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In memoriam Thierry Alla, artistes et orchestre autour de Proxima Centauri

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Gradignan. Théâtre des quatre saisons. 10-II-2024. Thierry Alla (1955-2023) : Chaman, pour quatre saxophones basses ; Seventies, pour clarinette basse (CM) ; Trichromie, pour trois saxophones soprano ; Aérienne, pour flûte piccolo, saxophones, piano, percussion et électronique ; Ancestral, pour saxophone basse, tam et électronique ; Pariétal, pour saxophone baryton et voix ; Instantanés, pour ensemble ; Digital, pour saxophone soprano ; Mare nostrum, pour orchestre. Proxima Centauri : Marie-Bernadette Charrier, saxophones, Alfonso Lozano, saxophones ; Sylvain Millepied, flûte ; Hilomi Sakaguchi, piano ; Clément Fauconnet, percussion ; Christophe Havel, électronique ; Joël Versavaud, Allison Balcetis, saxophone ; Clara Lighezzolo, clarinette basse ; Sigma Project ; étudiants du Pôle d’Enseignement Supérieur du Conservatoire de Bordeaux Aquitaine ; élèves du Conservatoire de Bordeaux Jacques Thibaud ; Orchestre des Symphonistes d’Aquitaine, direction : Philippe Mestres

Solistes, ensembles et orchestre ont investi le plateau du Théâtre des Quatre saisons de Gradignan, en Gironde, pour rendre un vibrant hommage au compositeur et musicologue , trop tôt disparu, qui laisse sur le pupitre un opéra inachevé dont on entend ce soir en création posthume l'ouverture orchestrale.

Né à Alger en 1955, quitte sa ville natale avec sa famille à l'âge de six ans, lors de la guerre d'indépendance. On le retrouve à Tours où il parfait sa formation de musicologue, puis au Conservatoire Régional de Bordeaux pour ses études de composition, instrumentale avec Michel Fusté-Lambezat et électroacoustique dans la classe de Christian Eloy. La soixantaine d'opus qu'il inscrit à son catalogue affirme un goût prononcé pour le saxophone, « une empreinte saxophonistique », comme l'écrit Pierre-Albert Castanet, professeur honoraire de l'Université de Rouen Normandie, qui a consacré un ouvrage au compositeur ( : un musicien à la conquête du timbre). Il vient sur scène juste avant l'entracte pour retracer la carrière du compositeur et présenter le double CD monographique sorti il y a peu chez Maguelone dont il a signé le livret.

Le concert de la soirée, en présence de , saxophoniste émérite et bordelais d'adoption, gravite autour de la musique pour saxophone de Thierry Alla, un instrument qu'il a exploré dans toutes ses tessitures, de la basse au sopranino, et dans toutes les configurations, du solo au concerto. Cet attachement durable à l'instrument va de pair avec le compagnonnage fidèle avec l'ensemble bordelais Proxima Centauri et la personnalité incontournable de qui continue de former nombre de saxophonistes au Conservatoire à rayonnement Régional de Bordeaux.

 

Le , quatre garçons saxophonistes venus d'Espagne, sont pieds nus et tout de blanc vêtus pour débuter le concert avec Chaman (2010), une pièce étonnante pour quatre saxophones basses amplifiés, un instrumentarium unique en son genre : formule rythmique répétitive et musique pulsée soulignent l'aspect ritualisant et incantatoire d'une musique où s'entend la voix des « célébrants », laissant apparaître de somptueuses images spectrales à travers les multiphoniques de ces gros instruments. Même si elle évoque la musique pop rock anglaise des années 1970, Seventies pour clarinette basse, donnée en création posthume par , se souvient de la trajectoire de Chaman. Comme le souligne l'épouse du compositeur venue sur le plateau remercier les musiciens, Thierry Alla était un coloriste, explorant le son pour en varier le timbre à l'infini. Dans Trichromie, superbement jouée et mise en espace par trois étudiants du PESMD (Pôle d'Enseignement Supérieur, le jeu rythmique des saxophones soprano génère un kaléidoscope de figures et de couleurs. Aérienne (1993) est la première œuvre d'Alla écrite pour Proxima Centauri qui venait tout juste de naître. Deux saxophonistes (M.B. Charrier et Alfonzo Lozano) côtoient la flûte piccolo de Sylvain Millepied, le piano d'Hilomi Sakaguchi et la percussion de Clément Fauconnet. Impressionnante par l'espace qu'elle déploie et envoûtante par les couleurs qu'elle génère, Aérienne intègre l'électronique () et la transformation du son en direct.

