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Genève. Grand Théâtre. 22-II-2024. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Idomeneo, Rè di Creta, opéra seria en trois actes prologue sur un livret de Giambattista Varesco. Mise en scène : Sidi Larbi Cherkaoui. Scénographie : Chiharu Shiota. Costumes : Yuima Nakazato. Lumières : Michel Bauer. Dramaturgie : Simon Hatab. Avec Bernard Richter, Idomeneo ; Lea Deasandre, Idamante ; Giulia Semenzato, Ilia ; Federica Lombardi, Elettra ; Omar Mancini, Arbace ; Luca Bernard, Grand Prêtre de Neptune ; William Meinert, L’Oracle ; Mayako Ito, Mi Young Kim, deux Crétoises ; David Webb, Rodrigo Garcia, deux Troyen. Chœur du Grand Théâtre de Genève (chef du chœur : Mark Biggins). Cappella Mediterranea, Orchestre de Chambre de Genève. Direction musicale : Leonardo García Alarcón
Avec cet Idomeneo, rè di Creta de Mozart au Grand Théâtre de Genève, le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui se fourvoie dans sa mise en scène en favorisant l'esthétique du décor de Chiharu Shiota au détriment de la narration et de la direction des acteurs.
« Qu'importe de violer l'Histoire, pourvu qu'on lui fasse de beaux enfants ! » lançait Alexandre Dumas à ses détracteurs. Et c'est bien ce que fait Sidi Larbi Cherkaoui dans sa mise en scène de cet Idomeneo, rè di Creta de Mozart. D'abord la transgression de la mythologie parce que rien n'est moins certain qu'Idoménée immola son fils sur l'autel de Poséidon, mais aussi celle du livret de l'opéra de Mozart. En effet, conformément à la préfiguration du compositeur « d'honorer les héroïnes du pardon (la Comtesse des Noces de Figaro) et de l'épreuve réussie (Pamina de la Flûte Enchantée), rien ne justifie qu'Idoménée assassine Idamante et Ilia et qu'ainsi il retrouve sa couronne, et qu'au passage il épouse la chipie de service, Elettra ! Rien, sinon respecter le fil rouge de cette saison du Grand Théâtre de Genève placé sous le signe des « Jeux de pouvoir ».
Et du fil rouge, ce n'est pas cela qui manque dans ce spectacle. En faisant appel à la plasticienne japonaise Chiharu Shiota, c'est une pléthore de fils, de cordes, de maillages, de filets tombants des cintres qui servent de décor et d'accessoires dérisoires à toute cette soirée. Certes, les effets visuels sont beaux mais lorsqu'on a torsadé toutes ces ficelles, qu'on les a remises en place, qu'elles sont descendues des cintres pour y remonter pour en redescendre aussitôt, on se lasse de ce spectacle qui s'effiloche peu à peu. D'autant plus que ces rideaux de cordes n'amènent rien à la dramaturgie de l'opéra.
Alors que le chorégraphe Anjelin Preljocaj avait magistralement réussi sa mise en scène d‘Atys de Jean-Baptiste Lully en mars 2022 sur cette même scène, Sidi Larbi Cherkaoui s'empêtre dans une expression chorégraphique qu'il cherche à plaquer sur l'opéra de Mozart. N'ayant peut-être pas un sens du théâtre aussi aiguisé que celui du chorégraphe français, il privilégie la danse, sa danse, à la direction d'acteurs. La chorégraphie si particulière de Sidi Larbi Cherkaoui ne parvient pas à s'insérer ni dans la musique de Mozart, ni dans l'intrigue de cette œuvre. Ainsi, bien vite, les danseurs parasitent l'action des chanteurs forcés, plus que désireux d'imiter la gestuelle des chorégraphies. On assiste alors à des chanteurs dansant (souvent) maladroitement dans des déplacements stéréotypés incompatibles avec la trame de l'intrigue. Pire. Quand on connait tant soit peu l'art lyrique, on ne comprend pas l'exigence d'un Sidi Larbi Cherkaoui demandant à Idoménée de se contorsionner dans le squelette d'une barque tout en chantant un air parmi les plus difficiles de tout le répertoire.
