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Au Musée Guimet, l’ensemble Cairn à l’heure japonaise

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Paris. Auditorium du Musée Guimet. 7-III-2024. Kenta Onoda (né en 1996) : Bogosse, pour clarinette, violoncelle et accordéon ; Jérôme Combier (né en 1971) : Hoshizora, pour soprano, clarinette, accordéon microtonal et shō ; Misato Mochizuki (née en 1969) : Reading winds, pour violoncelle seul ; Dai Fujikura (né en 1977) : Ki i te, pour soprano solo ; Aurélien Dumont (né en 1980) : La lune s’éteindra-t-elle?, pour soprano, clarinette, accordéon hybride Xamp, shō et violoncelle ; Banshikicho no choshi, Sojo no choshi, anonymes (avant le 10ème siècle), pour shō. Ensemble Cairn : Michiko Takahashi, soprano ; Naomi Sato, shō ; Ayumi Mori, clarinette ; Fanny Vicens, accordéon microtonal ; Alexa Ciciretti, violoncelle.

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En lien avec l'exposition « A la cour du Prince Genji, 1000 ans d'imaginaire japonais », présentée par le Musée Guimet, et avec le soutien de la Fondation franco-japonaise Sasakawa, le concert donné par l' à l'auditorium du musée nous a fait voyager, entre waka et manga, en terre nippone.

Attribué à Murasaki Shikibu, Le Dit du Genji est un roman millénaire écrit à l'époque de Heian (XIᵉ siècle de notre ère) par une femme et pour un lectorat féminin. Il raconte la vie d'un de ces princes impériaux, d'une beauté extraordinaire, poète accompli et charmeur de femmes. Il a beaucoup été illustré et notamment tissé par le maître Yamaguchi sur trois rouleaux somptueux que l'on peut admirer au cours de l'exposition. On y découvre également la version manga du roman qui semble avoir inspiré le jeune compositeur Kenta Onada (étudiant au CNSMD de Paris et lauréat du prestigieux Prix Akutagawa) à qui la fondation Sasakawa a passé la première commande de cette soirée. Bogosse est écrit pour accordéon microtonal (), clarinette () et violoncelle (). Dans cette courte pièce, la tension monte, lentement mais sûrement, débouchant sur un épisode musclé du violoncelle auquel répondent les multiphoniques agressifs de la clarinette basse, laissant imaginer quelques conflits sous-jacents. La pièce s'inaugure et se referme par le geste violent de l'accordéoniste qui fait rugir son soufflet.

Yasuaki Itakura, directeur du Tokyo Sinfonietta, qui présente le concert, nous avait annoncé une surprise… celle de arrivant des coulisses en jouant un air traditionnel sur le shō, l'orgue à bouche japonais, un des rares instruments polyphoniques de la tradition asiatique : la beauté du geste hiératique et le son irradiant de cet instrument fascinent ; elle vient rejoindre ses deux partenaires, accordéoniste et clarinettiste, pour la pièce de , Hoshizora (« Nuit d'étoiles » en japonais) qui met en scène la soprano , élégante dans son ample tunique noire. Le texte est en japonais (un poème de Makoto Ōta) et la voix aussi richement timbrée qu'expressive, nappée, enveloppée, diffractée par les sonorités instrumentales dont le tissu microtonal ajoute au raffinement de la courbe vocale.

Du son au bruit, de l'énergie vibratoire à l'extinction du mouvement, de l'onde mouvante aux rafales, c'est la façon de « lire les vents » (Reading the winds Intermezzi VI), une pièce de 2019 pour violoncelle seul de la compositrice japonaise . Elle est entendue sous l'archet aussi puissant que véloce d' qui confère à cette musique de gestes un son tracé très singulier.

 

Ki i te (2017) pour soprano solo de est une vignette de deux minutes qui laisse apprécier, sinon le texte en japonais, le potentiel étonnant de la performeuse (Michiko avoue s'être libérée un rien de l'écriture) et le naturel facétieux de sa voix tout terrain. C'est en japonais également (l'original est en russe) et avec une belle sensualité qu'elle chante Trois poésies de la lyrique japonaise (1913) d'Igor Stravinsky, trois bijoux célébrant la nature et les fleurs blanches des cerisiers. La partition pour petit ensemble a été transcrite par pour shō, accordéon et clarinette, une formation qu'il maîtrise en fin connaisseur.

