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Le Paris de la modernité et le spectacle vivant au Petit Palais

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Le Paris de la modernité, 1905-1925, Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, jusqu’au 14 avril 2024

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Dans la lignée de « Paris romantique » et « Paris 1900, la ville spectacle », le Petit Palais consacre le dernier volet de sa trilogie au « Paris de la modernité », de 1905 à 1925. Cette exposition foisonnante croise les arts et invite à se plonger dans un Paris effervescent et cosmopolite, où se rencontrent des artistes venus du monde entier et de tous horizons, de Pablo Picasso à , en passant par les de , les Ballets Suédois ou .

Après une évocation du Montmartre et du Montparnasse du début du XXᵉ siècle, l'exposition propose de découvrir l'influence des salons parisiens, des révolutions technologiques et de la mode, incarnée par Paul Poiret, qui installe sa maison de couture dans un hôtel particulier sur les Champs-Élysées où il orchestre des fêtes mémorables. L'effervescence parisienne puise à la croisée des arts et de la mode, de la danse et de la musique, dont le grand ordonnateur sera .

Dès 1909, commande des œuvres nouvelles pour enrichir le répertoire des qu'il vient de fonder. Pour composer la musique de L'Oiseau de feu, il fait appel à un jeune compositeur : . Achevée en quelques mois, la partition surprend par sa nouveauté. Déroutée par cet avant-gardisme, la danseuse Anna Pavlova refuse de danser le rôle-titre. Sa remplaçante, Tamara Karsavina, ne parvient à assimiler la musique qu'avec l'aide du compositeur. L'œuvre est finalement accueillie triomphalement, le 25 juin 1910. Ces ballets radicaux, en rupture totale avec la danse académique qui a marqué la deuxième moitié du XIXᵉ siècle, dont les costumes sont souvent inspirés du folklore traditionnel russe, suscitent un véritable engouement et influencent aussi bien la mode que la joaillerie de l'époque, dont l'exposition est abondamment pourvue.

Le Théâtre des Champs-Élysées est ouvert !

Outre les célèbres lieux de création, concentrés à Montmartre et à Montparnasse, l'exposition évoque le quartier des Champs-Élysées et insiste sur son importance, jusqu'à présent méconnue, comme nouveau « théâtre des avant-gardes ». À son ouverture en 1913, le Théâtre des Champs-Élysées est en effet à la pointe de la modernité. Construit par Auguste et Gustave Perret, le bâtiment allie des matériaux et des technologies innovantes à une esthétique épurée. La composition du plan du Théâtre des Champs-Élysées et de sa façade découle de la configuration particulière de son ossature en béton armé, véritable squelette de l'édifice. Ses formes simplifiées et géométrisées se déploient dans un dessein de sobriété et d'unité. La façade, habillée de marbre opalin, suggère une interprétation moderne d'un temple grec. L'édifice contient en germe les tendances architecturales les plus nouvelles, annonçant l'art déco.

L'intérieur du Théâtre des Champs-Élysées est décoré par de nombreux artistes, supervisés par Antoine Bourdelle qui conçoit également la décoration sculptée de la façade. Le thème d'Apollon et les muses et les allégories des arts sont déclinés en frise et bas-reliefs. Pour La Danse, Bourdelle s'inspire des vedettes emblématiques que sont alors Isadora Duncan et . Le sculpteur parvient à retranscrire leur célèbre déhanchement dans le cadre contraint qui lui est imparti. Maurice Denis décore la coupole, où il propose une « synthèse de l'histoire de la musique ». Edouard Vuillard, Ker Xavier Roussel, Henri Lebasque participent à la réalisation des décors intérieurs. Jacqueline Marval conçoit un ensemble de dix tableaux pour le Foyer de la danse, situé dans les coulisses, autour du thème de Daphnis et Chloé. Les luminaires sont conçus par René Lalique.

