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« Netflix m’a tuer » ou les chemins de la décroissance…

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Accuser Netflix et consort tout comme les nouvelles pratiques de consommations culturelles comme responsables de la situation critique de l’opéra est une possibilité, mais ce serait oublier le temps long. Regarder loin en arrière nous permet une mise en abime de ce qui se joue en ce moment ; en quelque sorte prendre de la hauteur temporelle.

Faisons une sorte de voyage dans le passé, qui nous ferait remonter quatre-vingt-six années en arrière. Nous voilà donc en 1938, à une époque où les concepts de culture pour tous et de démocratisation voulus par Jean Zay et Léo Lagrange n’ont pas encore bousculé les maisons d’opéra. Pas encore de M.J.C., pas encore de ministère de la culture et même si déjà un journal de gauche de l’époque titre en une « Pour un ministère de la Culture », il ne sera alors question que de projet d’un ministère de la vie culturelle comprenant un secrétaire d’État à l’éducation nationale et un second à l’expression nationale. Ce dernier terme regroupant les musées, les bibliothèques ainsi que les lettres et arts. L’année 1939 empêchera la concrétisation de cet élan en arrêtant et condamnant le « juif Jean Zay » qui ne laissera alors dans l’histoire que les premiers statuts de droits d’auteurs, (statut Zay 1937) et la toute jeune RTLN, la réunion des théâtres lyriques nationaux en 1939.

Voyageons rapidement …

  • 1938 à Montpellier, 19 opéras, 3 ballets, 14 opérettes.
  • 1939 à Toulouse, 40 opéras, 22 opérettes.
  • 1950 à Tours 9 opéras, 21 opérettes.
  • 1951 à Lille 18 opéras, 18 opérettes.
  • 1952 à Lille, 22 opéras, 22 opérettes
  • 1952 à Montpellier 25 opéras, 9 opérettes
  • 1960 à Tours 6 opéras, 11 opérettes.
  • 1962 à Mulhouse 8 opéras, 2 opérettes.

Si l’on regarde pour ces mêmes villes en 2023 il y a de quoi regretter ces temps jadis.

  • Montpellier 1 opéra, 1 opérette.
  • Toulouse 7 opéras, 5 ballets
  • Tours 3 opéras 1 opérette
  • Lille 2 opéras 1 opérette
  • Mulhouse 2 opéras 1 ballet

Avec des archives plus fournies nous aurions pu avoir une vue « panoramique » plus représentative que pour ces seules cinq villes. Reste que ces opéras ont leur intérêt. En effet dans ce panel se retrouvent trois des six opéras nationaux en région actuels, un opéra à la saison avec des musiciens en CDD et un opéra qui a été dissous en 1985 qui ne rouvrira en 2007 que sous la forme de structure d’accueil. Manque à l’appel une institution de la capitale. Toutefois il est pourtant possible de comparer avec la saison 1960/61 de l’Opéra de Paris, mais aujourd’hui c’est sur deux maisons que se développe l’offre : Bastille et Garnier. Néanmoins si nous comparons avec l’addition de l’Opéra-Comique et de Garnier, il est possible de se rapprocher d’une offre similaire. Cela donne une somme de 80 productions différentes en 1960 alors que le couple Bastille – Garnier de 2023 n’offre que 34 productions ballets compris. Et quel contenu ?

Bien évidemment, avec un tel appauvrissement, les dorénavant rares opéras proposés au public se limitent à une poignée d’œuvres aux succès assurés. Il n’y a plus la place pour la prise de risque comme le dénonçaient déjà en 2011 Philippe Agid et Jean-Claude Tarondeau (1). Oublié l’essentiel des compositeurs français qui fit pourtant la gloire de ces institutions lyriques tels que Bizet, Messager, Gounod, Massenet, Delibes, Thomas, Reyer, Adam ou Rabaud. Seul Carmen représente Bizet et parvient à se maintenir mais en ignorant six autres de ses pièces majeures. Cette situation ressemble à une visite du Louvre où une seule salle serait ouverte contenant La Joconde, Le Radeau de la méduse, Les Noces de Cana, La Victoire de Samothrace et la Vénus de Milo. Cela fait beaucoup de monde dans la salle des refusés. Si ce n’était les commandes d’État qui forcent les opéras à la santé financière la moins précaire, aucune œuvre contemporaine ne serait à l’affiche.

Car une institution musicale c’est comme un musée, à chacune des exécutions c’est une œuvre éclairée ; alors pourquoi en laisser autant dans le noir ?

Au-delà du constat que l’offre présente est bien maigre en regard de celle du passé, une discrète date se cache à la charnière du temps. C’est 1959. La date de la création du ministère de la Culture, et étonnement c’est aussi celle de ce moment qui marque la bascule entre l’opulence à la rareté. Comme si cet évènement initiait une nouvelle dynamique.

Netflix et autres plateformes de streaming n’y sont donc pour rien car les usages d’aujourd’hui ne font pas ce qui débuta il y a soixante-cinq ans ; au mieux ces pratiques contribuent à aggraver la situation. Mais alors pourquoi ne bénéficions-nous plus de saisons semblables ?

Depuis il y a eu ce ministère de la Culture dont le postulat de départ fut d’être un outil au service de la culture pour tous, parfois appelé : démocratisation culturelle. Un vœu pieux qui s’avéra être plus un serpent de mer et que nombre des analystes et observateurs depuis plus de trente années dénoncent comme étant un échec (2). Une sorte de mission impossible. À cela rien d’étonnant car, à la différence du passé, celui d’avant 1959, il n’y avait pas de ministère qui décidait de ce que le public devrait entendre ou pas, ce qu’il devrait aimer ou pas. Pas d’entre-soi comme le dénonce Michel Schneider dans la comédie de la culture (3) qui promeut tel compositeur ou tel metteur en scène. Mais surtout pas de politique culturelle qui fait se perdre les instituts de diffusions dans de vaines conquêtes ; tant celles de la nouveauté à tout prix que de vouloir conquérir des publics différents au risque de les perdre tous. Alors que faire ?

Faut-il supprimer le ministère de la culture comme se complait à le titrer régulièrement la presse la plus sérieuse comme L’Obs en 2007, Le Monde en 2008, Le Figaro en 2009, Le Point en 2017 et en 2018 Jacques Attali se pose aussi la question : « à quoi sert encore le ministère de la Culture ? » Philippe Meyer dialoguant avec Renaud Donnedieu de Vabre s’est plu en 2009 dans Le Figaro à rappeler les mots d’Emmanuel Berl à propos des activités de son ami André Malraux : « Il met du désordre dans un ministère qui n’existe pas ».

Depuis toutes ces années ce ministère, contrairement à ce que toutes ces attaques laissent à croire, est toujours là. Alors peut-être mieux vaut-il que le ministère de la Culture soit défendu comme le faisait encore Jack Ralite en 2008 (5). Ainsi le ministère de la culture aurait peut-être un jour son hashtag : #Valoisrendstoi, voire un long métrage du type : « il faut sauver le 3 rue de Valois ».  Le sauver de lui-même bien sûr !


  1. Le management des opéra Agid Tarondeau Descartes & cie 2011
  2. La culture pour qui ? Jean-Claude Wallach éditions de l’attribut 2012
  3. Michel Schneider dans la comédie de la culture au Seuil 1993
  4. Opéras et orchestres signes extérieurs de détresse Pascal Lagrange ResMusica
  5. De l’exception culturelle à l’exécution culturelle Jack Ralite, Les trois coups overblog
    Et : faut-il supprimer le ministère de la culture Libération 13 juin 2008

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la rédaction.

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