Steve Reich, invité d’honneur au festival Présences de Radio France
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Paris. Festival Présences. 5 et 6-II-2024
5-II Avant-première : Ircam, Espace de projection.
Steve Reich (né en 1936) : Pendulum music, pour microphones, amplificateurs et haut-parleurs ; Clapping Music, pour deux musiciens ; Electric counterpoint, pour guitare électrique et sons fixés. Aaron Einbond (né en 1978) : Prestidigitation II, pour percussion solo, ensemble et électronique 3D (CM). Gabriella Smith (né en 1991) : Maré, pour flûte, clarinette, trompette, violon, alto, et violoncelle. Jonny Greenwood, guitare électrique ; L’Instant donné ; Carlo Laurenzi, électronique Ircam ; Sylvain Cadars, diffusion sonore Ircam.
6-II : Steve Reich (né en 1936) : Jacob’s ladder, pour quatre voix et ensemble ; Reich/Richter, pour orchestre de chambre. Joséphine Stephenson (née en 1990) : In time like air, pour ensemble (CM). Héloïse Werner (née en 1991) : Close-Ups pour soprano et violon (CM). Héloïse Werner, soprano ; Hae-Sun Kang, violon ; Synergy vocals : Tara Bundgard, Micaela Haslam, sopranos ; Benedict Hymas, Will Wright, ténors ; Ensemble Intercontemporain, direction : George Jackson
Une fois n'est pas coutume, la Maison de la Radio et de la Musique lance son festival Présences consacré à la légende vivante qu'est Steve Reich avec une avant-première à l'Espace de projection de l'Ircam avant le coup d'envoi à l'Auditorium de la Maison ronde.
Pionnier de la musique répétitive américaine dans les années 60, le New-yorkais Steve Reich n'a cessé d'élargir son champ d'action et de nourrir son inspiration tous azimuts, en croisant notamment musiques savante et populaire et en remontant aux sources de la musique et à ses propres origines. C'est cette trajectoire impressionnante que nous propose de suivre le festival Présences jusqu'au 11 février, de It's gonna rain (1965) à Jacob's ladder (2023) donné en création française.
L'avant-première, donnée à guichet fermé, invite sur le plateau les musiciens de L'Instant donné : c'est un concert debout, affichant quelques titres emblématiques du Steve Reich répétitif et deux créations.
À mi-chemin entre installation sonore et performance, Pendulum music (1968), conçue au tout début de la carrière de l'Américain, relève de la forme ouverte. La pièce ne réclame pas d'interprètes sinon deux bras pour lancer les micros suspendus à un filin qui voyagent au-dessus des haut-parleurs, dans l'attente hasardeuse des feedbacks (larsens) entre l'émetteur (micros) et le récepteur (hautparleurs). Les six musiciens de L'Instant-donné arrivent ensuite sur scène, mais sans instruments, pour participer au festif Clapping music (1972), choisi comme jingle du festival et emmené pour l'heure par le percussionniste Maxime Echardour. C'est une première incursion du compositeur dans les musiques du monde. En 1970, il part au Ghana pour s'initier à la pratique des percussions africaines auprès du maître Gideon Alorwoyie. Ce sont ces courts motifs mélodiques empruntés à la tradition africaine qui font, dix ans après, la séduction d'Electric Conterpoint, défendu pieds et ongles par le guitariste de Radiohead Jonny Greenwood gérant tout à la fois sa partie instrumentale et les déclenchements de la bande-son.
Côté création, Prestidigitation II du New-Yorkais Aaron Einbond, est un agrandissement pour ensemble de Prestidigitation (2022) élaborée avec Maxime Echardour autour de la percussion. L'écriture articule des figures/morphologies sonores qui laissent apprécier le travail de projection et spatialisation sonore via les ressorts de l'intelligence artificielle et la présence d'un haut-parleur au large rayonnement placé au-dessus de nos têtes. Beaucoup plus courte, Maré pour ensemble de l'Américaine Gabriella Smith (à l'affiche également le 10 février) nous séduit, superbement défendue par L'Instant donné. En référence à l'horizon marin, la pièce mouvante et gorgée d'énergie joue sur l'imbrication/superposition de brefs motifs faisant miroiter les couleurs instrumentales.
Le lendemain, l'Auditorium de Radio France est tout aussi comble pour le concert d'ouverture de Présences (filmé et retransmis en direct sur Arte et les ondes de France Musique), conviant sur scène les solistes de l'Intercontemporain sous la direction du britannique George Jackson, un chef qui entretient une relation fusionnelle avec la musique de Steve Reich.
