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Thomas Adès (né en 1971) : The exterminating angel, opéra en trois actes sur un livret de Tom Cairns et Thomas Adès, d’après Luis Buñuel. Mise en scène : Calixto Bieito ; décors et design, Anna-Sofia Kirsch ; costumes : Ingo Krügler ; lumières : Reinhard Traub ; dramaturgie : Bettina Auer. Avec : Lucia de Nobile, Jacqueline Stucker ; Leticia Maynar, Gloria Tronel ; Leonora Palma, Hilary Summers ; Silvia de Ávíla, Claudia Boyle ; Blanca Delgado, Christine Rice ; Beatriz, Amina Edris ; Edmundo de Nobile, Nicky Spence ; Comte Raúl Yebenes, Frédéric Antoun ; Colonel Álvaro Gómez, Jarrett Ott ; Francisco de Ávíla, Anthony Roth Costanzo ; Eduardo, Filipe Manu ; Señor Russell, Philippe Sly ; Alberto Roc, Paul Gay ; Doctor Carlos Conde, Clive Bayley ; Julio-Burler, Thomas Faulkner ; Lucas-Footman, Julien Henric ; Enrique-Waiter, Nicholas Jones ; Pablo-Cook, Andres Cascante ; Meni-Maid, Ilanah Lobel-Torres ; Camila-Maid, Bethany Horak-Hallett ; Padre Sansón, Régis Mengus ; Yoli, Arthur Harmonic (Maîtrise des Hauts-de-Seine). Ondes Martenot, Nathalie Forget ; Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris ; cheffe de chœurs, Ching-lien Wu ; direction : Thomas Adès
Compositeur et chef d'orchestre, le Britannique Thomas Adès est dans la fosse de Bastille pour la première française de son troisième opéra, The Exterminating Angel, créé en 2016 à Salzbourg et gravé dans la foulée par Erato. L'ouvrage est donné dans la nouvelle production de Calixto Bieito.
Si le compositeur dit avoir découvert le film mexicain de Luis Buñuel, El Ángel exterminador, à l'âge de 14 ans, incité par sa mère, historienne de l'art et spécialiste du surréalisme, le metteur en scène espagnol reconnaît le réalisateur et compatriote comme l'un de ses maîtres. C'est dire l'attachement et le mûrissement du travail de l'un comme de l'autre dans cette réalisation aussi délirante que virtuose servie par des forces, vocale et orchestrale, hors norme.
Le livret en trois actes de Tom Cairns, auquel collabore le compositeur, suit globalement le scénario du film réalisé en 1962 par Luis Buñuel que l'on résumera ainsi : les deux hôtes, Lucia et Edmundo de Nobile donnent un dîner après une représentation de Lucia de Lammermoor. Parmi les invités se trouvent la soprano Leticia Maynar qui vient de chanter le rôle-titre, le chef d'orchestre et sa femme pianiste, une patiente, Leonora Palma, et son médecin, un couple d'amoureux, Eduardo et Beatriz, un colonel, amant de l'hôtesse… tous prêts à faire la fête ; mais l'ambiance n'est pas bonne, les serviteurs, excepté le majordome, ont quitté le manoir sur un coup de tête alors qu'une force mystérieuse retient les amis dans la salle à manger quand il est temps de partir. Ils resteront confinés durant plusieurs jours dans un espace qui s'effrite comme la santé, mentale et physique (on compte au final trois morts) des convives dont le comportement révèle toutes les bassesses de la nature humaine. On parle même de sacrifice humain pour briser le sortilège ! Dans l'opéra d'Adès, la scène dans la cathédrale est supprimée ; c'est le chant de la diva qui lève la malédiction, mettant fin à ce huit clos suffocant.
Pour débuter la soirée, ce sont les cloches, celles de l'Apocalypse chez Buñuel, qui invitent le public de Bastille au silence. On les réentendra à plusieurs reprises au cours de l'opéra (cloches-tubes cette fois) en tant que signal dramaturgique fort. Un enfant (Yoli/Arthur Harmonic) est seul en scène, tenant à bout de bras ses petits moutons de baudruche (référence souriante au film surréaliste) avant le lancement de l'orchestre et l'arrivée des invités dans la salle à manger. L'espace immaculé fait ressortir les couleurs (bleue, jaune, verte, rouge…) des robes de ces grandes dames. Au fond de la scène, le piano à queue aura son rôle à jouer dans l'action. Au centre, la table rectangulaire est à fonctions multiples. Dans l'acte I, elle est soulevée par six hommes portant comme une idole la diva Leticia (l'élue), bras ouverts avec des fourchettes dans les mains. Toutes les scènes, même celle en extérieur de l'acte trois, sont jouées dans cet espace unique, n'était, à la toute fin, la rotation du plateau (l'idée du temps circulaire chez Buñuel) qui propulse les personnages à l'extérieur et fait revenir Yoli et ses moutons : pas de feu, de violoncelle sacrifié ni de moutons grillés sur la scène, comme dans la première production. Dans la mise en scène de Calixto Bieito, le décor est dépouillé mais la direction d'acteurs très fouillée, rendant palpable la déchéance des corps et la montée en violence des situations.
