Strauss et Mahler par Rafael Payare et Sonya Yoncheva : une réussite contrastée
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Richard Strauss (1864-1949) : Ein Heldenleben (Une vie de héros) op. 40. Gustav Mahler (1860-1911) : Rückert Lieder. Orchestre symphonique de Montréal, Sonya Yoncheva, soprano, Rafael Payare, direction. 1 CD Pentatone. Enregistré à la maison symphonique de Montréal, Canada, les 28 et 31 mars 2023. Notice de présentation en anglais et français, poèmes traduits en anglais et français. Durée : 64:15
PentatoneAssocier les Rückert Lieder de Mahler avec Sonya Yoncheva, et la Vie de héros de Richard Strauss est un défi que Rafael Payare et l'Orchestre symphonique de Montréal relève avec une réussite contrastée.
Coupler Strauss et Mahler dans un même concert n'est pas si évident. Les deux contemporains se connaissaient, s'appréciaient mais restaient chacun dans une démarche étrangère à l'autre. Cela, le mélomane ordinaire le ressent : là ou Strauss fait étalage de son génie musical et de sa belle personne, Mahler se retourne en lui-même et explore les limites du désarroi. Il y a même une franche antinomie entre le poème symphonique clairement autobiographique de Strauss, très extraverti et si modestement nommé « Une vie de héros », et le cycle Rückert Lieder de Mahler où celui-ci décrit – une fois de plus – les souffrances intimes de l'amour non partagé. Cette opposition, Payare l'amoindrit, et c'est ce qui fait à la fois l'intérêt et le problème de ce disque.
Le symphonique de Montréal est dans ses meilleurs jours, de ceux qui construisent son histoire marquée par les grands chefs comme Charles Dutoit ou Kent Nagano. Les sonorités sont superbes, et le bonheur à jouer est communicatif. Les cordes glissent, tendres mais pas mielleuses, les cuivres éclatent, brillants sans acidité. Payare tient son monde avec une grande précision, et laisse couler une simplicité salutaire dans l'ensemble de la construction. Fi de l'hédonisme, des accès de narcissisme, fi des emportements soi-disant héroïques : c'est la vie d'un homme simple et ordinaire qui est décrite ici, avec ses combats, ses problèmes, ses amours, dans un sentiment d'humanité humble et tendre. En quelque sorte, c'est ce qui fera le terreau de la sublime Frau ohne Schatten, vingt ans plus tard. Rien de révolutionnaire dans cette interprétation de Payare, qui s'inscrit dans la lignée de Rudolf Kempe, mais la fidélité à Strauss avec cette touche de sérénité et d'humilité est assez irrésistible.
Si le Strauss de Payare tend avec bonheur vers l'introspection, son Mahler tend malheureusement vers l'hédonisme. Les belles couleurs de l'orchestre se prolongent, les lignes straussiennes semblent perdurer aux dépens des âpretés de Mahler, ce qui lui est dommageable. Pour ne rien arranger, Sonya Yoncheva déverse des flots de crème sonore sur la partition, avec son timbre splendide, pulpeux et rayonnant. Mais sans diction, à quoi bon chanter des Lieder ? La déception est d'autant plus grande que son talent de coloriste est réel : son dernier « Ich bin der Welt abhanden gekommen » est superbement ombré, avec des larmes dans la voix qui révèlent un vrai potentiel pour le Lied. Mais sans consonnes, il n'y a pas moyen de servir le texte. Le chant devient vain et l'exécution décorative. Hélas !
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Richard Strauss (1864-1949) : Ein Heldenleben (Une vie de héros) op. 40. Gustav Mahler (1860-1911) : Rückert Lieder. Orchestre symphonique de Montréal, Sonya Yoncheva, soprano, Rafael Payare, direction. 1 CD Pentatone. Enregistré à la maison symphonique de Montréal, Canada, les 28 et 31 mars 2023. Notice de présentation en anglais et français, poèmes traduits en anglais et français. Durée : 64:15
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