien, dans le bon tempo et avec des interprètes au taquet pour jouer le Concerto pour clavier en do mineur (1722) de Carl Philipp Emanuel Bach : un luth, deux violes, un cor naturel, etc. Ne manquait que le chef et surtout… la pianiste qui finit par apparaître dans l'embrasure d'une porte ménagée en fond de scène. Le batteur, Thibault Perriard, dans son « allocution inaugurale » très drôle, nous avait bien prévenus : la version du concerto est « peu orthodoxe », soulevant une foule d'interrogations sur l'autorité du chef, la responsabilité de l'interprète, le respect de la partition et… la musique entre les lignes.
Il ne s'agit donc pas d'un hommage rendu au compositeur, choisi à dessein dans cette époque passerelle entre l'âge baroque et le début du classicisme ; l'idée est d'interroger, à travers cette pièce de maturité, le genre du concerto et la microsociété qu'est le monde des orchestres (il y en a deux !) face au soliste à travers une forme performative située entre musique et théâtre. Le spectacle est conçu en équipe (Samuel Achache, Antonin Tri Hoang, Florent Aubert et Ève Risser, tous sur le plateau) intégrant le jeu scénique et celui des lumières comme au théâtre. Les dix-huit musiciens de La Sourde sont tout terrain, venant du classique, de la musique ancienne, des musiques improvisées et du jazz, et travaillant ensemble depuis plusieurs années : une troupe en quelque sorte capable de traverser les styles et les répertoires et de les faire siens.
Perturbée par le batteur qui vient installer ses fûts sur la scène, la version « historiquement informée » est rapidement interrompue, le lever de rideau révélant la présence d'autres instruments, saxophone, cor avec pistons, violoncelle avec pique ; bref, un orchestre moderne et une batterie qui entend bien participer à la fête. Certes, on perd en authenticité mais on gagne en sonorité ! La soliste disparaît et réapparaît sans cesse, les musiciens se rassemblent et se dispersent en petits groupes. Mais le concerto se poursuit, enrichi de couleurs exogènes, rehaussé de nervures rythmiques, ornementé différemment voire prolongé, commenté … glissant progressivement vers la musique improvisée où le batteur se déchaîne et les esprits s'échauffent ; le premier mouvement sombre dans le chaos.
La pianiste, Ève Risser, réapparait, roulant elle-même son instrument sur la scène, dans un second mouvement plus intimiste et « très habité » ; la flûtiste Anne-Emmanuelle Davy, familière des rôles chantés, interprète un air en allemand, laissant à chaque instrumentiste l'espace d'une intervention soliste, comme celle du beau violoncelle de Myrtille Hetzel qui prolonge la voix.
Dans un contraste abrupt, le troisième mouvement redouble d'énergie. Spectaculaire est le moment où la musique bascule, du refrain répété à l'envi au chorus de jazz dominé par les trompettes. La pianiste en a profité pour préparer son instrument (de la pâte à fixe sur les cordes ?), rivalisant avec la batterie dans une séquence hautement rythmique. Plus impressionnante encore est cette grande « passacaille participative » où chacun y va de son entrée, les vents intégrant l'écriture fuguée des cordes. Avant que tout le monde ne se mette à chanter. On se demande bien à quoi riment les perturbations aussi bruyantes qu'inharmoniques du saxophone… L'orchestre moderne s'est retiré, les « baroqueux » en font de même, laissant la pianiste seule à son clavier, dont l'inspiration tarit brusquement lorsqu'elle s'aperçoit que tout le monde est parti.
Si l'on s'est rapidement éloigné de l'original, la musique donnée à voir n'en est pas moins réjouissante, qui célèbre le spectacle vivant, le bonheur de l'improvisation et la joie du jouer ensemble.
Crédit photographique © Théâtre de l'Athénée
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Paris. Athénée théâtre Louis Jouvet. 27-III-2024. Concerto contre piano et orchestre, d’après Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) ; conception : Samuel Achache, Antonin Tri Hoang, Florent Hubert & Ève Risser ; lumières : César Godefroy, Maël Fabre ; costumes : Pauline Kieffer ; orchestre La Sourde