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En route pour l’Amérique avec l’Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä et Yunchan Lim

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Paris. Philharmonie de Paris ; Grande Salle Pierre Boulez. 07-III-2024. Serguei Rachmaninov (1873-1943) : Concerto pour piano no 2 en ut mineur, op. 18. Yunchan Lim, piano. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie no 11 « L’Année 1905 » en sol mineur, op. 103. Orchestre de Paris, direction musicale : Klaus Mäkelä

En préparation d'une tournée américaine, l' et invitent le jeune prodige sud-coréen pour le Concerto n° 2 de Rachmaninov, avant de déployer leur ferveur dans une Symphonie n° 11 de Chostakovitch portée par une approche purement symphonique.

Plus jeune médaillé d'or de l'histoire du Concours Van Cliburn, est propulsé depuis sa victoire en 2022 dans une carrière fulgurante, où il a pu se montrer dès février 2023 en récital à la Fondation Vuitton, puis en ce début de saison à la Maison de la Radio. Maintenant devant l', il revient avec le compositeur qui l'a fait se démarquer de tous en finale du concours américain, mais avec le 2ème plutôt que le 3ème Concerto de Rachmaninov.

Prévu à la sortie de saison dans le 2ème de Prokofiev, plus en cohérence avec la suite du programme, le jeune Sud-coréen a privilégié pour sa première à la Philharmonie de Paris une partition qu'il connaît mieux, et qu'il jouera donc partout dans la tournée américaine de mars, sauf à Boston, où le fait d'avoir donné il y a deux semaines le 3ème de Rachmaninov avec le Boston Symphony Orchestra et Tugan Sokhiev lui impose en quelque sorte de revenir moins d'un mois plus tard avec un autre compositeur. À Paris, pour le plus grand bonheur d'une salle pleine à craquer les deux soirs, il entre devant un parterre rempli de fans pour livrer dès les premiers instants une proposition pleine d'assurance. D'une maîtrise technique incroyable, jamais vraiment démonstratif, il évolue dans le Moderato par une tendance à surutiliser la pédale, technique justifiable par le besoin de ressortir d'un orchestre au volume toujours très élevé.

L'Adagio sostenuto ne déploie pas beaucoup d'émotion à l'introduction orchestrale, ni ne cherche le pathos dans le toucher cependant délicat de Lim. Là encore très fort, l'accompagnement favorise la flûte solo plutôt que la clarinette de Pascal Moraguès, évitant ensuite tout côté sirupeux, mais au risque de perdre la puissance émotive de l'œuvre. La fin du mouvement remet en évidence l'excès de pédale, mais aussi une main droite très impressionnante dans la partie extrême-aigüe, d'une dextérité foudroyante encore pour les croches de l'Allegro scherzando. Sous les mains de ce tout jeune homme, qui fêtera ses 20 ans entre Montréal et New-York le 20 mars prochain, l'Étude n°7 op.25 de Chopin offerte en bis semble posséder tellement de notes qu'on la croirait presque transcrite par Godowsky.

Purement symphonique, la seconde partie remet en avant les qualités de l' sous la direction de , et retrouve les mêmes travers que dans d'autres concerts ces dernières saisons. Malgré son programme et un dramatisme tiré de la réelle tragédie de l'insurrection populaire de 1905, la Symphonie n°11 op.103 de Chostakovitch n'est présentée, comme Petrouchka en début de saison, que par son angle purement orchestral, fait pour mettre en avant la stature du chef finlandais de tout juste 28 ans. Guère pesant, le début de l'Adagio met en avant des violons pleins et concentrés, puis fait ressortir par les trompettes des couleurs plus proches des sensations nocturnes de la 7ème de Mahler que de la tension inhérente à la symphonie russe.

Orienté vers les contrebasses cinq secondes avant qu'elles ne doivent faire gronder leurs cordes, voulues particulièrement rappeuses, Mäkelä se tourne ensuite vers les violons pour les guider et amener avec lui le public dans sa découverte de la partition. Sans avoir laissé la moindre respiration avec le mouvement précédent, comme il le fera tout au long de l'œuvre pour éviter les applaudissements, il construit l'Allegro avec pour but principal d'en préparer son paroxysme, où les flûtes et piccolo acides sont parfaitement secondées par des cuivres rutilants, d'où se démarquent les trombones, remarquables. Avec de grands gestes, les bras parfois totalement écartés à l'horizontal, Mäkelä se sert de l'œuvre pour imposer sa prestance, astucieusement avec le petit doigt levé quand il faut être soucieux, puis le poing fermé quand il faut frapper du tutti. Les instants où la tension retombe sont mis en évidence par le fait que le chef baisse la tête, comme touché physiquement.

Très impressionnant par sa prise d'orchestre déjà parmi les meilleures du monde, Mäkelä joue de tous les contrastes inscrits dans la partition et fait exulter sa formidable machine orchestrale française, sans pourtant jamais véritablement créer de malaise, ni encore moins de résistance, les moments de violence se voyant oubliés à la seconde où ils s'atténuent. Malgré un timbalier flamboyant et une caisse claire d'une impitoyable rigueur, il ne fait ressortir presque aucune impression du mouvement lent, de même qu'il reste assez extérieur au Tocsin final, avec un cor anglais plus lumineux que touchant avant l'ultime climax. Suffisamment impressionnante pour laisser une grande majorité d'auditeur admiratifs aux saluts, l'interprétation s'achève par une cloche noyée dans la masse puis sur un sol conclusif étalé pendant de longues secondes dans la réverbération de la Philharmonie. Resté au milieu dans une posture harassée, tête penchée vers le sol, Mäkelä laisse entrevoir une tournée triomphale dans l'empire de la société du spectacle, où il se murmure déjà très fort qu'il prendra prochainement la direction d'une très grande formation.

Crédits photographiques : ResMusica (Lim, OdP) & ©  Mathias Benguigui ()

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