 

 

La seconde partie de la soirée débute avec Ancestral (2011), dédiée à M.B. Charrier, corps à corps spectaculaire entre le saxophone basse et l'interprète qui dompte ce gros instrument tout en mettant en résonance un tam placé juste derrière elle. Alla travaille sur la richesse du spectre sonore décuplée par l'action de l'électronique. Associant la voix de l'interprète au son du saxophone baryton, Pariétal (2014) acquiert une dimension dramaturgique singulière. L'engagement de est total dans une performance exigeante qui captive l'œil autant que les oreilles. L'Ensemble du Conservatoire de Bordeaux Jacques Thibaud (sept instrumentistes chevronnés) n'est pas dirigé dans Instantanés de 2006, une pièce inspirée par les paysages contrastés de l'Andalousie où la musique balance entre lumière irradiante et sonorités au bord du silence. Digital (1995), écrit pour le saxophone soprano de M.B. Charrier, est jouée ce soir par , musicienne basée au Canada qui a traversé l'atlantique pour être là ce soir. Elle joue avec une aisance remarquable, maîtrisant l'écriture et ses complexités avec une virtuosité phénoménale.

Une exposition conçue et réalisée par Cécile Venier Alla (la fille du compositeur) est visible dans le hall d'entrée du théâtre. Elle rend compte de l'avancée de l'opéra Exil sur lequel travaillait Thierry Alla à partir du livret en français et araméen de Leila Sayeg-Chevalley. Pour clore cette soirée en hommage au compositeur, l'Orchestre des Symphonistes d'Aquitaine augmenté des musiciens du Conservatoire de Bordeaux Jacques Thibaud donne en première mondiale, sous la direction de , l'ouverture Mare Nostrum. Le titre pointe l'attachement du compositeur à la Méditerranée de son enfance, source d'émerveillement pour lui et théâtre d'événements dramatiques aujourd'hui.

Un accordéon () et un joueur de duduk () s'installent de part et d'autre du chef. Le ton est donné, sombre et tragique, par les chocs lourds de la grosse caisse auxquels fait écho une trame orchestrale aussi riche que mouvante. La plainte du duduk, sublime sous les doigts de , en souligne la profonde nostalgie. L'écriture orchestrale se densifie en même temps que la tension s'accroit, entretenue par les spirales sonores ascendantes des bois et l'accordéon. Sur les basses menaçantes de l'orchestre, c'est l'accordéon et son aura lumineuse autant qu'inquiétante qui génèrent les dernières images de cette fresque orchestrale bouleversante refermant le catalogue de Thierry Alla.

Crédit photographique : portrait © Thierry Alla ;  concert © Proxima Centauri

Modifié le 16/02/2024 à 10h05

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Gradignan. Théâtre des quatre saisons. 10-II-2024. Thierry Alla (1955-2023) : Chaman, pour quatre saxophones basses ; Seventies, pour clarinette basse (CM) ; Trichromie, pour trois saxophones soprano ; Aérienne, pour flûte piccolo, saxophones, piano, percussion et électronique ; Ancestral, pour saxophone basse, tam et électronique ; Pariétal, pour saxophone baryton et voix ; Instantanés, pour ensemble ; Digital, pour saxophone soprano ; Mare nostrum, pour orchestre. Proxima Centauri : Marie-Bernadette Charrier, saxophones, Alfonso Lozano, saxophones ; Sylvain Millepied, flûte ; Hilomi Sakaguchi, piano ; Clément Fauconnet, percussion ; Christophe Havel, électronique ; Joël Versavaud, Allison Balcetis, saxophone ; Clara Lighezzolo, clarinette basse ; Sigma Project ; étudiants du Pôle d’Enseignement Supérieur du Conservatoire de Bordeaux Aquitaine ; élèves du Conservatoire de Bordeaux Jacques Thibaud ; Orchestre des Symphonistes d’Aquitaine, direction : Philippe Mestres

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