L’art de Grieg et Smetana magnifié par le Quatuor Modigliani

Le Quatuor Modigliani, après s'être fait apprécier dans ses interprétations de chefs-d'œuvre classiques et romantiques (Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, Mendelssohn, Brahms, Dvořák) présente une lecture de deux compositeurs européens de la mouvance nationale et romantique de la fin du XIXᵉ siècle : le Norvégien Edvard Grieg et le Tchèque Bedřich Smetana.

Rappelons la trajectoire du Quatuor Modigliani constitué de quatre instrumentistes tous issus de Conservatoire national supérieur de musique de Paris où ils créent leur formation en 2003. Ils bénéficient de l'expérience du Quatuor Ysaÿe, remportent de nombreux prix, reçoivent quantité de distinctions, se produisent dans le monde entier, collaborent avec des musiciens de renom et élaborent une discographie amplement louée par la critique professionnelle et le public.

Edvard Grieg compose son Quatuor à cordes n°1 en sol mineur en 1877-1878 (il a 34 ans) presque au même moment (1876) que Bedřich Smetana qui élabore son Quatuor à cordes n°1 en mi mineur, sous-titré « De ma vie » (à l'âge de 52 ans). L'un et l'autre traduiront de manière singulière et souvent inoubliable leur passion pour la musique populaire de leur pays d'origine.

Le Quatuor de Grieg fut présenté en création à Cologne en octobre 1878 par le Quatuor Heckmann qui la diffusa en Allemagne, puis Franz Liszt, conquis, la défendit à Rome. Le premier mouvement, un Poco Andante, repose dès le début sur un thème utilisé par le compositeur pour l'une de ses mélodies sur un poème (Spillemænd) de son compatriote Henryk Ibsen. Cette section, sous une forme plus ou moins variée, se retrouve dans chacun des mouvements de l'œuvre. Un Allegro molto constitue le thème principal qui sert de socle au thème secondaire et sera parfois décrit comme manquant d'unité et d'intensité, ce qui ne semble absolument pas évident à nos oreilles qui y perçoivent davantage une puissance dramatique liée aux difficultés rencontrées par le compositeur (mort de sa fille, décès de ses parents, conflit conjugal sévère). Le deuxième mouvement, noté Romance, davantage consistant, est un Andantino que l'on peut qualifier de rêverie pastorale, apaisée et sensible. Lui fait suite une partie contrastée nommée Allegro agitato, tumultueuse et dominée par une agitation rythmique bien conduite. Quelques mesures rappellent la section Andante du mouvement précédent. Ce même thème parcourt avec plus de caractère et d'insistance l'Allegro molto marcato, troisième mouvement assimilable à un Intermezzo dansant populaire (Halling). Le final, Presto al saltarello, trouve sa saveur dans son intensité rythmique insistante aux dépens de la ligne mélodique et s'achève avec le retour volontaire du thème conducteur initial cette fois clamé avec ardeur et évocateur du violon Hardanger si proche de l'âme du compositeur. Les Modigliani défendent avec brio cette pièce qui n'appartient pas au meilleur de la production du Norvégien mais qui délivre de beaux passages et un langage redevable de l'école de Leipzig où le compositeur fut élève dans sa jeunesse. Ici, l'interprétation est tendue et se pare d'une nervosité inquiète, notamment par la suggestivité des contrastes dynamiques et de tempo.

« De ma vie », le premier quatuor de Smetana, porte les stigmates d'un drame personnel. Le compositeur vient d'être frappé par une surdité brutale, totale et malheureusement irréversible. L'événement se passe en octobre 1874, il doit renoncer à une grande partie de ses activités et ce quatuor, auquel il porte un point final en décembre 1876, est devenu en quelque sorte son journal intime. La création publique se déroule le 29 mars 1877 à Prague. Elle avait été précédée d'une exécution privée, l'altiste de la formation s'appelait Antonín Dvořák. Le bouleversant premier mouvement, Allegro vivo appassionato, de l'aveu même du maître, est une réminiscence de sa jeunesse vouée au romantisme tout en laissant sourdre un soupçon de menace d'un futur peu radieux, notamment par le biais d'un sifflement aigu et funeste. Le deuxième mouvement, Allegro moderato alla Polka, offre un retour joyeux vers ses premières années lorsqu'il composait des airs de danses tchèques et qu'il aimait danser. Le mouvement suivant, Largo sostenuto, se veut une réminiscence d'un premier amour pour une jeune fille qui deviendra sa femme, laquelle disparaîtra trop tôt en 1859, touchée par la tuberculose. Le dernier mouvement, Vivace, traduit son enthousiasme pour une musique nationale brutalement interrompu par la survenue de la surdité (sifflement aigu en mi du premier violon) rendant son avenir d'homme et d'artiste à peu de choses, source d'une douleur omniprésente. L'adéquation de l'œuvre autobiographique de Smetana et de l'interprétation du Quatuor Modigliani traduit une osmose toute de finesse et de sensibilité, d'urgence et d'élégance contenues, aboutissant à un rendu terriblement humain mais aussi musicalement sans faille ni mièvrerie.

Une nouvelle et indéniable réussite à porter au crédit d'un des meilleurs quatuors à cordes de notre époque au sein duquel prime une harmonie entre unité et individualité, une maîtrise des lignes et des tempos, une précision toujours favorable aux œuvres défendues. Captivant.

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