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Nancy. Opéra national de Lorraine. 14-I-2024. Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : David et Jonathas, tragédie biblique en un prologue et cinq actes sur un livret du Père François de Paule Bretonneau. Mise en scène, scénographie et lumières : Jean Bellorini. Livret théâtral : Wilfried N’Sondé. Scénographie : Véronique Chazal. Costumes : Fanny Brouste. Maquillages, masques, coiffures et perruques : Cécile Kretschmar. Création son et vidéo : Léo Rossi-Roth. Avec : Jean-Christophe Lanièce, Saül ; Gwendoline Blondeel, Jonathas ; Petr Nekoranec, David ; Alex Rosen, Achis / l’Ombre de Samuel ; Étienne Bazola, Joabel ; Lucile Richardot, la Pythonisse ; Hélène Patarot, la Reine des oubliés. Ensemble Correspondances, direction : Sébastien Daucé
Après Caen en novembre dernier et avant le Théâtre des Champs-Élysées en mars, puis Luxembourg en avril, Nancy accueille pour trois représentations David et Jonathas de Charpentier sous la double houlette de Sébastien Daucé et son Ensemble Correspondances pour la partie musicale et de Jean Bellorini pour la réalisation scénique.
Plus connu pour son abondante production de musique sacrée, Marc-Antoine Charpentier est cependant l'auteur d'une œuvre conséquente pour le théâtre : musiques de scène pour les pièces notamment de Molière ou des deux Corneille, pastorales, divertissements et tragédies en musique. On songe à Médée bien sûr, remise en lumière à partir de 1976 par Jean-Claude Malgoire, Michel Corboz puis William Christie dans la mythique production de Jean-Marie Villégier, Médée qu'accueillera enfin l'Opéra national de Paris en avril prochain. David et Jonathas attendra 1981 pour retrouver la scène à Lyon avec Michel Corboz à la direction et Jean-Louis Martinoty à la mise en scène.
Lors de sa création en 1688 au Collège Louis-le Grand de Paris, cette «tragédie biblique» inspirée de l'Ancien Testament alternait acte par acte avec la pièce (perdue) en latin du Père Chamillard. C'est l'écrivain Wilfried N'Sondé qui a été chargé cette fois de la rédaction d'un texte alternatif suffisamment court pour ne pas être envahissant et où il universalise le propos en un hommage aux victimes anonymes de tous les conflits passés ou à venir. Au tableau final, tandis que retentit le chœur de liesse qui célèbre la victoire de David, la révélation progressive dans une fosse commune de ces victimes statufiées constitue un moment fort du spectacle. Ce texte est dit en voix off ou sur scène par la comédienne Hélène Patarot, intensément douce et maternelle dans son rôle de « Reine des oubliés » mais aussi d'aide-soignante.
Car le metteur en scène Jean Bellorini nous raconte le drame à travers les yeux et les souvenirs du roi déchu Saül, désormais fou et interné dans un asile. Après tout, c'est bien la paranoïa de Saül, persuadé que David complote pour le destituer et accéder à son pouvoir, qui est la cause de son bellicisme et des catastrophes qui ont découleront. Le niveau supérieur du décor de Véronique Chazal et Jean Bellorini figure donc une clinique psychiatrique. En montant ou descendant, cette passerelle révèle le plateau dénudé et uniformément noir où prend place l'action. Saül y descendra parfois quand l'action l'exige. David montera à la fin dans sa chambre pour lui suggérer le suicide que Saül ne fera que simuler : il faut bien qu'il survive pour justifier sa présence sur scène tout au long de la soirée !
Au niveau inférieur, Jean Bellorini se contente de meubler l'espace. En premier lieu, son exceptionnel travail sur les éclairages découpe l'obscurité, révèle des éléments significatifs, favorise les contre-jours et les ombres portées avec un résultat d'un très grand esthétisme. Les costumes de Fanny Brouste et les maquillages de Cécile Kretschmar, d'inspiration exotique (la Pythonisse) ou militaire (le chœur), apportent la couleur. Tout cela est fort beau mais malheureusement ni le texte surajouté, ni le caractère hétéroclite des costumes, ni la manipulation assez absconse de divers mannequins, ni les placements géométriques des intervenants et du chœur ne clarifient l'action scénique. La direction d'acteurs assez terne et convenue ne contribue pas, elle non plus, à faire naître la vie et l'émotion.
C'est donc par la musique que les passions humaines trouveront pleinement à s'exprimer. Le maître d'œuvre en est le chef Sébastien Daucé qui, dans un tempo globalement vif et soutenu, par des gestes amples, ronds et jamais saccadés obtient de son Ensemble Correspondances une sonorité riche et nourrie à laquelle participent le choix d'un continuo étoffé et la variété des couleurs, aux bois particulièrement. Le Chœur de l'Ensemble Correspondances apporte lui aussi vigueur, présence et une parfaite homogénéité à ses décisives interventions.
Pour David, le ténor Petr Nekoranec n'est pas en théorie le haute-contre idéal. L'aigu est peu mixé et essentiellement en voix de tête avec une tendance à s'amincir mais il est magistralement relié sans rupture au reste de la tessiture. Avec une apparente aisance, il s'empare pourtant avec brio de la tessiture difficile du rôle et lui donne intensité, puissance et vie dans un français irréprochable. À ses côtés, Gwendoline Blondeel est la plus merveilleuse des Jonathas à qui elle apporte la lumière diaphane de ses aigus et une puissante capacité à émouvoir qui culmine dans sa grande scène de l'acte IV «A-t-on jamais souffert une plus rude peine». Moins puissant, moins pur de sonorité et moins aidé par la mise en scène, Jean-Christophe Lanièce réussit pourtant une impressionnante composition en Saül mutique et dépressif, désormais dépourvu de toute autorité.
Que ce soit dans les graves abyssaux de l'Ombre de Samuel ou dans l'autorité et le brillant du Roi des Philistins Achis, Alex Rosen se montre irréprochable avec la noirceur idéale du timbre vocal. Un tantinet moins à son aise vocalement et scéniquement, Étienne Bazola incarne un Joabel parfaitement détestable et vénéneux. Enfin, Lucile Richardot ne fait qu'une bouchée du (trop court) rôle de la Pythonisse qu'elle détaille avec gourmandise et une variété exceptionnelle de couleurs et de nuances. Les applaudissements nourris d'une salle bien remplie et cinq rappels viennent venus saluer les qualités de ce rare David et Jonathas.
Crédits photographiques : Petr Nekoranec (David), Gwendoline Blondeel (Jonathas) / Jean-Christophe Lanièce (Saül), Hélène Patarot (l'Aide-soignante), Chœur de l'Ensemble Correspondances © Philippe Delval pour le Théâtre de Caen
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Nancy. Opéra national de Lorraine. 14-I-2024. Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : David et Jonathas, tragédie biblique en un prologue et cinq actes sur un livret du Père François de Paule Bretonneau. Mise en scène, scénographie et lumières : Jean Bellorini. Livret théâtral : Wilfried N’Sondé. Scénographie : Véronique Chazal. Costumes : Fanny Brouste. Maquillages, masques, coiffures et perruques : Cécile Kretschmar. Création son et vidéo : Léo Rossi-Roth. Avec : Jean-Christophe Lanièce, Saül ; Gwendoline Blondeel, Jonathas ; Petr Nekoranec, David ; Alex Rosen, Achis / l’Ombre de Samuel ; Étienne Bazola, Joabel ; Lucile Richardot, la Pythonisse ; Hélène Patarot, la Reine des oubliés. Ensemble Correspondances, direction : Sébastien Daucé