La Scène, Opéra, Opéras

Asmik Grigorian, un atout sans pareil pour La Dame de Pique à Munich

Plus de détails

Munich. Nationaltheater. 10-II-2024. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : La Dame de Pique, opéra en trois actes d’après Pouchkine. Mise en scène : Benedict Andrews ; décors : Rufus Didwiszus ; costumes : Victoria Behr. Avec Brandon Jovanovich (Hermann), Roman Burdenko (Tomski), Boris Pinkhasovich (Yeletski), Kevin Conners (Tchekalinski), Violeta Urmana (La comtesse), Asmik Grigorian (Lisa), Victoria Karkacheva (Polina), Natalie Lewis (la gouvernante)… Chœur de l’Opéra de Bavière ; Orchestre national de Bavière ; direction : Aziz Shokhakimov

Une distribution inégale et une mise en scène trop abstraite laissent toute la lumière à une incarnation  d' qui a la force de l'évidence.

À l'Opéra de Munich, on a pu souvent voir ces dernières années Eugène Onéguine dans la mise en scène décapante de Krzysztof Warlikowski, spectacle culte depuis sa première en 2007 ; la maison n'a pas succombé à la vogue Iolanta de cette dernière décennie, et cela faisait longtemps que La Dame de Pique mise en scène efficacement par David Alden n'était plus au programme. Tchaïkovski revient donc sur le devant de la scène munichoise avec cette nouvelle Dame de Pique, cette fois confiée à .

« Zéro atmosphère ! », s'exclame un voisin lors d'un des nombreux précipités qui jalonnent le spectacle. C'est en fait exactement l'inverse : de l'atmosphère, oui, beaucoup d'atmosphère, mais seulement de l'atmosphère, et pas franchement d'interprétation ou même de vision de l'œuvre, comme ce que David Alden, par exemple, savait si bien faire. Andrews dit s'inspirer du film noir, voire « néo-noir », et on voit donc une histoire de gangsters, où les flingues sortent vite : on peut difficilement imaginer un geste plus galvaudé, aussi dépourvu d'efficacité dramatique. L'atmosphère prend la forme générale d'une scène toute noire, le fond souligné par des brumes plus ou moins intenses, d'où émergent seuls les éléments essentiels de chaque scène, tables de jeux par exemple, ou plus fréquemment les seuls chanteurs concernés par la scène. Tout ce noir, ce refus radical de la couleur, a sans doute pour but de donner une identité unique au spectacle, mais la dramaturgie de cet opéra où les contrastes sont si importants s'en retrouve mise à mal – la suppression du divertissement pastoral du deuxième montre bien que tout le contrepoint ironique que le livret comme la musique dessinent autour du drame n'a pas été compris.

Lisa est dépeinte comme l'archétype de la beauté fatale qui, innocente elle-même, est le catalyseur de la catastrophe. , habituée du rôle, y garde une remarquable fraîcheur. La lumière du timbre, la souplesse d'une conduite vocale à l'écoute de chaque nuance de la partition, tout a la force de l'évidence dans cette interprétation. Grigorian fait confiance à la musique, sans aucune surcharge expressive : une vraie leçon de chant. On ne peut pas en dire autant de son Hermann, : on se demande pendant une bonne partie des deux premiers actes s'il n'est pas indisposé. Les choses s'améliorent heureusement un peu après l'entracte, mais ses accents héroïques sont conquis au détriment de la musicalité. Les différentes voix graves masculines manquent un peu de présence et de couleur vocale, notamment et . Heureusement, offre beaucoup mieux que les voix en lambeaux qui accaparent le rôle de la Comtesse : on a déjà vu des incarnations plus magnétiques, mais entendre une vraie voix dans ce rôle est un vrai soulagement. Dommage, il est vrai, qu'Andrews ne donne aucun relief au personnage, en l'absence de toute direction d'acteur visible, et son choix de perturber cette scène de solitude absolue par des figurantes n'aide pas.

Dans la fosse, on ne peut que comparer avec l'interprétation flamboyante de Mariss Jansons à Munich, pour une version de concert heureusement préservée par le disque. , méritant lauréat du concours des jeunes chefs du festival de Salzbourg et actuel directeur musical de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg, en reste ici à un accompagnement prudent, qui assure l'essentiel mais ne permet pas toujours de sortir la soirée de la torpeur.

Crédits photographiques : © Wilfried Hösl

(Visited 530 times, 1 visits today)

Plus de détails

Munich. Nationaltheater. 10-II-2024. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : La Dame de Pique, opéra en trois actes d’après Pouchkine. Mise en scène : Benedict Andrews ; décors : Rufus Didwiszus ; costumes : Victoria Behr. Avec Brandon Jovanovich (Hermann), Roman Burdenko (Tomski), Boris Pinkhasovich (Yeletski), Kevin Conners (Tchekalinski), Violeta Urmana (La comtesse), Asmik Grigorian (Lisa), Victoria Karkacheva (Polina), Natalie Lewis (la gouvernante)… Chœur de l’Opéra de Bavière ; Orchestre national de Bavière ; direction : Aziz Shokhakimov

Mots-clefs de cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.