Satie et Cage : les descendances (presque) imaginaires de Bertrand Chamayou
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John Cage (1912-1992) : All Sides of the Small Stone, for Erik Satie ; Prelude for Meditation ; A Room ; In a Landscape ; Swinging ; Perpetual Tango ; Dream. Erik Satie (1866-1925) : Gnossiennes n° 1 à n° 7 ; Gymnopédies n° 1 à n° 3 ; Rêverie de l’enfance de Pantagruel ; Véritables Préludes flasques (pour un chien) ; Le Bain de mer ; Nocturne n° 2 ; Sarabande n° 3 ; Songe-creux ; Prélude du premier acte : la vocation ; Le Tango perpétuel ; La Balançoire. James Tenney (1934-2006) : 3 Pages in the Shape of a Pear (in celebration of Erik Satie). Bertrand Chamayou, piano. 1 CD Erato. Enregistré aux studios Miraval à Correns, en avril 2023. Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée : 60:10
EratoVoici un album imprévu, anachronique même, mais aussi particulièrement bien conçu. A la question, « de quelle manière Satie influença-t-il les minimalistes américains et l'iconoclaste John Cage ? », Bertrand Chamayou nous propose quelques éléments de réponse.
Nous sommes habitués à son écriture. Pourtant, à bien y réfléchir, la musique d'Erik Satie paraît toujours ainsi intemporelle. Humoristique par tempérament, doucement désespérée, nous la réécoutons après quelques temps de sevrage et nous nous interrogeons sur l'époque de sa composition, quelque part entre la Grèce Antique et le minimalisme américain d'aujourd'hui… On peut comprendre que l'œuvre en dérouta plus d'un, jusqu'à Prokofiev affirmant depuis une autre planète sonore, que Satie était un imposteur… Quant à Boulez, il jugea cette musique comme une succession de « pitreries maigrelettes »…
L'enregistrement de ces pages tendres et religieusement jouées d'un dandy agnostique et pauvre ne peut surprendre venant de Bertrand Chamayou, artiste goûtant aussi bien le jeu sur pianoforte, que le décorum de Saint-Saëns, les œuvres de Boulez, Adès et Jarrell. Ces « Letter(s) to Erik Satie » dont il reconnaît « ne pas avoir su avoir longtemps trop quoi penser de cette musique » s'éclairent aux contacts des expérimentations de Cage qui, comme tout Américain bien élevé, trouva chez Satie, le charme d'un parisianisme délicieusement bohème et tranquillement révolutionnaire. Cage aima Dada et Mondrian, Satie et Joyce pour peu que toute agressivité en soit bannie. Est-ce la provocation si près du vide qui l'attira dans les mélopées des Gnossiennes et Gymnopédies ? Il affirma avec un humour moins pertinent, que « la musique de Beethoven était fondamentalement une erreur et celle de Satie, correcte », justifiant cette opinion par le fait que la musique du second était basée « sur un espace de temps vide dans lequel toute chose devait se produire ».
Bertrand Chamayou remplit aisément ce “vide” et les pièces entrent en résonance dans un ordre d'une ferveur toute énigmatique. Il faut saluer la continuité du récit, le soin apporté à une narration qui laisse toutefois douter que « Satie soit l'un des pères de l'art conceptuel » selon l'interprète. L'extrême précision du toucher d'un piano bien préparé fige ces morceaux qui (dés)organisent le temps comme l'étonnante Balançoire. Satie ne peut certes se résumer à des successions de facéties sérieuses, quand bien même l'interprète fasse en toute logique l'impasse sur les partitions caf'conc' les plus montmartroises. Ce qui interroge, c'est que Bertrand Chamayou ne suggère aucune échappatoire en dehors de la relation Satie-Cage, certes l'objet de l'album, mais ce qui a pour effet de fusionner les deux langages dans une même pâte sonore, comme s'ils devaient nécessairement perdre une partie de leur identité propre. De fait, certaines pièces portent un costume bien sérieux (Véritables préludes flasques, Tango Perpétuel) quand d'autres tirent parfois vers la monochromie de certains Debussy (Sarabande n° 3). En écho, la musique de Cage semble en quête d'une éternelle jeunesse, soif d'une nouvelle avant-garde (après les avant-gardes de l'après 1945), aux frontières du pastiche satiesque et au prétexte de l'hommage (Dream, All Sides of the Small Stone).
Les œuvres des deux compositeurs réunis auxquels il faut ajouter le bruitisme de James Tenney – par ailleurs spécialiste de l'œuvre de Conlon Nancarrow – offrent, dans un voyage intimiste et original, la quête d'un temps suspendu. Voilà un album qui a le mérite d'élargir notre vision de Satie et de compléter la très riche discographie du “Maître d'Arcueil” depuis les témoignages de Francis Poulenc et Aldo Ciccolini, jusqu'à Denis Pascal et Anne Queffélec sans oublier les sommes de Pascal Rogé et Jean-Yves Thibaudet.
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John Cage (1912-1992) : All Sides of the Small Stone, for Erik Satie ; Prelude for Meditation ; A Room ; In a Landscape ; Swinging ; Perpetual Tango ; Dream. Erik Satie (1866-1925) : Gnossiennes n° 1 à n° 7 ; Gymnopédies n° 1 à n° 3 ; Rêverie de l’enfance de Pantagruel ; Véritables Préludes flasques (pour un chien) ; Le Bain de mer ; Nocturne n° 2 ; Sarabande n° 3 ; Songe-creux ; Prélude du premier acte : la vocation ; Le Tango perpétuel ; La Balançoire. James Tenney (1934-2006) : 3 Pages in the Shape of a Pear (in celebration of Erik Satie). Bertrand Chamayou, piano. 1 CD Erato. Enregistré aux studios Miraval à Correns, en avril 2023. Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée : 60:10
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