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Andris Nelsons et le Gewandhausorchester à Paris : Tchaïkovski, sinon rien !

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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez.
2-III-2024. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Concerto pour violon en ré majeur op. 35 ; Symphonie n° 5 en mi mineur op. 64. Leonidas Kavakos, violon. Gewandhausorchester Leipzig, direction : Andris Nelsons.
3-III-2024. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Le Voïévode, ballade symphonique op. 78 ; Hamlet, fantaisie symphonique d’après Shakespeare op. 67 ; Symphonie n° 6 dite « Pathétique » en si mineur op. 74. Gewandhausorchester Leipzig, direction : Andris Nelsons.

Reconnu comme un de ses compositeurs fétiches, revient à Tchaïkovski à l'occasion de deux concerts à Paris dans le cadre d'une tournée européenne du Gewandhausorchester dont il est actuellement le directeur musical.

Les affinités entre et Tchaïkovski sont une histoire ancienne, concrétisée par un large cycle déjà consacré au compositeur russe, gravé avec le City of Birmingham pour le label Orfeo, alors que le chef letton en était le directeur artistique et chef principal entre 2008 et 20015. C'est aujourd'hui à la tête du Gewandhausorchestrer dont il est chef permanent depuis 2018, qu' revient à ses premières amours avec au programme de ce premier concert, le Concerto pour violon (1881) interprété par et la Symphonie n° 5 (1888).

Pilier du répertoire violonistique, le Concerto pour violon (1881) dont donne une interprétation parfaitement léchée ouvre le concert. On apprécie dès l'entame de l'Allegro moderato initial la belle sonorité et la projection puissante du Stradivarius « Willemote » de 1734 dans l'énoncé du célèbre thème. Fortement inspiré de la Symphonie espagnole de Lalo, Kavakos y affiche d'emblée une virtuosité sans faille, se déployant sur une dynamique ardente, avec force rubato, dans une étroite complicité (flûte) avec l'orchestre. La Canzonetta, élégante et nostalgique, magnifiquement mélodique, est l'occasion de faire valoir l'émouvant legato du soliste dans un dialogue élégiaque avec la petite harmonie avant que l'Allegro vivacissimo ne renoue avec une ébouriffante virtuosité, chargée de couleurs et d'entrain, rehaussée d'importantes variations agogiques, dans une péroraison endiablée aux accents folkloriques tziganes. Dans un saisissant contraste, un bis emprunté à Bach parachève un triomphe bien mérité.

D'un tout autre climat, la Symphonie n° 5 (1888) constitue le second volet de la trilogie du fatum qui trouvera son accomplissement avec la Sixième symphonie, parcourue tout au long de ses quatre mouvements par le thème inquiétant et récurrent du destin. Andris Nelsons nous en livre une interprétation très consensuelle, appariant adroitement lyrisme et drame dans un juste équilibre, sans céder à l'âpreté et à l'urgence de certaines lectures russes, ni au pathos un rien sirupeux d'autres visions occidentales, servi de bout en bout par une phalange saxonne de qualité superlative, tant au niveau individuel que collectif.

Débuté dans l'abattement et la douleur au son des sombres clarinettes, le premier mouvement Adagio-Allegro con anima fait rapidement état de la souplesse des cordes et de la rutilance des vents dans ce mélange savamment dosé de soumission et de révolte, sur une dynamique soutenue mais sans urgence, riche en nuances rythmiques et dynamiques. L'Andante cantabile fait la part belle aux cordes graves dans l'évocation d'une consolation teintée de mélancolie, exaltée par la noble cantilène du cor solo, du hautbois et les beaux contrechants de clarinette, avant la réapparition inquiétante, dans une coda très théâtrale, du thème du Destin clamé fortissimo par les trompettes. L'Allegro moderato suivant déroule, sans trace de drame, une valse dansante et élégante confiée aux cordes et à la petite harmonie interrompue par la résurgence du sinistre thème, avant que le Finale ne fasse feu de tous ses pupitres dans une grandiose cavalcade du tutti, véritable course à l'abîme scandée par de tonitruantes timbales où l'on admire, là encore, la clarté de la mise en place, la cohésion orchestrale et la maestria de la direction.