Derrière cette agitation continuelle de danseurs traversant la scène à grands renforts de mouvements de bras, de poignets et de mains, sans que toute cette frénésie ne donne sens à l'action, le spectacle du chant s'en trouve dévalorisé. Et pourtant, comment ne pas reconnaître la volonté de bien faire de chacun ? Toutefois, sans pouvoir s'exprimer dans leur langage artistique, les chanteurs se retrouvent bientôt dans la simple élocution de leur rôle sans y imprimer la valeur du dire, de l'expressivité. Ainsi, on assiste à une récitation et non plus à une interprétation.
Notons cependant que la mezzo-soprano Lea Desandre (Idamante) s'avère très à l'aise tant vocalement que scéniquement. Dans un costume emplumé, ne reflétant aucunement son rôle masculin (ce qui ajoute à la confusion), la mezzo-soprano distille un chant de belle facture et en phase avec l'esprit mozartien. À ses côtés, la soprano Giulia Semenzato (Ilia) apparait honnête sans plus avec un chant qui, si elle possède toutes les notes de la partition, ne transcende jamais le personnage d'amoureuse qu'elle incarne. Il en est de même de la mezzo italienne Federica Lombardi (Elettra) qu'on aurait aimé plus concernée, jusqu'à la rage peut-être, d'être délaissée par Idamante. Ces deux dernières interprètes donnent un sentiment de manque de technique vocale, leurs vocalises laissant quelque peu à désirer. Remplaçant Stanislas de Barbeyrac qui a déclaré forfait pour cause de maladie, le ténor suisse Bernard Richter (Idoménée), pourtant encensé dans nos lignes pour son Idoménée à l'Opéra de Vienne en 2019, donne une prestation décevante. Dès les premiers accents de son Vedromi intorno on le sent gêné aux entournures. On espère qu'il ne s'agit que d'une légère appréhension de la Première ; malheureusement dans son second air, Fuor del mar, il confirme sa méforme avec une voix souvent détimbrée et des vocalises savonnées.
Ces insuffisances vocales de la majeure partie des rôles principaux laissent l'auditeur en manque d'émotions. Il faut attendre la dernière heure du spectacle pour qu'enfin un bruissement émotionnel parcoure le théâtre. À l'occasion de la scène où le confident d'Idoménée se lamente des vicissitudes de la cour, la voix étrange mais si intéressante de Omar Mancini (Arbace) apporte une note musicale intense dans un décor réduit à un grand espace noir habité par un grand escalier fuyant en une grande courbe vers un fond de scène noyé de brouillard. Alors que le ténor Luca Bernard (Le Grand Prêtre), à la présence vocale imposante, incite Idoménée au sacrifice d'Idamante, le Chœur du Grand Théâtre de Genève jusqu'ici impeccable de précision, enveloppé par un soudain accord de la fosse, se transcende dans un Oh voto tremendo ! totalement bouleversant. Moment suspendu d'une bonne dizaine de minutes où le décor, enfin immobile, vient subitement habiter l'intrigue. Instants bénis de courte durée laissant bientôt place aux gesticulations et agitations de ce spectacle.
À servir l'admirable musique de Mozart, l'orchestre de la Cappella Mediterranea adéquatement renforcé par des éléments de l'Orchestre de Chambre de Genève fait merveille, sous la baguette attentive, dynamique et superbement musicale de Leonardo García Alarcón. Il mérite la plus large part des applaudissements d'un public quelque peu partagé sur ce spectacle.
Crédit photographique : GTG © Magali Dougados, FilipVanRoe
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Genève. Grand Théâtre. 22-II-2024. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Idomeneo, Rè di Creta, opéra seria en trois actes prologue sur un livret de Giambattista Varesco. Mise en scène : Sidi Larbi Cherkaoui. Scénographie : Chiharu Shiota. Costumes : Yuima Nakazato. Lumières : Michel Bauer. Dramaturgie : Simon Hatab. Avec Bernard Richter, Idomeneo ; Lea Deasandre, Idamante ; Giulia Semenzato, Ilia ; Federica Lombardi, Elettra ; Omar Mancini, Arbace ; Luca Bernard, Grand Prêtre de Neptune ; William Meinert, L’Oracle ; Mayako Ito, Mi Young Kim, deux Crétoises ; David Webb, Rodrigo Garcia, deux Troyen. Chœur du Grand Théâtre de Genève (chef du chœur : Mark Biggins). Cappella Mediterranea, Orchestre de Chambre de Genève. Direction musicale : Leonardo García Alarcón