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Stuttgart. Opernhaus. 15-III-2024. Bernhard Lang (né en 1957) : Dora, opéra en cinq actes sur un livret de Frank Witzel. Mise en scène : Elisabeth Stöppler ; décor et costumes : Valentin Köhler. Avec Josefin Feiler (Dora), Shannon Keegan (la sœur), Dominic Große (le frère), Maria Theresa Ullrich (la mère), Stephan Bootz (le père), Elliott Carlton Hines (Berthold), Marcel Beekman (le diable). Neue Vocalsolisten extended ; Staatsorchester Stuttgart ; direction musicale : Elena Schwarz.
Dans ce spectacle donné à l'Opéra de Stuttgart, seule la distribution brillante parvient à faire vivre une musique post-moderne un peu complaisante.
Peu connu en France, Bernhard Lang est l'auteur d'une œuvre importante qui passe notamment par la scène – son œuvre la plus connue est sans doute I hate Mozart, efficace persiflage du culte mozartien qui est une bonne illustration de la méthode résolument post-moderne de Lang : loin de la recherche du son inouï des avant-gardes musicales, il intègre abondamment des objets trouvés musicaux, du répertoire classique aux musiques populaires, il les sample, construit des boucles musicales, souvent au bénéfice du théâtre : Dora est le dernier-né d'une longue liste d'opéras, ou du moins de spectacles scéniques.
Cette fois, il dresse avec le romancier Frank Witzel le portrait d'une jeune femme d'aujourd'hui un peu perdue – le monde de l'opéra est ainsi fait que, bien souvent, même pour mettre en avant un personnage féminin on fait confiance à deux hommes sexagénaires plutôt que d'écouter les principales concernées, quand bien même deux femmes sont bien parties prenantes du projet, dans la fosse et à la mise en scène. Dora, née dans une famille ouvrière de la Ruhr, se dispute avec ses parents, fait un pacte avec le diable pour enfin trouver un sens à son existence, et le trouve sous une toute autre forme : un parcours initiatique contemporain.
On peine souvent à suivre les très abondants surtitres : la langue du livret est souvent très belle, les idées frappantes, mais Lang laisse trop peu respirer le texte pour qu'il nous parvienne, si bien que le projet philosophique de l'œuvre, il faut bien le dire, échappe un peu aux spectateurs. Lang multiplie les références musicales, et Witzel n'est pas en reste : si Lang fait résonner les quatre notes d'Agamemnon dans Elektra, Witzel évoque les Atrides dans le texte qu'il réserve au chœur, commentateur de l'action comme dans la tragédie antique, même si les parents de Dora sont des Atrides bien dérisoires ; surtout, il fait de Dora un Faust au féminin, et le diable est costumé comme le Mephisto du plus célèbre acteur allemand de l'ère nazie et de l'après-guerre, le sulfureux Gustaf Gründgens, évoqué aussi dans le texte, et intimement lié à la Ruhr : plus encore que chez Goethe, le diable de Dora donne de bien mauvais conseils, et c'est quand tout va mal que Dora trouve la force de se défaire de son influence.
La partition commence et se finit dans un tonnerre de percussions qui entourent les spectateurs (les percussionnistes sont dans la loge royale et dans deux loges latérales), avant que Lang ne fasse résonner le motif des Nornes dans le prologue du Crépuscule des Dieux, thème lié au destin – à la fin de l'opéra, c'est Dora qui prend la parole pour reconnaître en quelque sorte sa défaite, et c'est cette fois le monologue final de Brünnhilde qu'on entend dans la musique de Lang. Avec un orchestre limité à 24 musiciens, Lang écrit une musique qui est d'abord théâtrale, souvent pleine d'humour et sans longueurs (l'opéra dure guère plus de 90 minutes), mais peu marquante : la versatilité stylistique, le jeu des citations et la clarté de l'écriture vocale sont des garanties d'efficacité, mais l'ensemble reste tout de même anonyme. Lang se détourne ostensiblement de toute une avant-garde musicale qui n'a pas cessé de porter ses fruits à l'opéra comme dans le reste de la production musicale, mais il ne propose pas vraiment sa propre voie pour un théâtral musical vraiment créatif.
Si la soirée tient malgré les limites de l'œuvre, c'est donc largement grâce à la distribution, plutôt que par une mise en scène qui ne fait pas grand-chose pour éclairer les enjeux du livret et de la musique. On aurait notamment préféré que la structure en cinq actes de l'œuvre soit exploitée pour marquer les étapes du parcours de Dora, et il aurait mieux valu éviter de tomber dans une caricature aussi plate du milieu familial de Dora, qui renvoie aux années 60 plus qu'à l'époque contemporaine ; l'ensemble est spectaculaire, mais pas franchement adapté pour une création. Josefin Feiler en Dora est d'un naturel et d'une force vitale remarquables, et c'est elle qui porte véritablement la soirée, avec une voix véritablement juvénile qui fait croire au personnage plus que ne le fait l'écriture du rôle. Le diable-Méphisto est ici un ténor, ce qui est rare parmi les opéras autour du mythe de Faust, même si c'est le cas dans le meilleur d'entre eux, celui de Busoni : le rôle est ici largement humoristique, ce que Marcel Beekman fait vivre brillamment. Il ne faudrait cependant pas oublier le troisième rôle principal, celui de l'amour manqué de Dora, Berthold, chanté par Elliott Carlton Hines, qui apporte un peu de l'émotion dont l'œuvre a bien besoin.
Crédits photographiques : © Martin Sigmund
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Stuttgart. Opernhaus. 15-III-2024. Bernhard Lang (né en 1957) : Dora, opéra en cinq actes sur un livret de Frank Witzel. Mise en scène : Elisabeth Stöppler ; décor et costumes : Valentin Köhler. Avec Josefin Feiler (Dora), Shannon Keegan (la sœur), Dominic Große (le frère), Maria Theresa Ullrich (la mère), Stephan Bootz (le père), Elliott Carlton Hines (Berthold), Marcel Beekman (le diable). Neue Vocalsolisten extended ; Staatsorchester Stuttgart ; direction musicale : Elena Schwarz.