Tchaïkovski, encore et encore pour le deuxième concert…

…dans un programme qui associe la rare Ouverture du Voïévode, l'Ouverture -fantaisie Hamlet et la Symphonie n° 6, dite « Pathétique. Si l'Ouverture du Voïévode et l'Ouverture-fantaisie Hamlet fournissent à Andris Nelsons deux superbes occasions de mettre en avant ses qualités de conteur et de coloriste sur des phrasés très narratifs, la Symphonie n° 6 dite « Pathétique » déçoit quelque peu par son manque de tension, s'égarant rapidement dans une lecture par trop analytique.

La ballade symphonique, Le Voïévode, créée à Moscou en 1891 vaut surtout par sa rareté en concert autant que par la présence anecdotique du célesta que Tchaïkovski fut le premier à introduire dans une œuvre symphonique. Inspiré d'un poème polonais de Mickiewicz traduit par Pouchkine, cette ballade nous conte les malheureuses amours d'un officier qui découvre sa femme adultère. Demandant au cosaque qui l'accompagne de tuer l'infidèle, le cosaque se retourne contre son maitre et le tue d'une balle dans la tête. Histoire pour le moins surprenante dont Andris Nelsons donne une lecture lumineuse se déployant en trois parties, subdivisées par les interventions de la clarinette basse : d'abord une progression dynamique impétueuse et violente évoluant par vagues chargées d'urgence et d'inquiétude qui simule l'arrivée au galop de l'officier ; puis, un épisode lyrique imprégné d'attente, chargé de sensualité et de passion (célesta, harpe) correspondant à la scène des deux amants  ; enfin, le drame terminal avec coup de fusil et agonie mettant en branle les sonorités graves des timbales, percussions, cuivres et tuba. Tout cela rondement mené sur un phrasé très narratif, haut en couleur.

S'inscrivant dans la même veine narrative, Hamlet (1888) fait chanter l'orchestre dans une succession d'épisodes très contrastés qu'Andris Nelsons met en place avec une maestria captivante, alternant  un épisode sombre initial (cordes graves et timbales) qui annoncent le drame ; des appels de cor portés par un beau crescendo du tutti et un coup de tam-tam correspondant au surgissement du spectre ; une section plus lyrique et effusive (hautbois, clarinette, cor anglais) qui évoque la passion amoureuse ; puis une marche conclusive, heurtée, jusqu'au mortel combat (fanfares de cuivres) conclue sur un fond de timbales funèbre…

La Symphonie n° 6 dite « Pathétique » (1893) devait conclure en beauté ce remarquable concert et, contre toute attente, c'est dans ce dernier épisode de la trilogie du fatum, véritable requiem (Tchaïkovski se suicidera quelques mois plus tard) qu'Andris Nelsons peine à convaincre totalement, ne parvenant pas à maintenir la tension et la cohésion d'un discours qui se perd rapidement dans une lecture trop analytique lâchant bien souvent la proie pour l'ombre, pénalisée par un tempo exagérément lent et une gestion contestable de l'agogique. Dans une vision plus lyrique que dramatique, Andris Nelsons livre une interprétation sans âme qui manque d'homogénéité malgré une belle entame (basson, cor, altos) de l'Adagio initial et un phrasé très contrasté, théâtral, presque expressionniste par moments, notamment dans les effrayantes fanfares cuivrées de l'Allegro non troppo. La valse de l'Allegro con grazia, n'est hélas guère plus convaincante, plus affligée que gracieuse et un rien prosaïque. Dans l'Allegro molto vivace, véritable scherzo dionysiaque le chef force le trait, emportant vents et cordes dans une dynamique furieuse sans parvenir totalement  à  éviter une certaine lourdeur dans les articulations d'une phalange chauffée à blanc. L'Adagio conclusif est sans nul doute le mouvement le plus réussi, tout entier habité par une émouvante et douloureuse affliction (basson, cordes, trombones), empreinte de résignation, que certains interpréteront comme prémonitoire…

Crédits photographiques : Andris Nelsons/BSO Concert © Marco Borggreve

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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez.
2-III-2024. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Concerto pour violon en ré majeur op. 35 ; Symphonie n° 5 en mi mineur op. 64. Leonidas Kavakos, violon. Gewandhausorchester Leipzig, direction : Andris Nelsons.
3-III-2024. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Le Voïévode, ballade symphonique op. 78 ; Hamlet, fantaisie symphonique d’après Shakespeare op. 67 ; Symphonie n° 6 dite « Pathétique » en si mineur op. 74. Gewandhausorchester Leipzig, direction : Andris Nelsons.

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