L’histoire méconnue des imprésarios de 1850 à 1930

Les imprésarios et organisateurs de concerts sont omniprésents dans le fonctionnement du monde musical et pourtant méconnus. Laetitia Corbière réalise un travail de pionnier avec cet ouvrage sur ces intermédiaires qui ont joué un rôle déterminant en Europe et dans les Amériques entre 1850 et 1930. 

Les faits et les individus existent, mais selon le regard qu'on leur porte, ils existent… ou pas. Et l'histoire de la musique en est la démonstration. Quand on a commencé à s'intéresser à elle, cela a été l'affaire des mélomanes et des musicologues, sous un angle biographique ou intellectuel. Ce n'est que dans les années 1970 que la dimension sociale a commencé à faire l'objet de recherches, sur la musique et la classe moyenne par exemple, et dans les années 1990 sur la place des concerts au XIXᵉ siècle. L'historienne Laetitia Corbière apporte une dimension supplémentaire avec son approche transnationale, qui de ce fait s'avère d'une grande pertinence pour comprendre ces intermédiaires que sont les imprésarios, organisateurs de concerts et directeurs de théâtre. Car ceux-ci sont de par leur origine et leur parcours particulièrement mobiles, et tout comme les artistes ils ont étendu leur périmètre d'influence en même temps que se développaient les moyens de communication, train et paquebots transatlantiques en particulier.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les impresarios et intermédiaires ont laissé une marque dans l'histoire par leurs autobiographies ou par les recherches qui leur ont été consacrés. Mais qui connait l'impresario états-uniens Tony Pastor (1837-1908), l'agent viennois Albert Guttmann (1851-1915) ou le puissant organisateur allemand de concerts Hermann Wolff (1845-1902) ? En France, Gabriel Astruc (1864-1938) est un nom plus familier grâce à son projet spectaculaire du Théâtre des Champs-Élysées et sa brillante saison d'ouverture de 1913 avec la création du Sacre du printemps.

Résultat d'un impressionnant travail de recherche, rigoureux et documenté, fort de 400 pages de réflexion et d'analyse, l'ouvrage permet de suivre le développement de ce nouveau métier qu'est l'impresario aussi bien en Europe qu'aux États-Unis. Métier à haut risque, qui doit constamment s'adapter à de nouvelles conditions, que ce soit le goût du public, la montée des nationalismes, le développement des moyens de transports, les périodes, tour à tour fastes et maigres économiquement, qui alternent avec les années de de guerre, puis l'arrivée du disque et de la radio, qui rebattent à nouveau les cartes. Les revers de fortune sont une constante, presque un postulat de départ. Ces conditions très particulières ont joué un rôle dans la montée en puissance des familles juives moraves dans le milieu des impresarios new-yorkais au XIXᵉ siècle. Max Maretzek (1821-1897), Maurice Strakosch (1825-1887) et la famille Grau ont dominé ce petit milieu, l'explication se trouvant dans la forte culture musicale de Moravie (dont le plus illustre exemple est Gustav Mahler) allié à des conditions socio-économiques poussant un ou deux pionniers à ouvrir une voie, dans laquelle s'engouffrent ensuite d'autres membres de confiance, familles et relations. La France a connu ce phénomène de réseau social avec les Barcelonnettes, habitants de la vallée montagnarde de l'Ubaye qui s'exilèrent au Mexique pour faire fortune dans le commerce du textile et les grands magasins.

Pour bien entrer dans ce livre foisonnant, il est conseillé de commencer par l'introduction, qui permet de bien comprendre la réalité de l'apport de cette publication à notre connaissance du rôle des impresarios, et de se reporter ensuite à la conclusion, qui en fournit une synthèse claire et précise. De là, il n'y a plus qu'à se reporter aux sections détaillées, dont le contenu est clairement annoncé par des titres et sous-titres toujours explicites.

Parions que cet ouvrage va constituer le socle de nombreuses publications à venir, tant les impresarios constituent une thématique riche et méconnue.