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Marc-André Hamelin sublime styliste dans les nocturnes et barcarolles de Gabriel Fauré

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Gabriel Fauré (1845-1924) : intégrales des treize nocturnes et des treize barcarolles pour piano.; suite « Dolly » pour piano à quatre mains. Marc-André Hamelin, piano Steinway, avec le concours de Cathy Fuller dans la suite Dolly. 2 CD Hyperion records. Enregistrés en l’église Saint-Silas the Martyr, Kentish Town, Londres, en juin et septembre 2022. Notice de présentation en anglais, français et allemand. Durée totale : 163:40

 
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Hyperion records a décidément la main heureuse en matière de piano fauréen : après avoir publié, il y a presque trente ans, pour le cent-cinquantenaire de la naissance de Fauré la superbe intégrale réalisée par Kathryn Stott, voici aujourd'hui, dans le cadre du centenaire de la disparition du maître, les cycles de nocturnes et de barcarolles sous les doigts de .

Les deux cycles des Nocturnes et Barcarolles jalonnent toute la production fauréenne, à la manière d'un journal intime. La rédaction s'en étale sur près de quarante années, toutefois près de la moitié de ces pages, se rattache à la dernière période créatrice du maître, et elles s'avèrent moins immédiatement accessibles par leur conception harmonique totalement renouvelée, et leur expressivité de plus en plus lapidaire, plus rétive mais poignante pour qui sait les écouter.

Les Nocturnes, sis bien au-delà de simples scènes crépusculaires ou lunaires deviennent au fil des pages de véritables « examens de conscience musicaux » (Harry Halbreich), tantôt moments de pur bonheur hédoniste – quatrième, sixième – tantôt d'intimité plus ambiguë -septième – mais peuvent y pointer une grande tension dramatique – cinquième ou surtout douzième – une méditative nostalgie – treizième – voire une aura quasi funèbre – onzième. Les Barcarolles, plus modestes de dimension et de conception, sans jamais pour autant tomber dans le fantasque ou le superficiel, en constituent l'exact contrepoint plus « aquatique ».

Nous pourrions juste reprocher à ce magnifique projet éditorial d'avoir séparé dichotomiquement les cycles – sur chacun des deux disques – là où les œuvres, sortes de feuillets d'un album constitué au fil des jours et au gré des humeurs, semblent se répondre au-delà de leur intitulé, jusqu'à constituer l'adret et l'ubac d'un même opus – le « couple » du onzième nocturne et de la dixième barcarolle, édités ensemble sous le numéro d'opus 104. A chaque auditeur, s'il le souhaite de reconstituer la guirlande chronologique, où nocturnes et barcarolles pourront davantage se répondre ou éclairer mutuellement leur progression spirituelle.

On connaît les capacités techniques hors du commun de : le virtuose peut aborder les partitions les plus techniquement improbables et son répertoire, en conséquence, va de C.P.E Bach à nos jours. Il offre une approche complètement renouvelée des nocturnes, très stylée, et magnifiée par le total contrôle des plans sonores, résultant d'un minutieux travail de touché et de calibrage des nuances, magnifiquement capté par les micros d'Oscar Torres.

Il y a ce sens du phrasé et de la respiration exalté par un usage millimétré de la pédale, cette volonté de clarté des lignes au gré des énoncés pudiquement élégiaques (premier , huitième), ce touché raffiné (au gré du paradisiaque quatrième, envisagé dans la descendance des Consolations ou des Rêves d'Amour lisztiens). Ailleurs règnent en maître la netteté du dessin mélodique guidé par un sens très sûr du cantabile (sixième) ou la variété insigne des éclairages par le subtil dosage des contrastes dynamiques (cinquième). Si les pages de jeunesse (deuxième et troisième, en particulier) échappent ici à toute superficialité, c'est au gré des pages de haute maturité, données dans tout l'éclat de leur intemporelle modernité, que touche au sublime, avec ce sens du clair-obscur tour à tour elliptique ou véhément (septième), cette concentration presque austère augurant d'un mystère de l'instant (neuvième) ou d'un dépouillement quasi monacal (onzième), cette âpreté tempétueuse et tragique (douzième), cette idéale austérité (treizième) mélange de présent inéluctable et d'évocations de souvenirs passionnés à jamais perdus, et ici égrenés sans pathos avec une rare pertinence psychologique. Par cette approche, Marc-André Hamelin renouvelle chaleureusement le propos, loin de l'indifférence un peu tiède et grisâtre d'Eric Le Sage (bien qu'apprécié dans nos colonnes, Alpha),et rejoint au panthéon des fauréens, dans ces Nocturnes, Eric Heidsieck, Jean Hubeau (tous deux chez Erato) ou Kathryn Stott (Hyperion).

Face à cette exemplaire réussite, l'interprétation des barcarolles apparaîtra, toute proportion gardée, en léger retrait, comparaison faite avec les réussites majeures d'une Delphine Bardin (Alpha) ou de Jean-Philippe Collard (surtout en son remake pour La Dolce Volta). Par exemple, la première, plutôt retenue manque d'un peu d'allant et de spontanéité dans son agogique. Ailleurs, Hamelin joue parfois avec une sorte de préciosité un rien confite, exacerbant la substance harmonique ou se jouant des retards de résolution des dissonances (deuxième), des changements de rythme aventureux (troisième) ou de la subtilité du balancement rythmique (sixième) confinant parfois au maniérisme.
Mais, par ailleurs que de réussites ! Tel cet éclairage subtil des ambiguïtés tonales et modales ou des oppositions de registres au fil de la quatrième ou encore au gré de cette cinquième, si aventureuse et vagabonde par sa rythmique volontairement bousculée et son harmonie piquante jetée en pleine lumière. Les ultimes pages emportent totalement l'adhésion, que ce soit l'austère et énigmatique septième, la très aventureuse huitième, la neuvième ici presque religieuse dans son dépouillement, la très économe dixième idéalement timbrée, la onzième ici d'un modernisme presque cubiste, la douzième d'une approche sophistiquée, aux ensorcelantes sonorités cristallines en son chromatisme diffus, et enfin, la treizième à l'ornementation ductile, et, sorte d'éternel retour à une simplicité plus naturelle et instinctive.

Pour compléter ce superbe double album au minutage très généreux, Marc-André Hamelin retrouve son épouse , en distribution « quatre mains », pour la bien plus légère et insouciante suite Dolly, portait évocateur de la fille d'Emma Bardac, par ailleurs alors maîtresse du compositeur. Elle est donnée avec toute la « tendresse » requise, mais les inteprètes restituent à merveille ailleurs le pittoresque domestique de « Messieu Aoul!« , une Ketty-valse ici vaporeuse à souhait, ou pas espagnol final d'une irrésistible verve.

Voilà, au total, une somme fauréenne chaudement recommandée, idéale porte d'entrée pour explorer le singulier et long parcours pianistique du compositeur, depuis l'héritage d'un certain romantisme presque parnassien jusqu'aux feux ardents d'une intemporelle modernité.

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Gabriel Fauré (1845-1924) : intégrales des treize nocturnes et des treize barcarolles pour piano.; suite « Dolly » pour piano à quatre mains. Marc-André Hamelin, piano Steinway, avec le concours de Cathy Fuller dans la suite Dolly. 2 CD Hyperion records. Enregistrés en l’église Saint-Silas the Martyr, Kentish Town, Londres, en juin et septembre 2022. Notice de présentation en anglais, français et allemand. Durée totale : 163:40

 
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