La programmation, elle aussi d'avant-garde, est inaugurée par les , fondés par Serge Diaghilev, et dont le danseur vedette est . Le 29 mai 1913, sur la musique d', la troupe choque le public et la critique avec Le Sacre du printemps, faisant entrer l'œuvre et le Théâtre des Champs-Élysées dans la légende. Dans la chorégraphie, Nijinski impose des postures contraires à celles habituelles en danse classique : le buste fait face au public, tandis que la tête et les jambes sont de profil ; les jambes sont liées et les pieds sont en dedans au lieu d'être en dehors. Les costumes de Nicolas Roerich, ici montrés dans une reproduction réalisée par les ateliers de costume de l'Opéra national de Paris, sont jugés hideux et informes par le public : danseurs et danseuses sont vêtus de manière identique, avec de longues tuniques de toile portées sur des bas maintenus par des bandes molletières, qui uniformisent les corps.

Dans Le Sacre du printemps, voulait composer « un grand rite sacral païen » qui revienne aux sources primitives de la Russie ancienne. Il y développe un langage orchestral âpre, obsessionnel dont la « danse sacrale » finale constitue l'aboutissement. La force brutale d'un orchestre symphonique traité d'une manière révolutionnaire y explose, exprimant toute l'énergie survoltée d'une danse frénétique. Provoquant un immense scandale, Le Sacre du printemps, rebaptisé le « massacre du printemps », fait l'objet de caricatures, que l'on peut découvrir dans l'exposition. Le célèbre Sem représente ainsi Gabriel Astruc, le directeur du Théâtre des Champs-Élysées, dansant avec Nijinski, dans son costume du Spectre de la rose. Non loin, le cheval de course El Tango entame un pas de deux avec son jockey, tandis que le peintre et librettiste Federico de Madrazo y Ochoa, dit Coco, s'élance au bras d'un singe déguisé en femme, emprunté à un spectacle alors en vogue.

En 1912, Nijinsky produit sa première création en tant que chorégraphe avec L'Après-midi d'un faune. Sur la musique de Claude Debussy, ce ballet en un acte est conçu en étroite relation avec le décorateur et costumier Léon Bakst. Les mouvements des danseurs étudiés pour être vus – de profil s'inspirent des figures qui ornent les vases grecs. Les photographies du baron de Meyer, éditées par Iribe et montrées dans l'exposition, sont le seul témoignage de la scène finale ou le faune se couche sur l'écharpe de la nymphe désirée, choquant le public. Formé à l'école du ballet de Saint-Pétersbourg, Vaslav Nijinski fait encore partie de la troupe de danseurs des Théâtres impériaux lorsqu'il fait la connaissance de Serge Diaghilev. Dès la première saison des Ballets russes, il devient la vedette emblématique et charismatique de la compagnie. Le public se presse pour admirer à la fois sa technique spectaculaire et sa sensualité androgyne. Il marque d'une empreinte indélébile les rôles qu'il interprète et les ballets qu'il crée, entre 1909 et 1912.

La vie culturelle à Paris dans une France en guerre

La vie culturelle parisienne s'interrompt brutalement lorsque la capitale est déclarée en état de siège, en août 1914. Elle reprend progressivement à la fin de l'année 1915. Les salles de spectacle rouvrent peu à peu, et le public fréquente les cinémas pour se divertir. Avec la tenue du ballet Parade, en 1917, au Théâtre du Châtelet, cette période connaît, paradoxalement, une effervescence culturelle et des innovations artistiques majeures.

Pour le ballet Parade, réunit autour de lui des artistes d'avant-garde : Erik Satie pour la musique, Picasso pour les décors et les costumes, Léonide Massine pour la chorégraphie. L'argument est simple : devant l'entrée d'une baraque foraine, des artistes de cirque font la parade pour inciter le public à entrer, encouragés par leurs managers. Pour les personnages des managers, Picasso imagine un costume imposant, de près de trois mètres de haut, qui est ici exposé. Construit en bois, toile peinte et papier mâché, il entrave les danseurs et leur confère des allures d'automate. Le manager américain est équipé d'un mégaphone et porte sur le dos des gratte-ciel new-yorkais, sur lesquels flottent des fanions de paquebot. Picasso applique à ces costumes les codes esthétiques du cubisme et semble donner vie aux personnages de ses tableaux. Le 18 mai 1917, la première représentation au Théâtre du Châtelet provoque le scandale. La légèreté du propos, le son d'une sirène ou d'une machine à écrire intégrée dans la musique, le style cubiste des costumes : tout choque, en cette période troublée.

