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Nelken à Luxembourg, une carte du tendre par Pina Bausch

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Luxembourg. Grand Théâtre. 13-III-2024. Pina Bausch : Nelken, une Pièce de Pina Bausch. Décor : Peter Pabst. Tanztheater Wuppertal.

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Le décor de Peter Pabst fascine toujours autant le public, et la force du regard de ne cesse de vivre dans la nouvelle génération du .

Au début, un champ d'œillets : de tous les décors des pièces du , c'est sans doute celui-là qui a laissé l'empreinte la plus forte. Nelken, autrement dit Œillets, est depuis sa création en 1982 l'une des pièces les plus jouées de , une des rares à n'être jamais vraiment sortie du répertoire de la compagnie – peut-être parce qu'elle est la première à correspondre vraiment à ce qui est devenu le stéréotype d' »Une pièce de  » : les beaux costumes, la structure en saynètes successives, la bigarrure musicale, et cette manière indéfinissable de ne parler de rien de précis tout en touchant toujours à l'essentiel. Le champ d'œillet déjà présent quand le public s'installe dans la salle du Grand Théâtre évoque aussitôt une atmosphère d'Arcadie, dont l'air d'opérette qu'on entend bientôt ne fait que renforcer la prégnance et l'artificialité. Contrairement à ce que dit cette image liminaire, tout n'est pas rose dans la pièce, ni dans le monde, ni même dans le champ de l'amour – et les œillets qui se dressaient fièrement finissent tous au sol au bout d'une heure cinquante de danse, pour une fois sans entracte. Un couple sombre se verse de la terre à la petite cuillère sur la scène, deux hommes se jettent d'un échafaudage sous les cris terrifiés d'une femme (Aida Vainieri) sur des cartons qui écartent tout danger réel, la musique tempétueuse du quatuor La jeune fille et la mort de Schubert sème la panique sur la scène : les grands sentiments sont de sortie, mais comme (presque) toujours chez Pina Bausch ils ne sont pas forcément à prendre au premier degré. Le regard est amusé, tendre certainement, jamais brutalement satirique. La fameuse « ligne » des quatre saisons, à la fin de la pièce, essentiel moment d'unité de toute la compagnie, vient rappeler le passage du temps, qui remet en perspective les douleurs d'un moment.

Les danseurs du Tanztheater actuel, dont la majorité n'a pas connu Pina Bausch, apportent avec eux leurs différences et leurs parcours propres : certains viennent de la danse classique (citons aussi Letizia Galloni, elle aussi issue de l'Opéra de Paris), d'autres du théâtre parlé, Lucieny Kaabral vient du Cap-Vert et est venue à Pina Bausch par son Sacre du Printemps remonté à l'École des Sables de Germaine Acogny : on n'oublie pas les générations fondatrices du Tanztheater, on ne peut pas nier que le passage de l'interprète-créateur au simple interprète laisse des traces, mais l'esprit de Pina Bausch est toujours là, et il est touchant de voir de jeunes danseurs se donner à fond pour faire renaître cette vitalité créatrice. On n'en retrouve pas moins avec grand plaisir l'un des vétérans de la troupe, Andrei Berezin, dans un rôle de cador qui fait penser à celui qu'il tenait il y a un an sur la même scène dans Palermo Palermo. On savoure l'ironie de la scène où un danseur fait la démonstration de ses prouesses dans les figures les plus classiques de la danse classique, manège, entrechats, grand jeté : il s'agissait alors, en 1982, de défier les réactions de haine qu'avaient suscité les premières pièces de Pina Bausch (« ce n'est pas de la danse ») ; cette fois, 42 ans après la création, c'est Simon Le Borgne qui danse la scène, lui qui est issu (et toujours officiellement membre) de la troupe de l'Opéra de Paris, temple à l'époque du ballet classique qui pouvait passer pour l'anti-Tanztheater. Aujourd'hui, ces débats d'autrefois paraissent bien dépassés : danse ou pas danse, l'émotion est toujours là.

Crédits : Photo 1 : Paul Andermann (Laetitia Galloni) ; Photo 2 : Uwe Stratmann (Andrei Berezin)

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