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Louise Bertin (1805-1877) : Fausto, opéra semi-sérieux en quatre actes sur un livret de la compositrice traduit en italien par Luigi Balocchi. Karine Deshayes, mezzo-soprano (Fausto) ; Karina Gauvin, soprano (Margarita) ; Ante Jerkunika, basse (Mefistofele) ; Nico Darmanin, ténor (Valentino) ; Marie Gautrot, contralto (Catarina) ; Diana Axentii, soprano (Una Strega / Marta) ; Thibault de Damas, baryton-basse (Wagner / Un Banditore) ; Flemish Radio Choir ; Les Talens Lyriques, direction : Christophe Rousset. 1 livre-disque de 2 CD Bru Zane. Enregistrés à la Seine Musicale (Riffx Studios), Paris, du 15 au 18 juin 2023. Notice de présentation en français et anglais. Durée totale : 125:57
Bru ZaneQuinze ans avant Berlioz et vingt-huit ans avant Gounod, Louise Bertin signe une des premières adaptations pour la scène du chef d'œuvre de Goethe. Distribution quasi idéale pour un ouvrage furieusement romantique qui pourrait facilement passer pour du jeune Berlioz.
Le présent enregistrement est le reflet du concert chroniqué dans nos colonnes en juin de cette année. Il permet d'entendre Fausto de Louise Bertin, cette œuvre d'une extrême rareté créée en mars 1831 au Théâtre-Italien de Paris et plus jamais entendue depuis. Le passionnant livre-guide qui accompagne le CD donne à l'auditeur, à l'instar de tous les albums publiés par le Palazzetto Bru Zane, tous les éléments nécessaires à la compréhension de Fausto. Il y est question en effet du contexte artistique lié à la vie musicale parisienne en cette période artistique charnière, mais également de la réception en France du chef d'œuvre de Goethe, vingt ans après sa parution en Allemagne et avant sa popularisation par Berlioz puis par Gounod. Le livre se penche également sur la genèse et sur l'analyse littéraire et musicale d'un ouvrage dû à une compositrice apparemment surdouée mais qui, quoique issue d'une famille riche, intellectuelle et cultivée, accumulait tous les obstacles pour faire carrière dans la musique. En 1830 être femme, française, handicapée physique de surcroît, n'était pas forcément le meilleur moyen pour se faire connaître dans un monde artistique éminemment masculin. De fait, Louise Bertin fut la seule femme, et l'une des rares artistes d'origine non-italienne, à avoir écrit un opéra monté au Théâtre-Italien. L'ouvrage, nous l'avons déjà dit, n'est peut-être pas un grand chef d'œuvre, pas plus que ces dizaines d'opéras des XVIIᵉ, XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles que nous découvrons aujourd'hui avec le plus grand plaisir, grâce notamment au travail accompli par les chercheurs et par la volonté de certains labels discographiques dont le courage artistique doit être salué. Il nous est cependant impossible de nier l'intérêt réel que constitue cette partition écrite par une compositrice visiblement située à la croisée des chemins, dans laquelle se sentent encore quelques influences héritées de la tradition classique – Mozart, Haydn, Gluck, Méhul, Gossec – mais qui, dans ses élans farouchement romantiques, évoquerait presque une œuvre d'un Berlioz de jeunesse. L'ouvrage de Louise Bertin, par sa richesse et son originalité, se démarque en tout cas de ce qui, au tout début des années 1830, pouvait encore passer au Théâtre-Italien comme le modèle rossinien et que d'autres compositeurs après elle – Meyerbeer, Donizetti, Bellini… – devaient eux aussi, chacun à sa manière, être appelés à dépasser. Par sa luxuriance orchestrale, par son audace harmonique, par le peu de cas fait à la virtuosité vocale voire à la mélodie, Louise Bertin signe une partition éminemment innovante, qui fait regretter qu'elle n'ait pas fait le choix de poursuivre sa carrière musicale dans l'univers lyrique. Daté de 1836, sur un livret de Victor Hugo, La Esmeralda devait être son dernier opéra.
Au disque, la distribution réunie pour l'occasion est proche de l'idéal. Reprenant la tessiture originale de mezzo aigu conçue initialement pour la contralto Rosmunda Pisaroni – pour les Italiens, le rôle avait finalement été créé par le ténor Domenico Donzelli – Karine Deshayes s'investit à fond vocalement et dramatiquement, et la cantatrice française n'a aucun mal à traduire l'ensemble des affects traversés par son personnage. Peu habituée à cette esthétique belcantiste, Karina Gauvin rend tout à fait crédible le personnage de Margarita, qu'elle parvient à rendre émouvant et attachant grâce à sa voix bien conduite et richement timbrée. En Mefistofele, la basse croate Ante Jerkunica n'a aucun mal, avec des moyens aussi imposants, à composer un démon noir et inquiétant tout en préservant la composante comique d'un personnage que le texte n'hésite pas à mettre implicitement en parallèle avec le Leporello de Don Giovanni, notamment lorsqu'il évoque à l'acte 2 la liste des conquêtes féminines opérées de par le monde… Dans son rôle de Valentino, le ténor Nico Darmanin fait lui aussi montre d'un chant propre et accompli, tout à fait en adéquation avec l'esthétique vocale du moment. Belles prestations également de Marie Gautrot, Diana Axentii et Thibault de Damas. Parfaitement à l'aise dans cette esthétique transitoire entre deux univers opératiques, celui de l'opéra classique fin dix-huitième et celui du premier romantisme, le Chœur de la Radio flamande et les Talens lyriques, tous placés sous la direction de Christophe Rousset, rendent parfaitement justice à une partition injustement oubliée et qui, grâce au disque, devient accessible au public mélomane.
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