Pulcinella / L’heure espagnole à l’Opéra Comique : jeux de séduction
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Paris. Opéra Comique. 9-III-2024. Igor Stravinsky (1882-1971) : Pulcinella, ballet avec chant en un acte, d’après Pergolèse. Maurice Ravel (1875-1937) : L’Heure espagnole, comédie musicale en un acte. Livret : Franc-Nohain. Mise en scène : Guillaume Gallienne. Chorégraphie : Clairemarie Osta. Dramaturgie : Marie Lambert-Le Bihan. Décors : Sylvie Olivé. Costumes : Olivier Bériot. Lumières : John Torres. Avec : Oscar Salomonsson, Pulcinella ; Alice Renavand, la Fiancée ; Iván Delgado Del Río, Stoyan Zmarzlik, un homme ; Manon Dubourdeaux, Anna Guillermin, une femme ; Stéphanie d’Oustrac, Concepción, Benoît Rameau, Gonzalve ; Philippe Talbot, Torquemada ; Jean-Sébastien Bou, Ramiro ; Nicolas Cavallier, Don Iñigo Gomez. Artistes de l’Académie de l’Opéra-comique. Orchestre des Champs-Élysées, direction musicale : Louis Langrée
L'Opéra Comique propose un délicieux diptyque autour du thème de la séduction, mis en scène et chorégraphié par deux artistes de la même génération, Guillaume Gallienne et Clairemarie Osta, réunis par Louis Langrée autour de l'Orchestre des Champs-Elysées. Pulcinella de Stravinsky et L'Heure espagnole de Ravel, deux œuvres que l'on peut regarder en miroir…
C'est en 1920 qu'Igor Stravinsky compose à Paris la première œuvre de sa période néoclassique, une suite formant un ballet intitulé Pulcinella à partir d'œuvres de Pergolèse. Le compositeur napolitain, bien que décédé à l'âge de vingt-six ans, avait laissé une quantité considérable de partitions lyriques, parmi lesquelles des opéras bouffes dont les parisiens avaient gardé la mémoire. C'est donc un pastiche musical que Stravinsky compose à partir de ces feuilles musicales pour élaborer un ballet dont les décors et les costumes furent créés à l'époque par Pablo Picasso. Ce ballet est chanté, bien que les airs n'aient aucun rapport avec la narration, accompagnant la danse comme le ferait un instrument de l'orchestre.
Clairemarie Osta en est la chorégraphe, pour son premier projet chorégraphique (lire notre interview). Le langage utilisé est varié : pour le personnage de Pulcinella, elle utilise des mouvements déliés, désaxés, explosifs, tandis que pour les personnages féminins, l'usage de la pointe, du langage néoclassique et de la forme classique des pas semblent refléter des personnages plus conventionnels. Cette différence convient bien au danseur choisi pour incarner Pulcinella, Oscar Salomonsson, dont le corps longiligne et les poses rêveuses tendent à séduire les jeunes femmes de la ville dont la hiératique Alice Renavand (la Fiancée), sensible à sa poésie. C'est un réel plaisir de voir l'Étoile de l'Opéra de Paris revêtir les pointes pour déployer son lyrisme et son travail expressif du haut du corps.
L'histoire du ballet fait appel à deux garçons virils et bagarreurs (Iván Delgado Del Río et Stoyan Zmarzlik) dont la danse est énergique et impulsive. De façon surprenante, l'action les conduit à persécuter Pulcinella, qui finit par simuler un suicide par pendaison avant de ressusciter à la fin du ballet. Enfin, les deux jeunes femmes, plus frivoles, (Manon Dubourdeaux et Anna Guillermin) ont le droit à deux variations en bonne et due forme leur permettant de défendre une technique française aboutie. Le ballet finit avec le baiser entre Pulcinella et la Fiancée, derrière un chapeau melon tenu par Pulcinella.
Le décor est construit autour d'une tour centrale d'où partent des escaliers sans fins, des espaces arrondis protecteurs et des arches, tels une peinture de Giorgio De Chirico. Dans la continuité de la dramaturgie, cet élément de décor est repris en partie pour la seconde partie de soirée, L'Heure Espagnole de Maurice Ravel dont le metteur en scène, Guillaume Gallienne, fait ressortir toute l'ironie mordante du compositeur.
Cette comédie musicale (terme voulu par Maurice Ravel) créée en 1910, dont la musique et le sujet paraissent plus modernes que Pulcinella, semble être la suite des amours du personnage de la commedia dell'arte. Cette fois-ci, c'est Concepción qui décide de l'homme qui bénéficiera de ses amours, le seul guide étant son désir virevoltant. Stéphanie d´Oustrac y est absolument fabuleuse. Grande actrice dans les tragédies lyriques, les facettes de son talent scénique se multiplient dans cette pièce où les affects expansifs sont sollicités sans pour autant nécessiter d'être poussés à leur paroxysme. Un juste équilibre auquel elle parvient avec brio. Son élu de cœur, Ramiro, est incarné par Jean-Sébastien Bou. La simplicité de sa mise, l'évidence d'un chant bien déclamé et le jeu de scène gourmand quand il monte et descend les escaliers avec ses horloges accompagnent une voix bien timbrée et claire dans sa diction. Philippe Talbot est le Torquemada naïf, mari trois fois trompé, ou presque, qui ne comprend pas très bien qu'il est le dindon de la farce, alors que Benoît Rameau est truculent dans les alanguissements et atermoiements du rimailleur Gonzalve, qui laisse passer l'amour. Enfin, le dernier prétendant de Concepción, Don Iñigo Gomez, alias Nicolas Cavallier, finit par se retrouver dans l'horloge, coincé par son embonpoint, aidé pour en sortir par le puissant Ramiro. C'est alors qu'en miroir de la première pièce, équilibrant les rapports amoureux entre les hommes et les femmes, Conceptión embrasse Ramiro derrière… un chapeau melon !
A la baguette, Louis Langrée, attentif aussi bien aux danseurs qu'aux chanteurs, accompagne amoureusement un Orchestre des Champs-Élysées chatoyant le long d'une soirée réjouissante aux visages multiples… telle que peut revêtir la figure de l'amour.
Crédit photographique: Alice Renavand, L'Heure Espagnole © S. Brion
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Paris. Opéra Comique. 9-III-2024. Igor Stravinsky (1882-1971) : Pulcinella, ballet avec chant en un acte, d’après Pergolèse. Maurice Ravel (1875-1937) : L’Heure espagnole, comédie musicale en un acte. Livret : Franc-Nohain. Mise en scène : Guillaume Gallienne. Chorégraphie : Clairemarie Osta. Dramaturgie : Marie Lambert-Le Bihan. Décors : Sylvie Olivé. Costumes : Olivier Bériot. Lumières : John Torres. Avec : Oscar Salomonsson, Pulcinella ; Alice Renavand, la Fiancée ; Iván Delgado Del Río, Stoyan Zmarzlik, un homme ; Manon Dubourdeaux, Anna Guillermin, une femme ; Stéphanie d’Oustrac, Concepción, Benoît Rameau, Gonzalve ; Philippe Talbot, Torquemada ; Jean-Sébastien Bou, Ramiro ; Nicolas Cavallier, Don Iñigo Gomez. Artistes de l’Académie de l’Opéra-comique. Orchestre des Champs-Élysées, direction musicale : Louis Langrée