L’Ensemble Links joue Reich au 104 de Radio France
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Paris. Maison de la Radio et de la Musique, Studio 104. 7-II-2024. Festival Présences. Steve Reich (né en 1936) : Music for 18 musicians ; Julius Eastman (1940-1990) : Evil Nigger, pour 4 pianos amplifiés ; Ève Risser (née en 1982) : be twin, pour ensemble (CM). Ensemble Links ; Rémi Durupt, percussion et direction.
La musique de Steve Reich, tête d'affiche du festival Présences 2024 de Radio France, se joue à guichet fermé, à l'Auditorium comme au Studio 104 où l'ensemble Links a mis à l'affiche l'œuvre culte du New yorkais, Music for 18 Musicians.
Fondé en 2007 par Laurent et Rémi Durupt, l'Ensemble Links, à géométrie variable, s'est plusieurs fois distingué dans l'interprétation de la musique de Reich, en enregistrant notamment Drumming et Music for 18 Musicians (Kairos), des CD plébiscités par la critique et le compositeur lui-même. Deux pièces, dont une création mondiale d'Ève Risser, bien connue dans le milieu du jazz, sont données en première partie, balançant, comme celle de Reich, entre tradition orale et support de l'écrit.
De Julius Eastman (1940-1990), compositeur noir américain (aussi pianiste, chanteur, danseur et engagé dans la défense des droits des Africains aux États-Unis), la partition d'Evil Nigger (Méchant nègre) au titre « coup de poing », ne mentionne ni les instruments, ni les rythmes, ni la mesure ; seules sont précisées des indications métronomiques laissant aux interprètes (ce soir quatre pianistes amplifiés) une part de décision dans la réalisation sonore. Expression d'une pure énergie, le jeu itératif (notes répétées) des pianistes entretient la vibration du son sur toute la durée de la pièce. Evil nigger est une sorte de passacaille des temps modernes qui ne va pas sans humour, avec son ostinato passant d'un instrument à l'autre et ses relances dans les divers registres du piano. Périodiquement, une voix s'élève, qui compte jusqu'à 4 pour mettre les claviers à l'unisson sur la même formule (cadence tonale) aboutissant sur la fondamentale Ré. Radicale et galvanisante, la pièce réclame des doigts d'acier et une certaine endurance qu'assument avec brio nos quatre pianistes, Trami Nguyen, Alvise Sinnivia, Laurent Durupt et Haga Ratovo.
Deux clarinettes, deux pianos, deux cordes et deux percussions : l'idée du double et du miroir est à la source de be twin (être jumeaux) de la compositrice et jazzwoman Ève Risser qui dit avoir collaboré étroitement avec les musiciens de Links avant l'écriture de sa partition. Donnée en création mondiale, l'œuvre débute dall'niente, avec l'effet de battement entre les deux clarinettes qui frottent leur sonorité.
Ève Risser nous met à l'écoute d'un univers sonore sensible et mouvant, qui se construit et s'anime progressivement : balancement très doux, motifs qui se dessinent et rythmique qui se complexifie : le processus est à l'œuvre jusqu'à la cadence survoltée du piano qui signale le climax de la pièce : musique du geste où le courant passe au sein d'un collectif très investi.
Le musicologue et critique musical Daniel Caux (1940-2008), avec qui Steve Reich a collaboré, parlait, au sujet de Music for 18 musicians (1974-76), d'œuvre « maximaliste » (Steve Reich détestant le terme de minimaliste!). C'est sans aucun doute la pièce la plus élaborée du New yorkais, une des plus longues (avec son aînée Drumming) et une des rares pièces instrumentales à instaurer une dramaturgie, à la faveur d'un cycle de onze accords présentés au début (Pulses) qui balisent ensuite la pièce de cinquante minutes et dessinent une trajectoire. Reich abandonne le procédé du déphasage opérant encore dans Drumming, se concentrant sur la répétition euphorisante des motifs et accordant une importance accrue aux timbres (trois marimbas, deux xylophones, un vibraphone sans moteur et des maracas pour la percussion) et à la dynamique du souffle, plus souple, plus humaine, plus sensuelle aussi : s'exerce sur toute la longueur cet effet de vagues en crescendo decrescendo, flux et reflux que restituent le jeu des clarinettes et les quatre voix (trois sopranos et une contre-alto), en se rapprochant et s'écartant du micro. Au centre, trône le vibraphone de Rémi Durupt, maître d'œuvre qui veille au grain : il est le seul à ne pas jouer en continu, lançant au contraire ses signaux résonnants pour prévenir des changements d'accords et autres bifurcations à prendre. Car l'œuvre au départ (et durant 20 ans) n'avait pas de support écrit, jouée à l'oreille par les musiciens du Reich ensemble. L'interprétation au cordeau des Links (qui ont déjà joué l'œuvre une trentaine de fois) est époustouflante, dans la ferveur du son, la jubilation des couleurs et la synergie du groupe. Pour l'heure, c'est avec une standing ovation que le public salue la prestation!
Crédit photographique : Sylvain Poix (Ève Risser) / Links
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