Matthew Bourne pour un Roméo et Juliette très british au Châtelet
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Rencontre avec Matthew Bourne, le plus célèbre des chorégraphes britanniques, qui revient à Paris avec une version étonnante du drame de Shakespeare, rebaptisé Romeo + Juliet, enfermés dans un curieux institut pour ados en mal de vivre.
Anobli par le Prince Charles pour bons et loyaux travaux au service de la danse en 2016, il est en effet l'homme qui relit les grands ballets classiques et relie la danse à un public immensément populaire. Lorsqu'il remonte Le Lac des Cygnes en 1994, on y voit un Prince Charles dépressif, ragaillardi par une bande de cygnes mâles. Lorsqu'il réinvente Cendrillon, elle vit sous les bombardements londoniens de 1940 et tente de ne pas se séparer de son amoureux pilote de la Royal Air Force. Casse-Noisette débute dans un orphelinat à la Dickens avant de partir au pays du rock n'roll des sixties. Lorsqu'il ne monte pas un fabuleux Edouard aux mains d'argent très burtonien, il lorgne aussi du côté des Chaussons rouges ou de Mary Poppins.
ResMusica : Votre récente relecture d'un ballet classique, Roméo et Juliette, crée en 2019, est présentée au Théâtre du Châtelet, à Paris, du 9 au 28 mars. D'où vient que le monde de la danse se soit beaucoup intéressé à ce drame de Shakespeare ?
Matthew Bourne : Parce qu'il y a tout, dans cette histoire, qui soit propice à un ballet. Une tragédie, une histoire d'amour, de la passion donnant lieu à des duos amoureux qui tranchent avec des situations de conflits, des personnages très forts… C'est de surcroît, pour moi, une œuvre britannique… Et c'est aussi une très grande partition.
RM : Justement, vous avez choisi d'arranger la partition de Prokofiev, en proposant une réorchestration pour quinze musiciens, lesquels peuvent jouer jusqu'à deux ou trois instruments différents. Quelle en était la raison ?
MB : Il s'agissait pour moi de créer un univers clos et très intimiste. La partition originale de Prokofiev allait prendre trop d'ampleur pour mon projet scénographique. Je voulais aussi un son qui réponde à cette urgence que l'on trouve dans la chorégraphie.
RM : Ce qui donne une tonalité très contemporaine. Qu'en ont pensé les héritiers de Sergueï Prokofiev ?
MB : Nous sommes chanceux car nous nous entendons très bien avec la famille Prokofiev. Oleg, le fils du compositeur, qui était peintre et sculpteur, était venu dessiner les danseurs lors de notre Cendrillon, crée en 1997. La famille avait beaucoup aimé cette relecture qui se déroule durant la Blitzkrieg de Londres, sous les bombes. Le grand amour de Cendrillon étant alors un pilote de la Royal Air Force… Du coup, mon projet sur Roméo et Juliette a été validé très facilement par la famille, notamment son petit-fils qui est aussi compositeur.
RM : Vous avec travaillé sur les musiques de Tchaïkovski (pour vos Lac des Cygnes, Belle au bois dormant, Casse-Noisette) et de Prokofiev (Cendrillon, Roméo et Juliette). Avez-vous une affection particulière pour la musique russe ?
MB : Oui, parce qu'elle est éminemment dramatique, et parce qu'elle sait raconter des histoires. C'est important pour un chorégraphe qui fait des ballets narratifs…
RM : Votre Roméo + Juliet ne déroge pas à votre manière de travailler qui consiste à recontextualiser les grands ballets classiques dans un univers plus proche de nous, et très cinématographique. Ici, Roméo et Juliette se rencontrent au « Verona Institute » qui est un lieu clos pour jeunes gens dont on ne sait pas très bien ce qui leur est arrivé. Pourquoi avoir choisi un lieu mystérieux et peu explicite ?
