Alors que Philip Glass et Steve Reich sont régulièrement célébrés en France, rares sont les écrits en français sur le courant musical dont ils sont les plus illustres représentants. Déjà auteur de livres et d'articles sur Bernstein, Rorem, Sondheim ou encore Adams, Renaud Machart répare cet oubli avec La Musique minimaliste. Plongée dans le New York downtown et commentaire de quelques œuvres : l'ouvrage est d'un intérêt historique et musicologique.
O tempora o mores, le terme « minimalisme » s'est perdu dans le babélisme ambiant, s'indigne Renaud Machart, dont la démarche, sans être tout à fait originale, a le mérite d'embrasser l'art minimal dans sa globalité, c'est-à-dire dans tous les champs d'expression concernés. Dans un style alerte, ce spécialiste de musique nord-américaine fait revivre l'épopée d'hommes et de femmes qui, dans les années 1960, inventaient individuellement et collectivement une esthétique dans un geste plus expérimental, moins théoricien et moins individualiste, bref, dans un esprit anglo-saxon bien éloigné de celui du Vieux Continent. C'est le cas par exemple de Terry Riley, saxophoniste, qui, jouant un soir de 1962 à Paris au côté de Chet Baker, demanda à l'ingénieur du son « un écho retardé dont la répétition serait donnée par un système de feedback », confia-t-il quelques années plus tard. Cela lui donna l'idée de « travailler simultanément avec le feed-back et la loop » pour engendrer des cycles. Et c'est ainsi que, travaillant sur des « chevauchements de cycles de différentes durées », il composa In C, opus amplement décrit par Machart et qualifié de « pièce la plus emblématique et la plus diffusée de la musique minimaliste et, ainsi que l'a déclaré son auteur, l'œuvre de musique contemporaine la plus jouée. » La Musique minimaliste, que son auteur nomme essai à plusieurs reprises, est donc l'acte militant d'un Européen défendant « le produit d'une des périodes d'évolution du langage musical les plus passionnantes et riches de l'histoire de la musique occidentale » et dont la valeur, s'agissant de la création, se vérifie par le simple fait « de l'avoir à nouveau connectée à un vaste public ».
Renaud Machard commence par poser quelques jalons en rappelant notamment le fait que l'expression « art minimal » s'est tout d'abord appliquée au domaine plastique pour désigner les productions qui trouvaient une ascendance, la contestant quelquefois, « dans le suprématisme, le constructivisme, le ready-made, le néoplasticisme, la sculpture de Brancusi et la grande abstraction américaine » (citation du critique, expert et collectionneur Ghislain Mollet-Viéville, dédicataire du présent ouvrage). Il s'agissait pour les artistes minimalistes tels Richard Morris, Donald Judd, Sol LeWitt, Franck Stella ou encore Carl Andre, de revenir à une certaine austérité en gommant le geste du créateur. Aussi les musiciens ont-ils évolué dans un bain plus vaste d'échanges féconds, dans un pays où, il est vrai, contrairement à chez nous, les arts ne sont pas cloisonnés. D'ailleurs, l'étiquette « minimaliste » a déplu à ces artistes, comme le mentionne Machart, mais elle a fini par s'imposer. Bien sûr, d'autres rappels sont faits sur un sujet déjà connu – ancrage tonal, retour à la simplicité d'un matériau (fragment de gamme, cellule rythmique…) se complexifiant dans la répétition, phasing, pulsation souvent scandée fermement, harmonie statique, usage de bourdons, absence de développement et de propos narratif, attirance pour les musiques extra-européennes, caractère impersonnel et mystique d'une « musique infinie » suscitant un état de méditation, synthèse des arts scéniques parfois… –, mais ils sont toujours contextualisés dans une histoire riche de rencontres et de confrontations.
L'ouvrage, très documenté, accorde évidemment beaucoup de pages à Terry Riley, Steve Reich et à Philip Glass ainsi qu'à leurs œuvres. Mais il est également intéressant par certains développements moins attendus. Premièrement, il donne vie à certains musiciens importants et pourtant peu connus tel La Monte Young, « the daddy of us all », selon les mots de Brian Eno. Un fondateur donc, qui doit encore à Anton Webern et va chercher du côté de la musique indienne pour composer en 1958 son Trio à cordes, considéré comme la première pierre de l'édifice minimaliste. Deuxièmement, certains développements d'analyse retiennent l'attention, par exemple le retour à une « intonation juste » ou « pure » dans The Well-Tuned Piano (1964 et plus) de La Monte Young encore. En s'éloignant de l'accord tempéré développé par Jean-Sébastien Bach, le compositeur revenait à l'« énergie des modes » telle que la célébrait Marc-Antoine Charpentier. Troisièmement, Renaud Machart écrit trois chapitres intitulés « Ancêtres, cousins et héritiers 1/2/3 », dans lesquels il va chercher les sources auxquelles se sont abreuvés les musiciens minimalistes, mais aussi présente des musiciens proches, contemporains ou postérieurs : bien sûr Erik Satie et ses Vexations, Pérotin, Dufay, Wagner et le prélude de L'Or du Rhin, le Ravel du Boléro, Honegger et son Pacific 231, la musique balinaise, Morton Feldman, Laurie Anderson, Meredith Monk, Louis Andriessen, Jean Catoire ou encore Brian Eno.
À l'heure où le minimalisme est considéré depuis des années comme un mouvement parmi d'autres, ainsi que le montrent les présentations et commentaires que font Guillaume Kosmicki (Musiques savantes / De Ligeti à la fin de la Guerre froide [1963-1989], 2014), Hélène Cao (600 Mots de la musique, 2021), Wikipédia ou encore Shani Diluka au moment de la sortie de son disque Pulse, 2023 (« Le courant minimaliste est né dans les années 60, en réaction au consumérisme et à une société américaine du baby boom. Il y a eu cette quête de liberté, une sorte de relation à la nature primordiale. Ces minimalistes, que ce soit Philip Glass, Terry Riley, John Adams ou Steve Reich, sont un peu des chamans des temps modernes et répondent à cette relation au monde, au cosmos. »), la dimension revendicatrice de ce livre paraît désuète, ce qui n'empêche pas qu'il soit passionnant. Quelques extraits de partitions autres que ceux ornant la première de couverture auraient fort opportunément accompagné les commentaires musicologiques.