Comédies musicales, La Scène

Ô mon bavard inconnu, par Emeline Bayart, à l’Opéra Grand Avignon

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Avignon. 30-XII-23. Reynaldo Hahn (1874-1947) : Ô mon bel inconnu, comédie musicale en trois actes sur un livret de Sacha Guitry. Mise en scène: Emeline Bayart. Décors et costumes: Anne-Sophie Grac. Lumières: Joël Fabing. Avec: Clémence Tilquin, soprano (Antoinette) ; Sheva Tehoval, soprano (Marie-Anne) ; Emeline Bayart, soprano (Félicie) ; Marc Labonnette, baryton (Prosper Aubertin) ; Victor Sicard, baryton (Claude) ; Carl Ghazarossian, ténor (Hilarion Lallumette) ; Jean-François Novelli, baryton (Jean-Paul/M. Victor). Orchestre national Avignon-Provence, direction : Samuel Jean

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Le met en images le premier enregistrement mondial, paru au printemps 2021, de la comédie musicale de . A Tours, Paris, Dijon, Rouen, et, aujourd'hui, Avignon.

Le disque édité sous étiquette PBZ ne donnait à entendre que la musique. On était curieux de découvrir sur les planches l'intégralité de Ô mon bel inconnu, la seconde fructueuse collaboration, après leur Mozart, de deux éminents représentants d'un certain « bel esprit français » : et Sacha Guitry. Le spectacle dure 2h30. On a donc tout ce « qu'il faut pour être heureux ».

Musicalement c'est le cas. Si l'affûté et les forces de l'Orchestre national Avignon-Provence sont reconduits dans la fosse, la distribution est, à une exception près, entièrement renouvelée. Pas plus que l'Antoinette soyeuse et bourgeoise de n'a à envier à celle, plus aristocratique, de Véronique Gens, la Marie-Anne de , vive et gracieuse, ne démérite face à celle d'Olivia Doray. L'instrument de la première est chaleureux, touchant, celui de la seconde idéalement adapté aux élans irrépressibles de la jeunesse. en amant éconduit puis adoubé, aussi bien que distribué dans Jean-Paul et M. Victor, sont parfaits. Le Prosper de , plus bonhomme que l'altier Thomas Dolié, n'en dessine pas moins avec talent le portrait d'un pater familias dépassé par la tempête sentimentale qu'il a lui-même soulevée dans son propre foyer.

Toutes et tous sont de formidables diseurs du disert livret, manège infernal des déboires engendrés par la petite annonce publiée par un chapelier en manque de nouveauté sentimentale : sur la centaine de lettres qu'il a reçue en retour, trois émanent de sa bonne, de sa femme et même de sa fille ! Une triple invitation au voyage expatriera la cocotte-minute familiale dans une villa de la Côte basque où les fils peu à peu dénoués de l'imbroglio remettront chacun sur le droit chemin de la raison, le plus grand bénéfice de l'affaire échéant certainement au « petit personnel »: la pétulante Félicie, bonne à tout faire de la maison. Dans le rôle, Émeline Bayart, en accorte Pauline Carton, impose d'emblée, avec un chic distancié, la gouaille preste et leste héritée d'Arletty qui créa le rôle en 1933.

Émeline Bayart, c'est la Bécassine finaude du joli film éponyme de Bruno Podalydès. C'est aussi la metteuse en scène à laquelle le PBZ a confié la résurrection de cette histoire d'hommes, ce Bel inconnu, dont ne subsistaient plus guère dans les mémoires qu'un optimiste duo encore siffloté sur les chantiers (Qu'est-c' qu'il faut pour être heureux), un gainsbourien duetto alphabétique avec son coup d'pied O Q!, et surtout un évanescent trio pour voix féminines, Ô mon bel inconnu, donc, ici remarquablement interprété, la voix d'Émeline Bayart (que les mots du compositeur – « le chanteur qui se borne à chanter d'une belle voix … n'est qu'un sot »- ont dû bien décomplexer) se fondant miraculeusement dans celles de ses deux partenaires.


Dans la verdure (pour la verdeur du verbe qui se permet des « gueuler » ou « vous m'avez pincé le derrière » en musique ?) d'un joli décor transformiste, fait claquer les portes et multiplie les clins d'œil (même au sens propre). Nonobstant, le curseur du second degré aurait gagné à être poussé plus à fond, pour faire passer la pilule logorrhéique administrée par Sacha Guitry, librettiste à ce Bel inconnu, comédie musicale penchant ici par trop vers un Au théâtre ce soir un brin laborieux… Les Actes I et II, soudés l'un à l'autre, ronronnent durant 1h45 (on se prend à vérifier si l'orchestre est toujours en fosse, on songe à la brillante inventivité de La Chauve-souris donnée au même moment à Toulon) sans qu'on parvienne à s'attacher aux personnages. L'entracte démobilise plus d'un fauteuil. C'est fort dommageable car l'Acte III, sans aucun temps mort, réveillerait un mort. Même le savoureux personnage de confident sans paroles, Hilarion Lallumette, passe du muet au parlant. Incarné, comme sur le disque, par l'excellent , le voici ravi de pousser lui aussi la chansonnette : A ma naissance, qu'il expédie avec une bonne humeur des plus communicatives, conclut ce très bavard Bel inconnu. Après Ciboulette, après L'Île du rêve, on attend dorénavant La Carmélite, l'autre opéra (comique) du très talentueux .

Crédits photographiques © Marie Pétry

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