MB : Je voulais justement laisser libre cours au spectateur d'imaginer où il se trouve. Que le lieu soit vague est tout à fait intentionnel. Pourquoi ces jeunes gens sont là ? Est-ce un hôpital ? Une école, une prison ? Sont-ils là parce qu'ils ont un comportement qui n'est pas « conforme » ou jugé subversif ? A chacun de se faire une idée, c'est au spectateur de décider…
RM : Ce qui est clair en revanche, c'est que les personnages changent (Tybalt est le gardien-flic des lieux, Frère Laurent est une femme pasteure..) et que vous réécrivez même un petit peu l'histoire sur certains points…
MB : Oui, je l'avoue, par la danse, je me suis permis de ne pas suivre l'histoire complètement à la lettre… Ce qui n'aurait pas été possible si j'avais fait une mise en scène de théâtre. Mais ne dévoilons pas les changements !
« Je voulais absolument avoir des artistes proches de l'âge des rôles. »
RM : Vos danseurs sont très jeunes et vous avez fait des auditions très particulières pour cela.
MB : Oui, je voulais absolument avoir des artistes proches de l'âge des rôles. Juliette n'a que 13 ans et Roméo est un peu plus âgé. Du coup, nous avons fait des castings dans tout le pays, parfois dans de petites écoles de danse, et avons découvert quelques merveilles. C'était important d'aider à faire éclore une jeune génération de danseurs, surtout des garçons. Nous avons également créé une « Swan School » qui permet à des danseurs de venir s'entraîner pour auditionner ensuite dans la troupe. C'est aussi un moyen pour moi, de travailler davantage sur la diversité.
RM : Vos danseurs sont quasiment tous britanniques, alors que vous êtes connu dans le monde entier. N'avez-vous pas de danseurs étrangers qui vous contactent pour intégrer votre compagnie ?
MB : Si bien sûr, mais je ne fais aucune audition à l'étranger. En fait, avoir des danseurs britanniques est important parce qu'il y a une dimension théâtrale dans leur formation et leur travail, qui est essentielle pour intégrer mon univers. Je dois reconnaître que je suis typiquement « british » dans mon esprit, mon travail créatif et mes sujets d'inspirations.
« J'ai besoin de créer des ballets qui, avant toute chose, racontent une histoire, avec des danseurs qui sont d'abord et avant tout des personnages qui vivent une aventure. »
RM : Vous avez commencé fort tard à pratiquer la danse. Quel impact cela a-t -il sur votre processus de création ?
MB : J'ai en effet pris mes premiers cours en studio qu'à l'âge de 22 ans après avoir étudié la théorie au centre Laban. Je n'ai vu mon premier ballet qu'à 18 ans et c'était… Le Lac des cygnes ! Mes vraies sources d'inspirations sont donc avant tout du côté des comédies musicales et du cinéma. Petit, j'allais glaner des autographes à la sortie des théâtres londoniens. J'étais plus fan de Fred Astaire et Gene Kelly que des grands danseurs de ballet de l'époque. D'où mon besoin de créer des ballets qui, avant toute chose, racontent une histoire, avec des danseurs qui sont d'abord et avant tout des personnages qui vivent une aventure, en les dansant. D'ailleurs, pour Roméo + Juliet, j'ai donné aux danseurs une longue liste de films à voir, tournant autour de l'enfermement (la prison ou l'hôpital) afin qu'ils s'en inspirent…
RM : Vos œuvres sont exclusivement dansées par votre compagnie, la New Adventures. On imagine que beaucoup de troupes vous les demandent pour les inscrire à leur répertoire, non ?
MB : Le seul ballet que j'ai donné à une autre troupe, c'est ma version de La Sylphide (Highland Fling), pour le Scottish ballet, ce qui faisait sens, vu que le sujet se déroule en Écosse. Mais sinon, je garde mes ballets pour ma compagnie. Nous tournons énormément et il faut qu'elle ait son répertoire ! Je ne suis pas sûr non plus que d'autres troupes peuvent s'emparer facilement de mon style. Et puis, il y a la question des royalties. Ce sont des œuvres qui coûtent cher.
RM : Mais les grands ballets de maison d'opéra ont ces moyens-là. S'ils vous le demandaient, y réfléchiriez-vous ?
MB : Oui, pourquoi pas, je ne serai pas si malheureux de le faire, en effet….