Austerlitz : la vie rêvée de Gaëlle Bourges au Théâtre Public de Montreuil

Dans Austerlitz, ballet documentaire créé en novembre à Vélizy et actuellement au Théâtre Public de Montreuil, Gaëlle Bourges entremêle souvenirs personnels et histoire de la danse pour une déambulation « à la manière de » très littéraire.

Le texte, récit lu en voix off par la chorégraphe, est très bien écrit. À la première personne, Gaëlle Bourges raconte dans Austerlitz des souvenirs d'enfance liées à la danse et introduit ceux de ses amis ou interprètes. Au fil des phrases et des photos en noir et blanc, projetées sur le fond de scène, surgissent des images, des dates, des noms appartenant à l'histoire de la danse.

Cette histoire documentée paraît tantôt lointaine (sont successivement évoqués Nijinsky, Loïe Fuller ou  l'historien de l'art Aby Warburg, qu'a longtemps étudié la chorégraphe), tantôt proche, comme lorsque Gaëlle Bourges évoque au début du spectacle ce gala de danse auquel elle participa enfant ou les cours de danse qu'elle donnait à la fac de sport ; tandis qu'elle est illustrée par de courtes séquences dansées par des interprètes que l'on ne distingue jamais vraiment. Derrière un écran de tulle, figures historiques ou personnages de papier, ils restent dans la pénombre d'une lumière parcimonieuse, dans l'éphémère d'un instant délicatement dressé, dansé ou mimé.

Mêlant grande et petite histoire, personnages réels ou inventés, rêve et réalité, le récit se poursuit avec les méandres très proustiens ou woolfiens que permettent la pensée et les souvenirs. Gaëlle Bourges s'appuie parfois sur des textes littéraires, comme Tristesse de la terre d'Eric Vuillard pour évoquer le Wild West Show de Buffalo Bill, le récent Triste Tigre de Neige Sinno ou Austerlitz de W. G. Sebald, qui donne son titre au spectacle. Elle s'appuie surtout sur la matière recueillie auprès des danseurs lors du processus de création, des histoires personnelles tournant presque toutes autour de la danse.

Les photos sont là pour attester de la véracité de ces souvenirs, accentuant encore la dimension nostalgique et l'absence de temporalité. Il y a du Modiano ou du Ernaux dans ces allers-retours entre le passé proche et le lointain, la volonté de trouver du familier dans tout ce que d'autres ont vécu avant nous.

Projet théâtral et chorégraphique ambitieux, Austerlitz est une belle réalisation, subtile et littéraire, un objet inconnu et sensible, créant un écho vibrant en chacun de nous.

Crédits photographiques : © Danielle Voirin