La musique, quant à elle, est à haute tension durant les deux heures de spectacle sans entracte ; le chant y est généreux (solistes et chœur) et le flux orchestral toujours nourri, qui colle à la dramaturgie, entre aura mélodique et cernes rythmiques : ainsi ces tambours qui crépitent dans l'interlude du premier acte (ceux de Calenda présents chez Buñuel) et appellent le rituel. Autre trouvaille, source d'étrangeté et de surnaturel, la présence dans l'orchestre des ondes Martenot (tenues par Nathalie Forget) qui planent au-dessus de la voix humaine ; pour Adès, c'est la présence surnaturelle de l'ange qui tient les invités captifs.
Parmi les chanteurs, tous excellents et assumant avec brio l'exigence d'une écriture qui favorise les ensembles, citons le ténor irradiant de Nicky Spence/Edmundo de Nobile, le mezzo très incarné d'Hilary Summers/Leonora Palma (dont l'air du troisième acte s'accompagne de la guitare soliste), le velours du contre-ténor Anthony Roth Costanzo/Francisco de Ávíla, la basse généreuse de Philippe Sly/Seńor Russell. Les voix de Claudia Boyle/Silvia et de Christine Rice/Blanca, sont mises en valeur dans deux très beaux airs (utilisant des poèmes de Buñuel) qui ramènent pour un temps un peu d'émotion au cœur de la barbarie. Jacqueline Stucker/Lucia, Amina Edris/Beatriz (parmi les autres dames), Frédéric Antoun, Filipe Manu, Jarrett Ott, Paul Gay, Clive Bayley (chez les hommes) ne déméritent pas, tout comme l'équipe des domestiques et le Padre Sansón/Régis Mengus, moins sollicités il est vrai.
Déjà mentionnée, la soprano colorature Gloria Tronel/Leticia Maynar, au plus aigu de sa tessiture, tient un rôle central dans l'histoire puisque c'est elle, faisant rejouer aux invités la scène du début et acceptant enfin de chanter, qui met fin à leur enfermement dans un dernier air, « musique d'un autre monde », tiré d'un sionide du début du XIIᵉ siècle, précise le compositeur. Les cloches résonnent à nouveau tandis que tourne le plateau : Libera de morte aeterna et lux aeterna luceat entonne le chœur suivi par les invités, dans un final qui fonctionne en boucle, plus inquiétant que fervent…
Maître d'œuvre d'un ouvrage dont il tient les rênes avec la fermeté requise, Thomas Adès nous éblouit, tant par l'écriture de sa partition que la qualité de l'exécution.
Crédits photographiques : © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
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Thomas Adès (né en 1971) : The exterminating angel, opéra en trois actes sur un livret de Tom Cairns et Thomas Adès, d’après Luis Buñuel. Mise en scène : Calixto Bieito ; décors et design, Anna-Sofia Kirsch ; costumes : Ingo Krügler ; lumières : Reinhard Traub ; dramaturgie : Bettina Auer. Avec : Lucia de Nobile, Jacqueline Stucker ; Leticia Maynar, Gloria Tronel ; Leonora Palma, Hilary Summers ; Silvia de Ávíla, Claudia Boyle ; Blanca Delgado, Christine Rice ; Beatriz, Amina Edris ; Edmundo de Nobile, Nicky Spence ; Comte Raúl Yebenes, Frédéric Antoun ; Colonel Álvaro Gómez, Jarrett Ott ; Francisco de Ávíla, Anthony Roth Costanzo ; Eduardo, Filipe Manu ; Señor Russell, Philippe Sly ; Alberto Roc, Paul Gay ; Doctor Carlos Conde, Clive Bayley ; Julio-Burler, Thomas Faulkner ; Lucas-Footman, Julien Henric ; Enrique-Waiter, Nicholas Jones ; Pablo-Cook, Andres Cascante ; Meni-Maid, Ilanah Lobel-Torres ; Camila-Maid, Bethany Horak-Hallett ; Padre Sansón, Régis Mengus ; Yoli, Arthur Harmonic (Maîtrise des Hauts-de-Seine). Ondes Martenot, Nathalie Forget ; Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris ; cheffe de chœurs, Ching-lien Wu ; direction : Thomas Adès