La paix retrouvée voit arriver les « Années folles », caractérisées par une intense activité artistique, sociale et culturelle. Venues du monde entier, des myriades d'artistes se ruent sur Montparnasse. Ceux-ci constituent ce que le critique André Warnod nomme, en 1925, l'École de Paris. Les salons, les galeries, les marchands, les académies libres se réorganisent. Les cafés deviennent des lieux de rencontres et d'expositions. Les artistes Soutine et Foujita connaissent de véritables succès. Kiki de Montparnasse est l'égérie de ce Paris des années 1920 qui vit aussi la nuit, avec ses premiers dancings. Le jazz est largement importé par les Américains, nombreux à venir en Europe pour échapper à la prohibition qui sévit chez eux. Certains, parmi eux, fuient aussi les lois ségrégationnistes américaines. Les bals se multiplient et concrétisent « l'union des arts ». Le Bal colonial (plus tard appelé « Bal nègre ») attire aussi le Tout-Paris, avec ses biguines martiniquaises.

En 1920, Raoul Dufy est chargé des décors du Bœuf sur le Toit, ballet-pantomime inventé par . Dans cette lithographie, il réunit tous les protagonistes de l'action : un barman, une dame décolletée, une dame rousse, un joueur de billard noir, un monsieur en habit, un jockey, un boxeur noir, un policeman. Les têtes disproportionnées des personnages rappellent les costumes imaginés par Guy-Pierre Fauconnet, caractérisés par une énorme tête en carton-pâte.

Les Ballets Suédois de Rolf de Maré

La même année, le Théâtre des Champs-Élysées renouvelle son répertoire avec les Ballets Suédois, sous la responsabilité du collectionneur Rolf de Maré. Celui-ci conçoit ces spectacles comme une œuvre d'art totale mettant en scène sa propre collection. La chorégraphie est assurée par le danseur suédois Jean Börlin jusqu'en 1925. Explorant les relations entre scène et tableau, Börlin repousse les limites de la danse dans ses interactions avec les arts plastiques. Les compositeurs du groupe des Six (Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre), réunis autour de Jean Cocteau, participent à certaines saisons – de même que les artistes Marie Vassilieff, dont une des poupées effigies utilisée dans des spectacles solis présentés au Théâtre des Champs-Élysées est présentée.

Irène Lagut joua dans la création du ballet Les Mariés de la tour Eiffel, dont elle conçut les décors. La musique de ce ballet est la seule œuvre collective du groupe des Six. Jean Cocteau en compose le livret et cherche à montrer la « vacuité d'un dimanche » : de jeunes mariés prennent leur petit déjeuner sur la tour Eiffel. Un bureau de télégraphie apparaît sur la plateforme ; un lion dévore un invité puis un « enfant du futur » surgit et tue tout le monde. Dans ce tableau accroché au Petit Palais, comme dans le décor qu'elle imagine, Irène Lagut s'inspire de la « poésie miraculeuse de la vie quotidienne » chère à Cocteau.

collabore, pour les costumes et la scénographie, au ballet suédois Skating rink à Tabarin (1922), dans lequel les danseurs évoluent sur une patinoire. Le spectacle fait référence au film Charlot patine (The Rink, 1916), dans lequel le pantomime incarne un serveur qui fait du patin à roulettes pendant ses pauses. Passionné de cinéma, s'inspire de cet « homme-image » de cinéma pour créer un pantin articulé : Charlot cubiste, qu'il décline en plusieurs exemplaires. L'un d'eux apparaît comme un emblème au début de son propre film, Ballet mécanique.

Pour son ballet Skating Rink, Rolf de Maré demande à Léger de mettre en images la rencontre entre un « fou » et une « femme » sur la patinoire d'une « métropole ». L'artiste propose de créer des groupes contrastés « dans un esprit cassant et brusque ». Il oppose ainsi les « ouvriers » en « costumes populaires » aux « mondains » en habit de « soirée fantaisie », les hommes aux vêtements rayés et anguleux aux femmes aux tenues arrondies. Ses costumes géométriques, dont les maquettes sont exposées, font corps avec le décor cubiste très coloré et donnent une impression de mouvement.

