Sirba Orchestra à Dijon : le sens de la fête
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Dijon. Auditorium. 6-I-2024. Sirba Orchestra ! Musique klezmer. Arrangements : Cyrille Lehn, Yann Ollivo. Avec : Alexeï Birioukov, balalaïka. Sirba Octet. Orchestre Dijon Bourgogne, direction : Joseph Bastian
Grande affluence à l'Auditorium dijonnais sous l'emblème de la concorde : pour fêter 2024, les ambassadeurs de la musique klezmer s'associant à l'Orchestre Dijon Bourgogne et au joueur de balalaïka Alexeï Birioukov.
Concerts, disques… Depuis 2003, le Sirba Octet, ensemble fondé par Richard Schmoucler, violoniste de l'Orchestre de Paris, fait vivre le répertoire de la musique klezmer, genre musical nourri des traditions yiddish et tziganes, développé par-delà le XVᵉ siècle par les Juifs d'Europe centrale et de l'Est. S'est ainsi constitué au fil des siècles un répertoire voyageur (il fallait animer les fêtes de villages ou religieuses), forcément rassembleur autour des cultures russes, roumaines, hongroises, moldaves et d'instruments spécifiques : le violon s'y taille la part du lion mais aussi le cymbalum, intronisé là comme nulle part ailleurs en coloriste de la soirée. Le terme klezmer, qui qualifiait au départ un musicien jouant une musique assez rudimentaire, est devenu au fil des siècles un titre de noblesse apposé sur l'art de virtuoses d'aujourd'hui.
Le Sirba Octet s'est régulièrement renouvelé depuis ses débuts mais l'esprit est resté intact autour des arrangements de Cyrille Lehn. Ce soir, le cymbalum de Iurie Morar, autre pilier des fondations de l'ensemble, rivalise de séduction avec la balalaïka d'Alexeï Birioukov, musicien russe installé en France depuis 1997, dont le bonheur enfantin de jouer de, et avec, son instrument (quelques rotations à 360° amusent Galerie et Parterre) semble tout droit sorti d'un opéra russe mis en scène par Tcherniakov.
Le programme, composé d'une petite vingtaine de pièces plutôt brèves (deux sont arrangées par Yann Ollivo), donné sans entracte, fait alterner le solo (Velenki par le seul Birioukov), le chambrisme (Les Deux guitares par les Sirba), le symphonique (Broitele pour la cinquantaine d'instrumentistes de l'Orchestre maison sous la direction de son nouveau chef, Joseph Bastian) et, bien sûr, le tutti. Ponctué de Hey !, de déhanchements, de propulsions en l'air intimés par l'énergie dansante de cette musique (la sîrba est une danse roumaine), de frappés de mains intimés à la salle dès le début, et même d'une blague hilarante (la mère juive qui a reconnu tout de suite l'amoureuse de son fils cachée entre deux autres prétendantes : « C'est la brune. -Mais, maman, comment as-tu deviné ? -J'sais pas… j'l'aime pas !»), la soirée n'engendre guère la mélancolie.
Ce cross-over presque inconséquent n'est pas sans engendrer une certaine lassitude, l'emballant Hora Moldoveneasca n'en faisant pas moins regretter l'absence de l'impressionnant Gayen Zay In Shvarze Reien, paru en 2018 chez DG). Force est cependant de reconnaître que l'on fond devant la technicité du Sirba Octet devenu, le temps d'un soir, Sirba Orchestra (la clarinette très charmeuse de serpents de Rémi Delangle, la contrebasse aussi joueuse que son maître, Stanislas Kuchinski, le piano élégant de Vincent Mussat…), devant la Russie de Birioukov, et bien sûr, devant les tubes émergés du vaste corpus, qui ont connu leur heure de gloire, et même leur version doublée dans la France des Trente Glorieuses avec les 45 tours des Chœurs de l'Armée rouge : Kalinka, Katiouchka (Casatschok), Otchi Tchornia (Les Yeux noirs), Les Deux guitares (Le Temps des fleurs), Nuits moscovites (Le Temps du muguet)… On aura surtout emporté avec soi l'espoir que l'énergie inextinguible de cet œcuménisme musical aura été, le temps d'un soir, l'ambassadeur providentiel d'une époque en perte d'universalisme.
Crédits photographiques © Sirba Octet
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