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Les Ailes du désir : un opéra-culte pour un film-culte ?

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Besançon. Les 2 Scènes (Théâtre Ledoux). 18-I-2024. Othman Louati (né en 1988) : Les Ailes du désir, opéra d’après le film de Wim Wenders, sur un livret de Gwendoline Soublin. Mise en scène : Grégory Voillemet. Idée originale et scénographie : Johanny Bert. Costumes : Pétronille Salomé. Lumières : Jean-Philippe Viguié. Avec : Marie-Laure Garnier, soprano (Damielle) ; Romain Dayez, baryton (Cassiel) ; Shigeko Hata, soprano (l’Enfant/la Mendiante) ; Mathilde Ortscheidt, mezzo-soprano (la Mère, la Directrice du cirque) ; Camille Merckx, alto (Marion) ; Benoît Rameau, ténor (Peter, l’Aimant jamais aimé) ; Ronan Nédelec, baryton (le Vieux rescapé/l’Employé du cirque). Ensemble Miroirs Etendus, direction : Léo Margue

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Une première pour La Co[opéra]tive : une création mondiale. Après l'impressionnante mise en scène de Phia Ménard pour Les Enfants terribles de Philip Glass, l'imaginative structure aux sept villes a eu une nouvelle fois la main heureuse en confiant celle des Ailes du désir, le premier opéra d', à Grégory Voillemet et Johanny Bert. Ce soir les Anges de survolent Besançon.

Au départ, un film vu et revu, à voir et à revoir, tourné dans le Berlin de 1987. Un des plus inspirés de , Der Himmel über Berlin portait un regard vu du ciel sur une humanité dont la capacité d'aimer allait conduire l'un des observateurs extra-terrestres du scénario à remettre en question le sexe de l'ange qu'il était. Les distributeurs français re-baptisèrent ce si poétique Ciel au-dessus de Berlin d'un plus banal Les Ailes du désir, titre qui ne prenait en compte qu'une composante d'un chef-d'œuvre profus qui questionnait bien au-delà l'état du monde par le prisme d'une ville d'après la chute (Auschwitz) et d'avant la chute (le Mur de la honte).

Le beau livret de Gwendoline Soublin n'a rien évacué de cette ambition originelle du réalisateur allemand auquel elle adresse un malicieux clin d'œil en appelant le petit garçon Wim, avant de prophétiser aussi bien la chute toute proche d'un mur de 38 ans d'âge, que celle des « murs » à venir (« tours effondrées, noctambules transpercés de balles… », écrit-elle) d'un monde qui semble ne toujours pas retenir ses leçons d'histoire. épouse de même la compassion wendersienne. Tandis que résonnent, en allemand, les premiers mots empruntés au film par cet opéra d'1h40 qui sera ensuite chanté en français, la musique du percussionniste-compositeur associé du Balcon de Maxime Pascal prolonge à son tour la révérence au film-culte avec son allégeance à la bande originale de Jürgen Knieper. A partir du maillage des voix humaines perçues par les Anges, elle joue elle aussi la carte de l'hypnotique, avant de révéler sa propre personnalité. Parfois énergique, comme pour la scène de la mendiante en strass qui rêve de devenir rockstar, ou chaloupée pour la dernière scène en hommage à Nick Cave, elle s'inscrit dans le geste de Kaija Saariaho dont le récent Innocence a fait l'unanimité à Aix. A la tête d'un ensemble de treize instrumentistes (Miroirs Etendus), le jeune chef semble prendre beaucoup de plaisir à révéler les humeurs subtiles de cette musique proche des mots et des atmosphères, mâtinée d'électronique (les chanteurs sont sonorisés), d'ariosos. L'enthousiasme au moment des saluts semblait s'adresser autant à ce nouvel opus lyrique ne prétendant pas s'inscrire dans la liste de ceux que l'on peut fredonner au quotidien, et dont l'avenir dira s'il peut prétendre au même statut-culte que celui du film, qu'aux images simples et imaginatives de ses concepteurs.

Le rectangle d'un ciel de lumière qui se lève derrière des nuées de fumigènes (le ciel du film) découpant des ombres chinoises en mouvement : voilà qui révèle déjà, pour notre bonheur immédiat, que Grégory Voillemet, qui a assisté Olivier Py, Laura Scozzi (ses sensationnelles Indes galantes), fut naguère au côté de Bob Wilson. Il se passe beaucoup de choses sur le plateau de ce spectacle très visuel. Toiles latérales, verticales, surimpressions, contre-jours, fragments de décor : le tout coulisse comme en apesanteur dans des lumières millimétrées qui n'ont rien à envier à celle d'Henri Alekan, le chef opérateur de Wenders. Si le fameux Mur (que Wenders, comme pour venger tout un peuple empêché, voulait traversable par ses Anges) fait partie du mobilier, on guettera en vain l'Ange de la Colonne de la Victoire qui domine la métropole allemande, pourtant une des images magnétiques du film. Voillemet emprunte également aux inoubliables Éphémères d'Ariane Mnouchkine ses petits chariots mobiles avec décor spécifique à chaque lieu de vie, une solution scénique providentielle pour ce qui fut au cinéma le souci majeur de Wenders : comment montrer ce que les anges voient ?

Avant que la situation ne s'inverse judicieusement au final, ce sont les humains qui sont incarnés par les marionnettes empathiques de Johanny Bert et doublés dans l'ombre par une équipe de sept chanteurs, mêlant aussi leurs voix pour quelques fragrances chorales : Ronan Nédelec, bouleversant rescapé ; , aussi convaincante en Mendiante qu'en Enfant ; , Mère au mezzo chaleureux ; ,  Peter (Falk, ou ce qu'il en reste) et surtout déchirant Mal-aimé. est, à tous niveaux, un Cassiel d'imposante stature. L'alto profond et juvénile (de ceux assurément immédiatement reconnaissable) de fait merveille en Marion et l'on comprend que la Damielle de (à qui sont réservés de périlleux sauts de l'Ange vocaux), envoûtée par un tel ramage, aille jusqu'à se délester de ses plumes divines.

On aura noté au passage que le Damiel de Wenders est devenue la Damielle de Louati. Une femme, donc. On aurait aussi bien pu imaginer que Marion la trapéziste se prénommât Mario. Deux hommes à la place de deux femmes. Ce qui aurait également changé la configuration sentimentale (un homme et une femme) imaginée par Wenders. Mais cela n'aurait rien enlevé non plus à un film et un opéra qui sont l'un comme l'autre une ode à l'amour des humains propre à faire fondre le plus zélé des Anges.

Crédits photographiques : © Christophe Raynaud de Lage

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