 

La dernière pièce, création mondiale d' et seconde commande de la fondation Sasakawa, est également introduite par le shō de , stase sonore d'une musique qui abolit le temps. Les cinq musiciennes de la soirée sont sur scène, chanteuse, shō, accordéon, clarinette et violoncelle. Notons que a changé d'instrument, jouant à présent sur l'accordéon microtonal hybride (fruit de la collaboration et ), un instrument « augmenté » qui intègre aux jeux d'anches la fertilité de l'électronique. Ainsi « des haut-parleurs choisis en fonction de l'ambitus de l'accordéon ont-ils été placés dans l'instrument selon une logique proche de celle des anches, la sélection des haut-parleurs se faisant par des boutons de registres électroniques », explique l'interprète.

Le titre, La lune s'éteindra-t-elle?, emprunte un vers d'un waka (poème) écrit par une « belle-du-soir » nommée Yugao (littéralement « visage du soir ») dont s'est épris le prince Genji. s'attache en effet à un chapitre du Dit du Genji, l'un des rares, nous dit-il, à introduire une part de surnaturel dans le récit. Passant la nuit avec la belle Yugao et sa suivante Ukon, Genji voit le spectre d'une femme terrasser sa bien-aimée. Elle perd connaissance et meurt à l'aube. C'est cet épisode tragique que l'écrivain Dominique Quélen, collaborateur fidèle d'Aurélien Dumont, raconte dans le texte en français que le compositeur lui a commandé ; le drame est relaté de trois points de vue différents, celui de Yugao, d'Ukon et du spectre lui même.

 

Le « monodrame » est donc à trois personnages, incarnés, et avec quelle vérité dramatique, par : le cri de Yugao tombant sous les coups du spectre est d'anthologie, qui nous fait frissonner jusqu'à la moelle dans une première partie entre voix parlée et chantée, susurrée et hurlée. S'expriment à travers les mots de Yugao, le malaise et le sentiment prémonitoire d'un drame que soutient et colore l'écriture instrumentale, avec cette qualité plastique (le violoncelle a une corde préparée) toujours recherchée par le compositeur. Le récit d'Ukon modifie l'énergie, écrit dans un autre registre de langage et entretenant le jeu des boucles, vocales et instrumentales, qu'aime activer Dumont ; d'une grande fraicheur, le chant de Michiko émeut, avec une clarté de diction rare, même chez les sopranos françaises! L'accordéon hybride est en vedette dans une troisième partie plus fantomatique où la voix de la chanteuse (doublée par celle de ) est traitée en direct, comme le ferait l'autotune. Le vibrato guttural de la soprano flirte parfois avec la technique vocale du Nô. L'aisance avec laquelle passe d'un registre à l'autre sidère, révélant, dans ce drame de poche, un vrai talent de tragédienne.

Crédit photographique : © Michèle Gagliano

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Paris. Auditorium du Musée Guimet. 7-III-2024. Kenta Onoda (né en 1996) : Bogosse, pour clarinette, violoncelle et accordéon ; Jérôme Combier (né en 1971) : Hoshizora, pour soprano, clarinette, accordéon microtonal et shō ; Misato Mochizuki (née en 1969) : Reading winds, pour violoncelle seul ; Dai Fujikura (né en 1977) : Ki i te, pour soprano solo ; Aurélien Dumont (né en 1980) : La lune s’éteindra-t-elle?, pour soprano, clarinette, accordéon hybride Xamp, shō et violoncelle ; Banshikicho no choshi, Sojo no choshi, anonymes (avant le 10ème siècle), pour shō. Ensemble Cairn : Michiko Takahashi, soprano ; Naomi Sato, shō ; Ayumi Mori, clarinette ; Fanny Vicens, accordéon microtonal ; Alexa Ciciretti, violoncelle.

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