Le retour du pianiste américain Haskell Small pour une rareté d’Alan Hovhaness

Eu égard à la rareté des sorties consacrées à l'un des auteurs les plus prolifiques de l'histoire de la musique, un enregistrement entièrement dévolu au compositeur américain Alan Hovhaness devient un objet de collection. Quand il est assuré par le très discret Haskell Small, c'est un trésor à thésauriser.

Renvoyons d'emblée notre lecteur vers l'excellent article de synthèse rédigé par notre confrère Jean-Luc Caron. Celui-ci permettra de se rendre compte de l'importance de Hovhaness dans l'histoire de la musique et du gigantesque travail qu'il reste à faire pour mieux l'appréhender dans toutes ses facettes.

Concernant ses multiples sources d'inspirations, la nature et particulièrement les montagnes sont récurrentes dans l'œuvre de Hovhaness. Un grand nombre parmi sa vingtaine de sonates, écrites majoritairement dans les années 1970-80, font référence à des lieux géographiques précis : Blue Job mountain et mont Chocorua dans le New Hamphire ; Prospect hill dans le Massachussetts ; mont Katahdin, point culminant du Maine. Mais pour autant, jamais le compositeur ne propose de musique descriptive. La montagne reste pour lui une source d'élévation toute spirituelle, mais jamais anecdotique.

Au regard de la maigreur discographique concernant les sonates, les points de comparaison interprétatifs restent limités. Toutefois l'écriture musicale de Hovhaness étant ici d'une grande simplicité et clarté, voire sans difficultés techniques particulières, l'auditeur saura facilement là où le pianiste veut aller, car toute intention s'entendra immédiatement. Avec le pianiste Haskell Small, également compositeur, qui a notamment gravé les partitas de Bach et la musica callada de Mompou, on comprend vite que l'interprète est en phase totale avec ce genre de discours musical. Cette impression est confirmée tout au long du disque et ne faillit  pas pour les douze chansons traditionnelles arméniennes miniatures – la plus longue dure 2:47, la plus courte 0:24. Haskell Small est d'une limpidité et d'un naturel total, trouvant le tempo juste et la couleur à donner à chaque mouvement,  laissant parler Hovhaness plus que lui-même. Cette captation ayant été réalisée dans une église, la prise de son donne une résonance très agréable tout en restant parfaitement claire et en phase avec le contenu musical. Trop de sécheresse étouffe Hovhaness, trop de réverbération le rend incompréhensible.

Attardons-nous sur la déroutante Pastoral n°1 , afin de mieux comprendre ce qui s'y passe. Indiqué misterioso, il n'y a aucune mesure ni aucune barre de mesure ni aucune armure à la clé. Le pianiste doit se munir de deux baguettes différentes : une baguette douce de timbale destinée à venir taper les cordes basses du piano à une hauteur indéfinie ; une baguette de marimba à l'embout moyennement dur destinée à produire des glissandi circulaires (environ treize) sur les mêmes cordes basses et à frapper des notes précises toujours sur les cordes mais plus hautes. Cela donne des sonorités extraordinaires dans les premiers instants. Curieusement, Haskell Small joue avec ses ongles au lieu de la baguette de marimba. Dans la deuxième partie du morceau,  la main gauche produit un continuo de notes répétitives avec la baguette de timbale tout en faisant chanter une mélodie à la main droite sur le clavier, qui ressemble peu ou prou à un chant d'oiseau solitaire. Fin du deuxième segment. Pour terminer, les deux mains se rejoignent : la main gauche abandonne subitement sa baguette pour se lancer dans une fugue à trois voix, presque académique… Cette miniature est un spectacle visuel à elle seule en concert (effet garanti !), qui synthétise en quelques minutes certaines caractéristiques de l'écriture pianiste de Hovhaness. Rappelons qu'elle a été écrite en février 1952.

On sera surpris qu'il ait fallu patienter plus de dix ans avant de voir sortir confidentiellement cet album sur un label indépendant américain… Hovhaness sait se faire attendre, mais pas en vain.