Avant la création française très attendue de Jacob's ladder, la compositrice franco-britannique Joséphine Stephenson, qui a débuté sa formation à la Maîtrise de Radio France, nous introduit dans son univers avec In time like air, une musique de la sensation qui ne manque pas de finesse dans l'interprétation au cordeau des musiciens. Sur le flux perpétuel des deux pianos, son premier mouvement Gently flowing, undulating aux courbures mélodiques sensuelles est prometteur, tout comme le raffinement des timbres (glassharmonica, petites percussions scintillantes) dans le deuxième. Mais le propos s'égare au fil d'un parcours un rien hétérogène, sans maintenir la même tension de l'écoute.
De Steve Reich, Jacob's ladder (« L'échelle de Jacob »), écrit pour deux sopranos, deux ténors et ensemble, est une partition toute récente (2023), créée à New York en octobre dernier et symptomatique de l'évolution de son écriture : « C'est une pièce inhabituelle pour moi car elle comporte peu de répétitions », prévient le compositeur dans un entretien avec le producteur de Radio France Arnaud Merlin. Pour autant, la trame pulsée (vibraphone et piano) tient l'édifice tout du long, sur laquelle s'inscrivent les traits fusées des bois (le profil de l'échelle) qui constituent le « pattern » mélodique. Le texte reprend un verset de la Genèse, quatre phrases chantées par les membres du Synergy Vocals. Reich invoque comme modèle la cantillation du chant juif, ici étirée dans le temps et stylisée. Les commentaires instrumentaux apportent leurs couleurs, celle dominante de l'échelle pentatonique. La dernière intervention des voix doublée par les cordes soyeuses fonctionnant en canon est sans aucun doute le plus beau moment de la composition. À l'aise avec une musique qu'ils jouent depuis plus de trente ans (lorsque David Robertson, dans les années 1990, a mis sur leur pupitre la musique du New-yorkais), les solistes de l'EIC en étroite complicité avec leur chef allient précision du geste et raffinement du timbre.
Franco-britannique et ancienne maîtrisienne, compositrice et performeuse, tout comme Joséphine Stephenson, Héloïse Werner est sur le devant de la scène avec la violoniste de l'EIC, Hae-Sun Kang, pour la création mondiale de sa propre pièce Close-ups (Gros plan). Une chaise haute pour la violoniste, quelques petites percussions et un gros livre pour la chanteuse suffisent à ce théâtre de sons s'appuyant sur le texte en français et anglais d'Emma Werner, la sœur de la compositrice. Héloïse y incarne quatre personnages : elle chante (le timbre est joli et la voix bien projetée) mais aussi s'époumone, hoquette et coasse, selon le portrait envisagé. Des signaux sonores, sonnette de table, egg-shaker, résonance de la crotale ou bruit mat du livre qui se referme, mettent l'oreille en alerte. Aérien, le violon d'Hae-Sun Kang virevolte autour de la voix avant un accès de folie où il va s'exprimer ouvertement. Les deux interprètes sont complices et virtuoses, très drôles dans cette aventure qui s'inscrit dans la droite lignée d'un Ligeti.
Familier de la musique de Reich, le peintre allemand Gerhard Richter avait invité le musicien américain à venir jouer ses compositions lors de l'une de ses expositions. En 2018, il demande au New-yorkais d'écrire la musique de son film Patterns qu'il réalise avec Corinna Belz. Ainsi nait Reich/Richter, pièce du dernier Reich, entendue ce soir sans les images, que l'EIC a déjà enregistrée (CD (Nonesuch) avec George Jackson.
Le compositeur dit s'être inspiré du processus cinématographique pour bâtir son œuvre qu'il articule en quatre parties, grande arche temporelle (37 minutes) où la musique revient là où elle a commencé. Les instruments vont par deux, piano et vibraphone ayant à charge d'entretenir la pulsation, énergie vitale chez Steve Reich. La musique procède par vagues, boostée par les fulgurances graves du piano (Sébastien Vichard) et les traits sombres du violoncelle (Eric-Maria Couturier). Mais le rythme ralentit graduellement, créant une impression d'apesanteur où la trame fusionnelle des cordes et des vents semble flotter dans l'espace. L'écoute est immersive, que l'on doit à la qualité du son des pupitres de l'EIC et au geste aussi économe que fluide de George Jackson, conférant à la musique du New-yorkais, lorsqu'elle est jouée avec une telle qualité, son suprême pouvoir d'envoûtement.
Crédit photographique : Annie Collinge (portrait Steve Reich) / Radio France
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6-II : Steve Reich (né en 1936) : Jacob’s ladder, pour quatre voix et ensemble ; Reich/Richter, pour orchestre de chambre. Joséphine Stephenson (née en 1990) : In time like air, pour ensemble (CM). Héloïse Werner (née en 1991) : Close-Ups pour soprano et violon (CM). Héloïse Werner, soprano ; Hae-Sun Kang, violon ; Synergy vocals : Tara Bundgard, Micaela Haslam, sopranos ; Benedict Hymas, Will Wright, ténors ; Ensemble Intercontemporain, direction : George Jackson