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Le Trio Metral pour un programme Chausson-Ravel éloquent et racé

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Ernest Chausson (1855-1899) : Trio à clavier, en sol mineur op.3. Maurice Ravel (1875-1937) : Trio à clavier en la mineur, M.67. Trio Metral. 1 CD La Dolce Volta. Enregistré du 20 au 23 février 2023 en la Salle de l’Esplanade de l’Arsenal de Metz. Notice de présentation sous forme d’interviews croisées des artistes en français, anglais et japonais. Durée : 59:13

 

Le trio à clavier Metral dans sa nouvelle configuration nous revient au  disque, avec ce couplage Chausson/Ravel désormais (presque) classique mais trouvant sa juste place au sein d'une discographie pourtant pléthorique et particulièrement relevée.

Difficile d'envisager, au sein de l'école chambriste française, deux œuvres aussi antinomiques – et aussi complémentaires dans l'exploitation de la formule  – que les trios à clavier composés à trente ans de distance par et . Le premier d'un spleen tout baudelairien, et d'un puissant épanchement romantique, opus 3 d'un jeune homme de 28 ans alors récemment recalé au Prix de Rome, paie un lourd tribut à un certain wagnérisme ambiant et à l'enseignement du maître César Franck, par ses incessantes modulations, ou par l'usage intensif de thèmes cycliques au fil de ses  mouvements. Le second, d'une écriture instrumentale beaucoup plus éclatée, sorte d'ivre retour au Pays basque natal – notamment dans le modéré initial, au rythme caractéristique de zortziko – ouvre la voie autant à un certain néo-classicisme (au gré du pantoum et surtout de la passacaille) qu'avec une expression pathétique plus inhabituelle sous la plume ravélienne – les « sonneries » du final  Animé résonnant tel un appel à la mobilisation générale en ce début de Grande Guerre.

Si le Trio de Ravel est l'un des incontournables du répertoire, et sans doute l'un des chefs-d'œuvre pour la formule au XXᵉ siècle, celui de Chausson est beaucoup moins fréquenté au disque comme au concert, sans constituer, comme le dit un peu vite le texte de présentation, une rareté absolue. Depuis le disque historique de référence, au mitan des années 80 du Beaux-Arts Trio (Philips-Decca à rééditer), ces deux chefs-d'œuvre très typés ont été d'ailleurs réunis plusieurs fois, et souvent pour le meilleur, au disque : citons entre autres les enregistrements du Trio Wanderer (Harmonia Mundi), du Wiener klaviertrio de (MD+G), ou de et de ses partenaires japonaises (Onyx)…

Fondé voici une petite dizaine d'années, le était à l'origine une fratrie, laquelle nous a laissé d'assez remarquables disques : Mendelssohn chez Aparté, et plus récemment un passionnant couplage Chostakovitch–Weinberg déjà pour La Dolce Volta. L'ensemble nous livre son premier enregistrement dans sa nouvelle configuration. a remplacé Justine au violoncelle en juin 2021. C'est une chambriste patentée, à la sonorité royale, à l'expression à la fois sobre et juste, dévouée à l'entière expression musicale globale du groupe – entre moments élus, purs instants de bonheur musical, citons l'exorde passionné de l'animé initial ou le développement de l'assez lent du Trio de Chausson ou l'énoncé simple et pudique du thème contrepointé de la Passacaille de Ravel. Le violoniste , par ailleurs nommé comme l'un des trois violons super-soliste de l'Orchestre philharmonique de Radio France depuis quelques mois, a pris la succession de Joseph à l'été 2022. Sans aucun doute, c'est là un artiste d'exception, mais à la personnalité plus tranchée, a priori moins consensuelle. La sonorité de son violon Stephan Von Baer, spécialement construit pour lui, est très franche, voire légèrement gercée dans l'aigu (par exemple lors des climaxes du trio de Ravel). Il y a ça et là quelques tics d'émission (quelques notes attaquées légèrement par le dessous dans le Chausson) voire une certaine verdeur d'expression dans le registre suraigu, surtout dans les fortissimi. Le vibrato (par exemple au fil du mouvement lent du Chausson) peut sembler un peu large et assez différent de celui, plus sobre et mesuré, de . Ces quelques détails n'oblitèrent en rien un collégial travail de fond, une cohérence d'approche et une profonde connivence musicale entre les deux cordes, ce juste après quelques mois de travail commun – dont le présent CD est un instantané. « Nous sommes d'abord au service de l'œuvre et notre identité sonore n'aura de cesse de se définir avec le temps », déclare d'ailleurs dans le livret le jeune violoniste.

