Une évocation décoiffante du théâtre musical vénitien par Le Stagioni

Paolo Zanzu s'entoure de cinq chanteurs familiers du baroque italien pour illustrer la naissance de l'opéra vénitien.

Nous sommes à Venise dans les années 1640. Né trente ans plus tôt, l'opéra italien trouve ici un nouveau terrain d'expérimentation au moment du carnaval, et quitte les palais princiers pour les théâtres publics récemment construits. Paolo Zanzu a conçu son programme comme un petit opéra imaginaire. Tout y est : prologue, solos, duos, lamentos, scènes comiques et de folie… Au centre de cette anthologie, l'extraordinaire scène de folie de La finta pazza de Sacrati est un sommet de ce répertoire. Cette œuvre, crée en 1641 pour l'inauguration du Teatro Novissimo, a connu un immense succès dans toute l'Europe. Se succèdent, avec un art consommé de la transition, Monteverdi, Ferrari, Brunerio, Strozzi … C'est Cavalli qui ouvre et ferme le ban, avec le prologue de l'Ormindo et sa scène finale Volate, fuggite. Pour illustrer l'influence croisée entre madrigaux, musique sacrée et musique de théâtre, Paolo Zanzu a choisi la version Pianto della Madonna du même Lamento d'Ariane de Monteverdi, au prétexte que la Vierge est une personnification de Venise. Enfin, trois courtes Corrente d'Uccellini servent d'intermèdes instrumentaux à ce programme éminemment théâtral.

Les chanteurs sont ici tous remarquables d'engagement expressif, indispensable pour rendre au mieux la variété des affects. C'est un véritable défi de rendre au disque la théâtralité de ces airs, et c'est ici un pari gagné. Emmanuelle de Negri domine la distribution de sa voix parfaitement timbrée, capable de passer tout en souplesse de la plainte la plus touchante aux excès de la folie. La scène de La finta pazza où elle incarne une Deidamia complètement déjantée est le sommet de ce programme. Zachary Wilder campe une Arnalta très convaincante dans l'extrait de L'incoronazione di Poppea, et nous touche infiniment dans le lamento Cielo sia con tua pace de Benedetto Ferrari. Les trois prétendants sont parfaits face à une Pénélope touchante dans Il ritorno d'Ulisse. La belle voix de basse de Salvo Vitale offre un ambitus étendu dans l'air Nella musica del mondo de Michelangello Bruniero, enregistré ici en première mondiale. L'effectif instrumental (une dizaine de musiciens) est volontairement restreint,comme l'étaient les orchestres de l'époque, à l'étroit dans des théâtres trop petits. Quant au continuo, mené du clavecin par Paolo Zanzu lui-même, il s'enrichit d'improvisations parfaitement réalisées par des musiciens rompus aux subtilités de ce répertoire.