Cinéma et danse, cubisme et surréalisme

Avec Ballet mécanique, réalise son propre film, en s'entourant du photographe Man Ray, du réalisateur américain Dudley Murphy et du compositeur Georges Antheil. Inspiré du rythme saccadé et du mélange d'images du film dada Entracte, il fait défiler des objets industriels, des détails typographiques et des figures géométriques, suivant une logique fragmentaire purement visuelle. Multipliant les gros plans et les effets cinétiques, il soumet les figures humaines au rythme saccadé d'une gestuelle mécanisée.

Le film Entr'acte de Francis Picabia et René Clair, est projeté au milieu du ballet suédois Relâche. Décousue, l'action du film est articulée autour d'un cortège nuptial, en proie à une course-poursuite échevelée à travers Paris. La jupe d'une danseuse vue de dessous revient de manière récurrente. Ce film est inspiré de La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, dit « Le Grand Verre », de Marcel Duchamp. Très bon joueur d'échecs, celui-ci apparaît dans le film, s'adonnant à une partie avec Man Ray.

Pour illustrer l'histoire des origines de l'humanité vue par Blaise Cendrars, Fernand Léger s'inspire pour le ballet La création du monde des planches de Negerplastik, de Carl Einstein, et de African Negro Art : Its Influence on Modern Art de Marius de Zayas. La toile de fond évoque le chaos originel et trois déités monumentales fichées au sol. Les costumes, conçus comme des sculptures, participent à la scénographie et donnent l'impression d'un tableau en mouvement. Masqués par le dispositif scénique inventé par le peintre, les danseurs créent l'illusion d'une peinture mouvante.

La Revue nègre et la sensation

Après le départ des Ballets suédois, le Théâtre des Champs-Élysées accueille La Revue nègre en octobre 1925. Arrivée des États-Unis, la jeune fait sensation avec ses danses trépidantes. Accueillie à Paris dans une société non régie par des lois de ségrégation, elle adopte la France comme patrie de cœur.

Après la dissolution des Ballets suédois, le Théâtre des Champs-Élysées est transformé en « opéra music-hall », au printemps 1924. La Revue nègre, programmée en octobre, sera son plus grand succès. Les numéros de danse illustrent sept tableaux, avec en toile de fond le Mississippi, New York et ses gratte-ciels. Le talent et la plastique de Joséphine Baker éclatent aux yeux du public. Dansés sur du jazz et au rythme du charleston, ses mouvements déhanchés déchaînent les polémiques. La dernière scène de la « danse sauvage » avec son partenaire est particulièrement sulfureuse. Jouant sur les contrastes, Joséphine s'affiche le soir dans des robes sophistiquées, extrêmement élégantes.

Née à Saint-Louis, dans le Missouri, Freda Joséphine McDonald (1906-1975) travaille, enfant, comme domestique. Elle s'impose au music-hall grâce à son jeu de jambes « en caoutchouc » et son sens du burlesque. Métisse, elle est grimée en « blanche » ou en « noire » suivant les spectacles. Repérée au Plantation Club de New York, elle intègre La Revue nègre à Paris. La jeune danseuse de l'affiche de Paul Colin ci-dessus est inspirée d'un dessin de Miguel Covarrubias paru dans Vanity Fair ; mais Joséphine Baker se confond très vite avec ce personnage de Jazz Baby qui laissera des traces jusqu'à l'aube de la Seconde Guerre mondiale.

Crédits photographiques :
Le Paris de la Modernité © Musée PP Paris Musées Gautier Deblonde
Jean Cocteau, Autoportrait, « Écrivez lisiblement », 1919. Musée Jean Cocteau, Menton © ADAGP Paris, 2023. © Musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman, Menton / Photo Serge Caussé.
Van Dongen, Josephine Baker au Bal nègre, 1925 © AKG images, © ADAGP, Paris, 2023
Paul Colin, La Revue Nègre, 1925 © RMN-Grand Palais (Château de Blérancourt), Gérard Blot

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