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Vittorio Forte dans Medtner : le pianiste-poète et sa Muse

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Nikolaï Medtner (1880-1951) : Mélodies oubliées, premier cahier opus 38 ; 4 fragments lyriques, opus 23 ; Skazki (six contes), opus 51 ; « La Muse », mélodie d’après Pouchkine opus 29 n° 1, transcription de Vittorio Forte. Vittorio Forte, piano Bechstein D. 282 de la collection Fabbrini. 1 CD Odradek. Enregistré au studio Odradek « The Spheres » de Montesilvano du 19 au 22 septembre 2022. Notice de présentation en anglais et en français Durée : 75:38

 
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Pour son nouvel enregistrement, paru comme les deux précédents sur le label Odradek, le pianiste propose de réminiscences en fragments lyriques ou autres contes, un portrait intime et épuré de .

Dans sa courte et belle préface littéraire au présent enregistrement, dit avoir mis à profit la période du confinement et de la retraite pandémique obligée de 2020, entre « désespoir et étrange sensation de liberté » pour découvrir de nouveaux pans de répertoires et en particulier explorer l'abondante production pianistique de , qu'il avoue n'avoir jusque là fréquenté qu'assez superficiellement. En parfait et fin diseur, il nous « raconte » littéralement les pages de ces trois cycles, soigneusement choisis et agencés, pour un itinéraire empreint d'échos poétiques et d'émotions aussi authentiques que profondes, sous les auspices de la seule muse musicale – titre de l'ultime plage et de l'album, l'une des mélodies du maître inspirée par la poésie de Pouchkine.

Medtner, compositeur génialement autodidacte, exprime dans son œuvre autant son héritage instinctif russe que sa filiation assumée avec la culture musicale occidentale par un sens certain de l'architecture, et une conduite polyphonique héritée d'un Beethoven et de l'école germanique. Il s'y livre à cœur ouvert, sans virtuosité tapageuse, malgré les redoutables difficultés techniques du corpus et affiche, par l'expression des derniers feux d'un romantisme intemporel, en creux une grande méfiance envers le modernisme ambiant ou des modes alors contemporaines – comme le formalisera son essai « la muse et la mode », publié en 1935 avec l'appui de son ami Rachmaninov, comme lui exilé loin de son pays.

a choisi de réunir trois cycles proposés dans leur intégralité, très caractéristiques et suffisamment différents pour dresser un portrait assez patent du compositeur. Il défend ce répertoire exigeant sur un grand Bechstein D.282 à la sonorité capiteuse et boisée, captée de manière chaude et proximale, dans une atmosphère chambriste. Les Mélodies oubliées opus 38 – premier de trois cahiers successifs publiés sous le même nom- sont autant d'allégories d'un paradis perdu : placée en exergue, la célèbre Sonata Reminiscenza verra son thème liminaire fantomatique repris sous différents jours au fil du cycle (par exemple, dans la Canzone serenata, n° 6), un peu mutatis mutandis comme la Promenade des Tableaux d'une exposition de Moussorgski – un fil rouge thématique parfois totalement métamorphosé, s'affirmant, en mode majeur, telle une victoire sur le destin, dans le bref et positif final Alla Reminiscenza.

Vittorio Forte donne le cycle dans sa continuité tel jadis le superbe Marc André Hamelin (chez Hyperion), mais dans des tempi plus soutenus que ce dernier. Il n'isole donc pas la Sonata des sept Danses et Fragments qui lui font suite (tel Geoffrey Tozer qui répartissait maladroitement le cycle sur deux CD différents de son intégrale parue chez Chandos).

Le pianiste fait montre dès cette sonate liminaire en un seul mouvement d'un subtil sens de la narration. Le cheminement de la pensée musicale est guidée par la cohérence psychologique des tempi et par une attention presque maniaque apportée aux nuances les plus subjectives (strepitoso, svegliando) dans le sentiment presque douloureux d'un bonheur à jamais ravi. Au fil du reste du cycle, Vittorio Forte peut se montrer plus insouciant dans la Danza Graziosa, libre dans son rubato jusqu'à une certaine précipitation très contrôlée au gré de la Danza festiva, d'une morbidezza languide au cours de la danza rustica, ou encore d'une virtuosité lisztienne et d'une légèreté d'elfe dans la danza silvestra. Mais le miracle vient, au-delà de la maîtrise technique solaire de notre interprète, de la grande cohérence de l'interprétation, avec cette sensation laissée à l'auditeur d'une unité spirituelle reliant ces huit pièces par delà leur grande diversité expressive et formelle.

Le pianiste joue d'avantage sur les contrastes de dynamique et de timbre au fil des quatre Fragments lyriques opus 23 – un cycle plus court et plus disparate dont la composition s'est étalée dur une quinzaine d'années entre 1896 et 1911 : il magnifie chaque miniature par un sens aigu de la caractérisation, depuis l'ambiance nostalgique mais sans une once de pathos de l'allegretto commodamente liminaire jusqu'au paysage crépusculaire de l'andantino tenebroso final, en passant par l'épanchement slave à la limite de la rupture de l'andantino gracile ou le tempo di valse, sorte de clin d'œil aristocratique auquel il confère un chic presque salonard de bon aloi.

Les Skazki (Contes) opus 51, cahier de l'exil londonien et l'un des grands chefs d'œuvre de l'auteur se veulent, sous ces doigts inspirés, véritables poèmes pianistiques, tels qu'admirés par Rachmaninov lui-même : Cendrillon y rencontre le folklore russe avec la figure symbolique d'Ivan le Fou.

Forte se mue derechef en chroniqueur sans pareil et diversifie à l'envi les ambiances et l'approche, entre extraversion fantasque (n° 1), évocation lyrique alla Grieg (n° 3), danse russe à la plastique très souple (n° 4), fluidité diaphane (n° 5), ou encore ivresse rythmique des notes répétées (n° 6).

Enfin, en guise de bis final à ce somptueux itinéraire, Vittorio Forte nous gratifie symboliquement de sa propre transcription, quasi debussyste de la mélodie la « Muse », élégante signature d'une évidente conjonction entre compositeur et interprète. Voilà donc un programme magnifiquement pensé et réalisé, idéal pour découvrir le génie singulier de , placé sous les auspices d'un artiste aussi attachant que versatile, comme nous l'avaient déjà prouvé son intégrale des valses de Chopin (Aeva), ou parus également chez Odradek, le si personnel récital CPE Bach, ou le programme-hommage au grand Earl Wild.

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Nikolaï Medtner (1880-1951) : Mélodies oubliées, premier cahier opus 38 ; 4 fragments lyriques, opus 23 ; Skazki (six contes), opus 51 ; « La Muse », mélodie d’après Pouchkine opus 29 n° 1, transcription de Vittorio Forte. Vittorio Forte, piano Bechstein D. 282 de la collection Fabbrini. 1 CD Odradek. Enregistré au studio Odradek « The Spheres » de Montesilvano du 19 au 22 septembre 2022. Notice de présentation en anglais et en français Durée : 75:38

 
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