Aspects complémentaires du catalogue de Giya Kancheli par Elisaveta Blumina

L'œuvre de Giya Kancheli aborde une large variété d'écriture à destination d'effectifs très différents. Cet enregistrement apporte un éclairage, circonscrit certes, mais bienvenu et individuel.

La discographie consacrée à ce créateur précieux, disparu il y a tout juste quatre années, offre un choix d'envergure où foisonnent une multitude de chefs-d'œuvre n'ayant pas encore, indubitablement, trouvé leur public.

Cet enregistrement est piloté par la pianiste et cheffe d'orchestre Elisaveta Blumina, qui a connu personnellement le compositeur et a enregistré l'intégrale de ses Miniatures pour piano seul en 2018 pour le label allemand Dreyer Gaido. Ces petites pièces résultent d'une sélection de thèmes utilisés par Kancheli dans ses nombreuses partitions destinées au théâtre et au cinéma, pièces sorties de leur contexte, pour lesquelles, contrairement à ses habitudes, il laissa aux interprètes une certaine liberté d'exécution. Ce fut un succès international inattendu par l'impact sur les auditeurs et par l'attrait exercé sur une multitude d'instrumentistes charmés. Elles donnent un bel échantillonnage de sentiments, de rythmes, de climats et cela en presque toute simplicité… apparente. Dans cet arrangement du compositeur pour violon et piano, Blumina et le violoniste allemand Hartmut Schill, gravent neuf des dix-huit pièces au total. Très courtes, de 2 à 3 minutes, elles transportent l'auditeur dans des paysages intimes riches de lignes mélodiques brèves et concises, de méditations délicates, d'une alternance de sections méditatives et fortissimos, de sérénité parfois bousculée sans fracas excessifs. Cette version égale la prestation parfaite du couple Andrea Cortesi/Marco Venturi (Brilliant Classics, 2016) et celle, de premier plan également, de Piet Koornhof/Albie Van Schalkwyck (Delos, 2022).

La singulière petite pièce intitulée Une Petite Daneliade pour piano, cordes et percussion (11'), créée par son ami Gidon Kremer et son Kremerata Baltica en 2000, appartient au registre des compositions moins ambitieuses, emplies d'humour et constituant des clins d'œil à ses amis et proches toujours prompts à défendre sa musique et à apprécier ses hommages musicaux. Sans abandonner une de ses marques de fabrique, Kancheli mêle et alterne des rythmes marqués, des écarts dynamiques francs, des lignes mi-sérieuses mi-cocasses, esquissant de courtes sections mélancoliques. La musique évoque le caractère de son grand ami Giorgi Daneliya (1930-2019), fameux cinéaste géorgien pour lequel il écrivit d'inoubliables musiques dont celle du film dystopique et humoristique Kin-dza-dza ! (1986).

Valse Boston pour piano et cordes, créée à Stuttgart en 1996 sous la direction de Dennis Russell Davies, porte la dédicace suivante : « Pour ma femme avec qui je n'ai jamais dansé ». Là encore, Kancheli, tout en affichant ses immenses capacités créatrices, accorde une place certaine à la dérision allant des dissonances incisives du soliste s'opposant au sérieux apparent des cordes. Puis des pages au rythme marcato confié aux cordes dominent à leur tour un piano discret. Les cordes de l'Orchestre Robert Schumann de Chemnitz (Allemagne) et Elisaveta Blumina servent admirablement cette partition parfois énigmatique dont il existe une autre version, celle du créateur Russell Davies à la tête de l'Orchestre de chambre de Munich (ECM, 2004), toutes les deux irréprochables.

Le CD s'achève par une œuvre ancienne, datant de l'époque où le compositeur figurait parmi les progressistes mal vus par les autorités soviétiques. Il s'agit d'une pièce d'une dizaine de minutes pour piano, cordes et timbales intitulée Largo et Allegro et écrite en 1963. La partition fait sensation à la radio de Tbilissi et partage les auditeurs en deux clans opposés. La première partie marquée Largo affiche une ampleur et une introspection, modeste certes, mais parfaitement intégrée aux canons du genre. A l'opposé, le second mouvement Allegro, survolté, viril, densément rythmé, sans concession à la tradition évoque certainement la proximité de Chostakovitch.

Un album à retenir sans hésitation tant l'implication respectueuse de l'art de Giya Kancheli par Elisaveta Blumina et ses collègues nous paraît mémorable. En se souvenant toutefois que le maître géorgien a aussi énormément composé dans des registres plus universels et impérissables.

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