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La ville de Roubaix met à l’honneur le compositeur Jacques Lenot

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Roubaix. Carte blanche à Jacques Lenot 16 et17 III 2024
16-III-2024. Église Saint-Josep. 15h. Jacques Lenot (né en 1945) : Il y a, installation sonore ; RIM Grégory Beller, Éric Daubresse ; électronique pour la version Roubaix, Étienne Démoulin.
16-III-2024. Conservatoire de Roubaix. 18h. Leoš Janáček (1854-1928) : Quatuor n°2 Lettres Intimes ; Jacques Lenot : Quatuor à cordes n°8 (Création mondiale). Quatuor Tana : Antoine Maisonhaute, Ivan Lebrun, violons ; Takumi Nozawa, alto ; Jeanne Maisonhaute, violoncelle.
17-III-2024. Église Saint-Martin. 15h. Jacques Lenot : Misti Organ Music, pour orgue (Création mondiale). Jean-Christophe Revel, orgue.
17-III-2024. Hôtel de ville de Roubaix, Salle Pierre de Roubaix. 17h. Jacques Lenot : Nachtszenen pour 12 instruments (Création mondiale). nsemble Sturm und Klang, direction : Thomas van Haeperen

Roubaix et son Conservatoire ont donné carte blanche à durant un week-end de haute tenue parcourant vingt ans de création.

Durant ces journées, le compositeur et roubaisien de longue date s'est entouré de ses interprètes et fidèles collaborateurs, l'association Ciels Traversés et son président Olivier Lenot tout particulièrement. Après la projection du film documentaire sur de Ludovic Lang, Les anges se penchent parfois qui ouvre cette manifestation dans les locaux du Conservatoire, l'église Saint-Joseph, monument classé de Roubaix fraichement restauré (2021) accueille le lendemain, à 15h, l'œuvre sur support Il y a, « une installation sonore », selon les termes du compositeur, dans le sens où la musique de sons fixés – un orchestre virtuel de 84 musiciens répartis en 28 trios spatialisés et dispositif informatique – se conforme à la plasticité des lieux.

L'œuvre est créée en 2009 dans l'église parisienne de Saint-Eustache avec la collaboration des RIM de l'Ircam (Grégory Beller et Éric Daubresse). C'est ce soir le jeune ircamien qui est aux manettes, projetant en stéréo et à travers une multitude de petits haut-parleurs fixés à hauteur de voute cette constellation sonore dans l'espace de l'église : pour débuter, des résonances de cloches, un petit carillon et des myriades de sons scintillants tournent au-dessus de nos têtes, sons récurrents soumis au filtrage et aux transformations des logiciels. Les masses sonores voyagent, se colorent, s'effilochent, se tressent comme les mixtures d'un orgue imaginaire puis se dissolvent : le flux est continu, sorte de cérémonie étrange et envoûtante où l'écoute est immergée une heure durant, méditation tendue où reviennent in fine les sonorités du rituel : « Dans l'affolante expérience de l' “Il y a” (l'expression est d'Emmanuel Levinas), on a l'impression d'une impossibilité totale d'en sortir », confie le compositeur dont la pensée du matériau est toujours étayée par quelque source poétique voire philosophique.

Un huitième quatuor à cordes

Le est l'invité du concert de 18h à l'auditorium du Conservatoire. Fins connaisseurs de la musique de Lenot, les Tana ont enregistré une intégrale des sept quatuors à cordes en 2014, chez Intrada. Le compositeur leur en a écrit un huitième qui est donné ce soir en création mondiale. C'est la chute de la flèche de Notre-Dame de Paris en avril 2019, nous dit le compositeur qui vient sur scène présenter chaque concert, qui déclenche le désir de ce Quatuor à cordes n°8. Esquissé dans la foulée, il n'est écrit que quatre ans plus tard, en avril 2023. Ainsi naît de cette impulsion première l'idée d'une figure expressive, trouvaille sonore qui fait l'ADN singulier de ce huitième quatuor à cordes : un frissonnement spasmodique des deux violons et de l'alto solidaires d'où émerge le chant infini du violoncelle ; tout un monde lointain… La ligne qui se dessine monte graduellement (un processus est souvent à l'œuvre dans l'écriture de Lenot), d'une beauté indicible sous l'archet de . Si Lenot parle de déploration dans la partie centrale, avec des figures « qui pleurent », ajoute-t-il, c'est une autre tension expressive qui ressort du jeu des quatre archets et nous porte, paradoxalement, vers la lumière : avant que ne revienne, dans une troisième partie de synthèse, l'instabilité du début, le tremblé des cordes qui tend à effacer le dessin mélodique courant cette fois sur tous les pupitres. L'homogénéité des sonorités chez les Tana et la synergie des archets font merveille, tout comme leur aptitude au temps long sur lequel s'inscrit le geste musical.

Ils ont choisi de compléter le concert avec le Quatuor à cordes n°2, Lettres intimes (1928), du Tchèque , en accord avec qui a lui-même, comme un chant d'amour, adressé aux quatre musiciens du , en 2016, ses Frammenti intimissimi ! Lenot dit avoir beaucoup appris du compositeur tchèque à travers ses techniques de répétition/variation dont il a tiré profit. Les quatre mouvements du quatuor suivent un cheminement psychologique en marge de toute forme traditionnelle, les Tana gorgeant cette musique d'une vitalité et d'un élan rythmique irrésistible qui forcent l'admiration.

