Clairemarie Osta, une chorégraphe pour Pulcinella à l’Opéra Comique
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Louis Langrée, Guillaume Gallienne et Clairemarie Osta forment le trio créatif à l'origine du nouveau spectacle proposé en mars par l'Opéra Comique, composé du ballet avec chant Pulcinella de Stravinsky et de la comédie musicale L'Heure espagnole de Maurice Ravel. Rencontre avec la danseuse étoile de l'Opéra de Paris pour son premier grand projet chorégraphique.
ResMusica : Dans quel contexte avez-vous été intégrée à ce projet aux côtés de Louis Langrée et Guillaume Gallienne ?
Clairemarie Osta : Le projet est né de la complicité entre Louis Langrée et Guillaume Gallienne, puisque c'est Louis Langrée qui l'a imaginé et qui a demandé à Guillaume de faire la mise en scène. Celui-ci m'a ensuite demandé de participer à ce projet et m'a confié la chorégraphie de Pulcinella, qui était un ballet, tandis qu'il assurerait à mes côtés la direction d'acteurs. L'année dernière, j'ai monté un événement autour de la publication des poèmes d'Alicia Gallienne, sa cousine, dont l'Institut Français de Stockholm m'avait confié la direction artistique. J'ai créé un concept de bulle poétique qui a d'abord été présenté en tournée dans toute la Suède par la compagnie Dans I Nord et ensuite au Musée national de Stockholm, avec Guillaume Gallienne. Guillaume m'a alors proposé de poursuivre cette expérience chorégraphique qui était nouvelle pour moi et de m'engager dans cette aventure.
RM : Comment cette collaboration s'inscrit-elle dans votre nouvelle vie de maitresse de ballet free-lance ? Est-ce une orientation que vous souhaitez développer ?
CO : Le fait de rompre avec un format d'emploi à temps plein dans mon ancienne position de directrice de la section classique de l'École du Ballet Royal de Suède, qui a toutes ses diversités et ses richesses, mais qui est forcément plus statique en termes de localisation, a déclenché une diversité de propositions et de manières de m'impliquer dans mon monde artistique. Cela a démarré par la proposition de travailler pour la Fondation Noureev, pour laquelle j'ai sollicité un congé. Puis, une fois la décision de changer de format prise, d'autres choses sont venues à moi comme d'enseigner dans des compagnies, d'aller à l'école de Stuttgart pour promouvoir et enrichir leur syllabus avec l'école française, ou ce projet chorégraphique à Stockholm. Ce n'était pas forcément prémédité, mais cela fait appel aux différentes compétences que je possède, et m'a permis d'en déployer de nouvelles.
« Ce projet de chorégraphie m'a un peu donné le vertige, car je n'avais pas une expérience dans cette expression, même si quand j'étais petite, je voulais être chorégraphe. En fait, je m'amuse comme une folle. »
Ces propositions diverses ont en commun la promotion de l'école française, dont je sais désormais qu'il y a une spécificité, mais qui n'était pas forcément le point central de mon intervention. Ce projet de chorégraphie m'a un peu donné le vertige, car je n'avais pas une expérience dans cette expression, même si quand j'étais petite, je voulais être chorégraphe, puis le rôle d'interprète a largement pris le dessus et m'a comblé entièrement. En fait, je m'amuse comme une folle. Je ne pars pas de rien, j'appréciais déjà en tant qu'interprète ou que coach la créativité dont nous pouvions faire preuve une fois que l'on nous avait confié le matériel chorégraphique. Avec ce projet, je pars d'une étape antérieure, puisque je propose le matériel aux danseurs et qu'ensemble nous le déployons sur scène. J'adore l'ensemble des étapes, de A à Z.
RM : Pulcinella, ballet avec chant en un acte, musique d'après Pergolèse, inaugure la période néo-classique de Stravinsky ? Par conséquent, la danse doit-elle l'être aussi ?
CO : Nous nous étions mis d'accord, Guillaume Gallienne et moi, sur l'utilisation des pointes et la large place laissée au vocabulaire académique. J'aime la fantaisie et les infinis possibles de ce langage. Le profil des danseurs choisis pour le projet devait correspondre à cette demande. Ensuite, il y a la liberté et la cohérence créative qui fait que je ne me suis pas mise de limite à utiliser les cinquième et les pointes et à choisir une gestuelle qui correspondait aux personnages, quand ils commençaient à prendre vie.
RM : Quelle est l'histoire que raconte ce ballet créé en mai 1920 par Stravinsky à l'Opéra Garnier, sur des chants de Pergolèse ?
CO : Dès le début, Guillaume Gallienne m'a raconté l'histoire qu'il voulait que je chorégraphie et m'a proposé un découpage par rapport à la musique. Il a tout de suite pris le parti que nous n'allions pas illustrer ce qui se dit, car Stravinsky avait composé un patchwork dont les paroles des chants n'avaient pas de continuité narrative avec le ballet. On a continué dans cette idée. Les chants n'ont pas de surtitres car nous n'illustrons pas ce qu'ils racontent.