Mais, avant tout, il convient de saluer l'exemplaire souplesse, le grand sens  du dessin et des contrastes ou encore l'exceptionnel sens de l'écoute du pianiste , véritable primus inter pares, et donc seul « rescapé » de l'ancienne équipe familiale. L'impeccable conduite du discours global depuis le clavier, au fil du redoutable trio de Ravel, fait presque oublier l'exigeante virtuosité pianistique de la partition – par exemple au fil bondissant pantoum, ici aux sortilèges vraiment ensorcelants, ou du pathétique final, aux contrastes quasi symphoniques. Victor Métral allège aussi considérablement la pâte sonore au fil du trio de Chausson, parfois un peu lourdement écrit sur le strict plan pianistique, et y sertit pour ses partenaires un magnifique écrin sonore, juste point d'équilibre entre cordes et clavier. L'on devine l'empreinte pédagogique et l'incitation à l'intense réflexion prodiguée par – sorte de mentor de la formation, auquel il est rendu un hommage appuyé au fil de l'interview de présentation.

Voilà donc un parfait portrait d'une jeune formation française en plein renouveau et en total redéploiement d'activités. Avouons avoir globalement préféré, dans ce couplage, l'approche à la fois intuitive et très mesurée de l'augural Trio de Chausson, à l'éloquence quasi opératique dans le maniement des contrastes : sans renier l'aura tragique de l'œuvre, les Metral y instillent une grande variété de touches, avec ces grandes phrases lyriques pleine d'espérance – telles ces premières pages du final,- ou encore au gré du vite, sorte de scherzo ici nimbé d'un mélange salvateur de verve et d'humour bien venu.

L'approche du Trio de Ravel demeure, à notre gré, un soupçon trop linéaire : (il est) « au cadre si précis qu'il suffirait presque de ne jouer que ce qui est écrit » (). Mais précisément, la Passacaille file un rien trop droit, un soupçon superficielle, sans l'âpreté méditative attendue, déployant « seulement » – si l'on ose écrire – pli selon pli au fil de ses variations enchaînées la juste probité de son cantabile de son arche dynamique, là où le modéré liminaire souligne malgré un large éventail de nuances davantage le projet architectural et la pureté du dessin plutôt que la variété des couleurs, plus enivrantes et patentes, par exemple dans la superbe version, plus aquarelliste, du Trio Dali (Fuga Libera, Clef ResMusica). Mais ailleurs on retiendra l'espièglerie chavirante du Pantoum et la tragique exacerbation du final, rarement rendu avec une telle énergie, aussi exubérante que ruptrice, en ses mesures conclusives.

Signalons pour conclure, enfin l'excellente prise de son et la fine direction artistique de , en la salle de l'Esplanade de l'Arsenal de Metz, en total connivence avec l'approche élégante des interprètes, contribuant largement à la réussite de ce très beau disque, hautement recommandable, nonobstant quelques menues réserves, signé par une très talentueuse formation française « à suivre » de la jeune génération.

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Ernest Chausson (1855-1899) : Trio à clavier, en sol mineur op.3. Maurice Ravel (1875-1937) : Trio à clavier en la mineur, M.67. Trio Metral. 1 CD La Dolce Volta. Enregistré du 20 au 23 février 2023 en la Salle de l’Esplanade de l’Arsenal de Metz. Notice de présentation sous forme d’interviews croisées des artistes en français, anglais et japonais. Durée : 59:13

 
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