Noémie Lenhof réenchante la viole de Marais

On croyait avoir tout entendu de Marin Marais à la viole. C'était avant de rencontrer le talent de Noémie Lenhof et de ses complices, qui nous proposent ici des pièces inédites du maître français de la viole de gambe.

A la fin des années 1670, deux musiciens écossais, fils du comte de Panmure, quittent leur pays pour la France, où ils se procurent des pièces manuscrites de Lully et Marais. De ce dernier, ils compilent ainsi quarante-cinq pièces totalement inédites, d'autant plus précieuses qu'elles sont copiées par le compositeur lui-même, assorties de nombreuses indications d'ornements, doigtés et coups d'archet. Il s'agit bien des seuls manuscrits autographes de Marais connus à ce jour. Certaines de ces pièces ont été enregistrées une première fois par Jonathan Dunford il y a près de vingt ans. On trouve parmi ces pièces inédites un ensemble de couplets sur les célèbres Folies d'Espagne, dont douze qui n'avaient pas été publiés dans le Deuxième Livre de Marais. Noémie Lenhof les a habilement agencés pour nous présenter une suite de vingt-cinq couplets qui s'enchaînent parfaitement et apportent une belle progression dans la virtuosité. De la même manière, l'interprète a choisi de reconstituer une suite en ré mineur à partir des pièces éparses du manuscrit. On découvrira également une somptueuse Grande Chaconne en sol majeur, digne de celles qui concluent les opéras de Marais. Toutes ces pièces manuscrites ne comportaient pas de parties de basse continue, alors que Marais les avait probablement conçues avec un accompagnement, privilégiant le théorbe. C'est le claveciniste de l'ensemble, Guillaume Haldenwang, qui s'est attaché ici à reconstituer la partie de basse d'après ce que Marais a publié plus tard, proposant une réalisation très convaincante. 

« Le travail de chercheur, voire d'explorateur, ne constitue-t-il pas une part essentielle de toute pratique de la musique ancienne ? » nous dit très justement Noémie Lenhof dans le texte du livret. La violiste, qui a par ailleurs une formation de chartiste, montre ici un modèle de ce que devrait être la démarche de tout interprète qui défriche de nouveaux chemins. Alliée à une technique sans faille et à une sensibilité rare, la recherche procure ici ce qu'il y a de meilleur. Il suffit d'entendre l'extraordinaire Plainte qui conclut la Suite en ré mineur pour être emporté dans un monde poétique qui transcende les prouesses d'écriture, au milieu des sanglots et des soupirs. Deux pièces extraites du Deuxième Livre de Marais, le célèbre Tombeau pour M. de Sainte-Colombe et Les voix humaines, permettent d'apprécier le goût très sûr de l'interprète, qui révèle là des sommets d'expressivité. Nous avions découvert Noémie Lenhof avec l'ensemble La Palatine dans leur premier disque « Il n'y a pas d'amour heureux ». Pour ce premier enregistrement en soliste, elle tient parfaitement ses promesses. Les continuistes qui l'entourent varient subtilement l'accompagnement selon le caractère des pièces, alternant théorbe seul, guitare ou clavecin pour des couleurs plus vives. On ne peut s'empêcher de penser à la disparition accidentelle, en décembre dernier, de l'excellent théorbiste Nicolas Wattinne, qui nous offre là les dernier accents de sa trop courte vie. Ce drame trouve un douloureux écho à l'écoute du Tombeau pour M. de Sainte-Colombe et de la sublime Plainte en ré mineur, où la viole pleure la fugacité de la vie.