Les chanteurs partagent l'espace scénique et musical avec le déroulement du ballet lui-même. Ils font partie du même village (ils ne sont pas dans la fosse pour autant), ils sont des habitants de ce quartier, témoins de certaines scènes. C'est le spectateur qui va comprendre ce qu'il a envie de comprendre. Ils ne racontent pas l'histoire.
RM : Avez-vous conservé quelque chose de la chorégraphie originelle de Léonide Massine ? Vous êtes-vous inspirée d'autres versions de Pulcinella dans le répertoire chorégraphique ?
CO : Cela a été l'occasion de voir qu'il y a plein de versions chorégraphiques de Pulcinella. A l'Opéra de Paris, j'avais travaillé sur celle de Douglas Dunn, Ratmansky a fait une Pulcinella suite à l'American Ballet, mais j'ai très peu regardé ces différentes versions. Notre recherche de départ avec Guillaume Gallienne s'est surtout intéressée à notre direction en termes d'écriture chorégraphique.
« Pulcinella est un personnage spécial, moqué et chahuté par son environnement, qui se sent persécuté au point qu'il cherche une échappatoire : faire croire qu'il est mort, pour échapper au harcèlement. »
RM : Comment traduisez-vous la dimension napolitaine de l'histoire de Pulcinella ? Celle-ci influe-t-elle sur la construction des personnages ?
CO : Autant je ne me suis pas appuyée sur une tradition chorégraphique, autant la narration de Pulcinella s'inspire d'une des aventures que la tradition napolitaine attribue à Polichinelle. Les documents d'époque mettent en scène des figures de la commedia dell'arte et évoquent l'Italie. C'est un personnage spécial, moqué et chahuté par son environnement, et qui en souffre. Il se sent persécuté au point qu'il cherche une échappatoire : faire croire qu'il est mort, pour échapper au harcèlement de deux garçons jaloux. Les deux garçons sont dans leur cliché « macho » et les filles dans leur cliché de séduction et on amène l'ensemble des personnages à la fin de cette pièce.
RM : La situation centrale de la tour, élément clé du décor des deux pièces du programme, est insolite dans la danse où l'espace central est habituellement dégagé. Ce décor est-il inspiré du décor original de Picasso ? Comment avez-vous joué avec cette contrainte ?
CO : C'est une création de Sylvie Olivé, qui est née aussi de l'articulation entre les deux pièces qui devaient partager une base commune de décor. Le fait que l'espace scénique soit structuré, avec un tiers de sa surface occupé par la tour qui devient ensuite le cœur du décor de L'Heure espagnole, nous offre un beau défi. Cela change de l'espace dégagé qu'on privilégie en danse. Je connais depuis le départ l'espace dont nous disposons pour la danse. Tout de suite, cela a créé différents espaces, avec lesquels je joue pour imaginer qui vit où, ce que l'on voit au premier plan et au second plan. Cela donne un effet de plan rapproché : on voit en gros plan la danse et les six danseurs sont très proches de nous.
RM : Vous vous êtes entourée d'une assistante, Laure Muret, et de six danseurs, dont l'étoile Alice Renavand et le danseur suédois Oscar Salomonsson. D'où viennent ces danseurs ? Ont-ils déjà travaillé avec vous ?
CO : Je suis collègue et amie de Laure Muret depuis l'Opéra de Paris, ce qui a produit une complicité et une efficacité entre nous. C'est la première fois que je travaille avec elle en tant qu'assistante, mais c'est aussi la première fois que je travaille sur un important projet de chorégraphie.
Oscar Salomonsson, qui joue le rôle de Pulcinella, était Principal au Royal Swedish Ballet à Stockholm. Cela s'est imposé, il était le casting parfait. Il a pris sa retraite pour pouvoir faire ce genre de projet. Il est l'inspirateur d'Alexander Ekman qui a créé Escapist pour lui et je l'avais déjà vu travailler dans des choses théâtrales et originales qui me semblent convenir parfaitement à ce personnage de Pulcinella.
Je savais qu'Alice Renavand avait envie de participer à ce type de projet et cela m'intéressait de continuer à donner la parole à des danseurs de l'Opéra de Paris qui ont des choses à dire. Ensemble, ils forment un couple plein de charme (NDLR : à la création en 1920, ce couple était incarné par Léonide Massine et Tamara Karsavina). Par rapport à leur maturité et à leur richesse artistique, c'était une belle rencontre et je ne suis pas déçue !
Pour le reste du casting, les deux filles étaient des apprenties au LAAC (NDLR : l'atelier chorégraphique créé en 2015 par Nicolas Le Riche et Claire-Marie Osta au Théâtre des Champs-Élysées), j'ai grand plaisir à les retrouver et à leur confier ces rôles. On m'a recommandé les deux garçons, venant d'horizons différents, car j'avais envie qu'ils aient une manière très différente de rendre mes propositions chorégraphiques. Avec leur parcours original et éclectique, tout en ayant un bon niveau classique, j'étais sûre qu'ils apportaient cette diversité et que les personnages seraient singuliers.