Légère, finement parodique, la comédie musicale Les Fantasticks ravit à l’Opéra du Rhin
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Strasbourg, Théâtre de Hautepierre, 20 III 2023.
Harvey Schmidt (1929-2018) : Les Fantasticks, comédie musicale, créée le 3 mai 1960. Livret et paroles de Tom Jones, inspiré de la pièce d’Edmond Rostand Les Romanesques. Adaptation nouvelle d’Alain Perroux. Ana Escudero, Luisa ; Jean Miannay, Matt ; Bruno Khouri, El Gallo ; Bernadette Johns, Mme Hucklebee ; Michal Karski, M. Bellomy ; Quentin Ehret, Yann Del Puppo, Gulliver Hecq, acteurs ; Annalisa Orlando ou Hugo Mathieu, piano ; Lauriehanh Nguyen ou Katia Vassor, harpe ; Myriam Marzouki, mise en scène ; Margaux Folléa, décors ; Laure Mahéo, costumes ; Christine vom Scheidt, chorégraphie ; Sandrine Abello, responsabilité musicale.
Petite troupe, petit dispositif scénique, mais beaucoup d'esprit et d'enthousiasme soulèvent cette comédie musicale très célèbre outre-Atlantique, donnée ici dans la version française d'Alain Perroux.
Étonnante histoire que celle de cette comédie musicale. Créée en 1960 à New-York, elle a tenu l'affiche pendant 42 ans sans discontinuer (livre Guiness des records…), et renforcé considérablement le genre du Off-Broadway, ce répertoire de pièces modestes et légères, faciles à monter à petit prix. La musique de Harvey Schmidt est assez bonne pour avoir produit un tube publicitaire très célèbre (« Try to remember » ou « Au cœur de septembre »), et l'intrigue de Tom Jones suffisamment riche pour fournir une multitude de références, d'Ovide à Voltaire en passant par Shakespeare. Il faut savoir que la pièce de théâtre qui donne l'inspiration de base est d'Edmond Rostand, Les Romanesques, et on comprend mieux comment Roméo et Juliette, mais aussi Pyrame et Thisbé ainsi que Candide ont pu arriver dans le sous-texte de ce « musical ». L'argument, s'il est riche en allusions, reste fort simple. Deux parents voisins simulent une fâcherie, érigent un mur de séparation dans le seul but d'exciter leurs enfants à le franchir et à s'unir. Au prix d'un simulacre de rapt, l'affaire marche, et l'acte I se conclut en « happy end ». Ce sera suffisant pour les scolaires. Heureusement l'acte II permet aux amoureux de se découvrir d'abord eux-mêmes, pour se retrouver enfin au-delà de toute manipulation. Donc, un spectacle gigogne qui s'adapte au public, qui ne mobilise que deux instrumentistes (piano et harpe), cinq chanteurs et trois acteurs. Dans l'esprit du théâtre de tréteaux, l'appareil scénique est des plus légers, et le spectacle peut avoir lieu dans n'importe quel lieu disposant d'une scène et de quelques sunlights. Même si on peut reprocher à l'Opéra du Rhin de favoriser un peu trop le répertoire des « musicals » (récemment : Candide, West Side Story, Violon sur le toit…) aux dépens du répertoire de l'opérette française, il faut admettre que le choix des Fantasticks dans la programmation de la saison est pertinent : il permet d'organiser une tournée dans les petites villes pour se mettre à portée de tous les publics dans le cadre de l'opération « Opéra volant », et il dément brillamment le préjugé qu'un bon spectacle lyrique est forcément cher. Car la qualité est vraiment là, et à tout point de vue.
A tout seigneur, tout honneur : il faut rendre grâce à Alain Perroux, l'actuel directeur de l'Opéra national du Rhin, d'avoir produit une adaptation française aussi bien faite. Les « lyrics » en français sont très bons, parfaitement adaptés à la musique, ce qui n'est pas toujours simple. Les textes parlés sont souvent remplis de poésie, et les passages comiques sont hilarants. La façon dont les deux acteurs (les excellents Yann del Puppo et Gulliver Hecq du Jeune Théâtre National) passent à la gyrobroyeuse parodique Shakespeare, Jarry, Molière et surtout Edmond Rostand (normal…) est à pleurer de rire. Les deux amoureux, Ana Escudero et Jean Miannay ont parfois du mal à gérer le volume et la projection de leurs grandes voix dans l'espace réduit du Théâtre de Hautepierre, mais leur interprétation est crédible et souvent touchante. Très bons également, les deux voisins parents, Bernadette Johns en jaune et Michal Karski en vert. Leur interprétation bien déjantée arrive à rendre drôles et même sympathiques leurs personnages de père névrosé et manipulateur, qui voudrait que sa fille pousse aussi simplement qu'une carotte, ou de mère dominatrice et castratrice qui joue de la cisaille de jardin. Leur duo des légumes au II est un des sommets de la soirée. Le plus beau rôle est sans doute celui d'El Gallo, à la fois commentateur poétique et désabusé, séducteur, et gentleman-cambrioleur. Bruno Khouri chante avec charme et simplicité, et donne à son personnage de crapule cynique une aura de mystère et de poésie qui le démarque de l'excitation ambiante. Le rythme du spectacle est brillamment tenu par la mise en scène de Myriam Marzouki, et les petites chorégraphies par Christine vom Scheidt. Saluons encore les valeureuses Annalisa Orlando (piano) et Katia Vassor (harpe) pour leur joyeuse virtuosité et leur abattage.
Crédits photographiques © Klara Beck
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Strasbourg, Théâtre de Hautepierre, 20 III 2023.
Harvey Schmidt (1929-2018) : Les Fantasticks, comédie musicale, créée le 3 mai 1960. Livret et paroles de Tom Jones, inspiré de la pièce d’Edmond Rostand Les Romanesques. Adaptation nouvelle d’Alain Perroux. Ana Escudero, Luisa ; Jean Miannay, Matt ; Bruno Khouri, El Gallo ; Bernadette Johns, Mme Hucklebee ; Michal Karski, M. Bellomy ; Quentin Ehret, Yann Del Puppo, Gulliver Hecq, acteurs ; Annalisa Orlando ou Hugo Mathieu, piano ; Lauriehanh Nguyen ou Katia Vassor, harpe ; Myriam Marzouki, mise en scène ; Margaux Folléa, décors ; Laure Mahéo, costumes ; Christine vom Scheidt, chorégraphie ; Sandrine Abello, responsabilité musicale.