Lave sonore

C'est à l'orgue de Saint-Martin de Roubaix, instrument symphonique à cinq claviers du XIXᵉ siècle que l'on entend , le lendemain après-midi. Misti Organ music qu'il donne en création est écrit en novembre 2005 à la demande d'un organiste péruvien (Misti est un volcan du Pérou) dont le projet de concert n'a jamais pu se réaliser. Ainsi l'œuvre est entendue pour la première fois : une heure de musique d'une seule coulée qui invite une fois encore à l'écoute immersive. Un son est tenu au-dessus duquel s'égrènent des notes en valeurs égales. Le principe d'écriture est donné, qui va se répéter puis se transformer au fil des variations touchant au rythme, à l'articulation, à la densité harmonique, au volume et au timbre sans que la métrique à 4 temps ni le tempo (noire à 48) ne changent au cours de la pièce. Sachant que Lenot ne registre pas ses partitions pour orgue, il revient à l'interprète de choisir les jeux en fonction de l'écriture. , qui connait bien l'œuvre du compositeur, dit s'être inspiré de ses pièces d'orchestre pour fixer les jeux, jouant avec les contrastes de registres, les hybridations et la puissance de l'instrument : des anches discrètes à la ferveur de la trompette espagnole, du baryton laryngé des cromornes au grain nasal du régal et autre irisation de la cymbale et trémolo de la voix humaine. S'exerce un vrai travail d'orfèvre (qui nécessite la présence aux côtés de l'organiste de deux registrants !) dans cette monumentale « passacaille » que conduit jusqu'au « gros son », décharge tellurique amenée avec une formidable énergie, avant l'épilogue récapitulatif qui coupe court, sans geste conclusif.

Drame sans paroles

Le dernier concert de cette carte blanche résonne dans la salle Pierre Roubaix de l'Hôtel de Ville, un espace somptueux dont l'acoustique généreuse (mais pas trop) porte idéalement la musique du maître roubaisien. Sur la scène, l'ensemble Sturm und Klang dirigé par est au complet (12 instrumentistes), à qui Jacques Lenot a confié en toute sérénité cette troisième création mondiale du week-end, connaissant bien les musiciens, avec lesquels il collabore depuis 2017.

 

Nachtszenen (Scènes nocturnes) est la pièce la plus récente à ce jour, faisant écho aux insomnies et autres cauchemars du compositeur. Si elle est « secrètement dédiée à la mémoire de Schumann » (et ses Waldszenen), les 21 numéros regroupés en trois parties de sept pièces chacune font inévitablement penser au Pierrot lunaire de Schönberg. Lenot joue en virtuose avec les 12 couleurs solistes (le chiffre est symbolique pour le compositeur sériel), renouvelant à chaque plage sonore la distribution des rôles : éclats des bois sur le tapis feutré des cordes, opposition des registres avec les basses ronflantes du trombone entendu au plus grave de sa tessiture ; dialogue enjoué et quasi théâtral entre les bois et les cordes ; association inouïe du hautbois et de la trompette sans sourdine, klangfarbenmelodie (mélodie de timbres) à la viennoise… « Mes Scènes nocturnes, entre rêves et peut-être cauchemars, peuvent se penser comme des réapparitions soudaines et vite disparues de certains personnages », précise Lenot. La variation est à l'œuvre avec l'apparition du flatterzung (son avec roulement de langue) exigé à tous les vents, cor compris! La mélodie fantomatique de la contrebasse sur le fouillis des archets sur le chevalet est sans conteste la plus nocturne de toutes les Scènes, sommet de ce drame sans paroles obéissant à la logique du rêve.

L'écriture est d'une folle exigence pour chacun des musiciens dont la concentration et l'engagement, une heure durant, subjuguent, conduits ce soir de main de maître par .

Crédit photographique : © DR

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Roubaix. Carte blanche à Jacques Lenot 16 et17 III 2024
16-III-2024. Église Saint-Josep. 15h. Jacques Lenot (né en 1945) : Il y a, installation sonore ; RIM Grégory Beller, Éric Daubresse ; électronique pour la version Roubaix, Étienne Démoulin.
16-III-2024. Conservatoire de Roubaix. 18h. Leoš Janáček (1854-1928) : Quatuor n°2 Lettres Intimes ; Jacques Lenot : Quatuor à cordes n°8 (Création mondiale). Quatuor Tana : Antoine Maisonhaute, Ivan Lebrun, violons ; Takumi Nozawa, alto ; Jeanne Maisonhaute, violoncelle.
17-III-2024. Église Saint-Martin. 15h. Jacques Lenot : Misti Organ Music, pour orgue (Création mondiale). Jean-Christophe Revel, orgue.
17-III-2024. Hôtel de ville de Roubaix, Salle Pierre de Roubaix. 17h. Jacques Lenot : Nachtszenen pour 12 instruments (Création mondiale). nsemble Sturm und Klang, direction : Thomas van Haeperen

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