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Lyon. Opéra. 21-XII-2023. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Elias op. 70, oratorio en deux parties sur un livret de Julius Schubring. Derek Welton, baryton (Elias) ; Tamara Banješević, soprano (La Veuve) ; Kal Ruütel-Pajula, mezzo-soprano (L’Ange) ; Martin Falque, soprano (L’Enfant) ; Beth Taylor, mezzo-soprano (La Reine) ; Robert Lewis, ténor (Obadjah) ; Giulia Scopelliti, soprano (Le Séraphin) ; Pete Thanapat, basse-baryton (Celui qui est perdu); Thandiswa Mpongwana, mezzo-soprano (Celle qui attend) ; Tigran Guiragosyan, ténor (Celui qui cherche); Kwang Soun Kim, basse-baryton (Celui qui implore) ; Yannick Berne, ténor (Achab) ; Chœur (Chef de choeur : Benedikt Kearns), Maîtrise (Chef de la Maîtrise : Nicolas Parisot) et Orchestre de l’Opéra de Lyon, direction : Constantin Trinks
Créée au Theater an der Wien en 2019, la mise en scène de Calixto Bieito du second oratorio de Mendelssohn, par-delà le bien-fondé de son concept, fait du surplace entre une introduction et une conclusion mémorables.
Après ce qu'on pouvait considérer comme un tour de chauffe (l'Elias de Pygmalion offert quelques jours plus tôt par les hasards du calendrier français, à Dijon et à Paris), on attendait beaucoup de la vision du metteur en scène catalan, ex-enfant terrible de la mise en scène d'opéra, et adaptateur auto-proclamé d'oratorios célèbres (La Passion selon Saint-Jean à Paris, The War Requiem à Bâle, les Vêpres de la Vierge à Mannheim….). La réalisation scénique d'œuvres au départ envisagées pour le seul concert est généralement considérée comme une fausse bonne idée, deux astres étant jusqu'alors seuls parvenus à éblouir de leur génie une démarche encore marginale : Le Messie vu par Claus Guth et le Requiem de Mozart par Romeo Castellucci.
D'Elias, Bieito, à l'instar de tous les amoureux de l'œuvre, a bien saisi l'ambivalence du rôle-titre. Voici donc pour lui l'occasion rêvée de questionner le « métier » de prophète, pain bénit d'hier et d'aujourd'hui d'une humanité inexplicablement prompte à s'en remettre à des guides spirituels. L'Elias de Bieito est donc un prophète contemporain. Les costumes du personnage principal (le chœur) sont les nôtres. Le décor pourrait être celui de nos vies : une sorte de prison de caillebotis, du sol au plafond. Un espace nu et ouvert à tous les vents, d'abord investi, à tout prophète tout honneur, par le héros solitaire. Après voir défié la salle de sa belle stature, on le voit s'échiner à tracter, du fond de scène vers le centre du plateau, une église : une superbe image sous emprise des fumigènes que celle de cet édifice religieux traîné comme un boulet, une croix. A sa suite le chœur prend aussitôt possession d'un plateau qu'il ne quittera que 2h10 plus tard, l'Elias lyonnais étant donné, pari très risqué, sans entracte, mais non sans dégât collatéral.
Passé ce début plus que prometteur, passée la mise en pièce par chacun de cette église de village qui s'était avérée n'être que de carton, le temps paraît dès lors bien long avant que le finale ne vienne reprendre en beauté les rênes d'un concept malmené par le répétitif et le déficit d'inspiration de son metteur en scène. La bride sur le cou semble laissée en plus d'un endroit à chacun des artistes. Le chœur est condamné à errer quand il n'implore plus, les solistes sommés de jouer aux legos avec les chutes de carton. Elias n'est pas davantage épargné, parfois pris lui aussi en flagrant délit de roue libre. Le pire échoit cependant à l'un des Séraphins : la valeureuse soprano Giulia Scopelliti, non contente de devoir assurer (sans faillir) sa partie de soprano, se voit ainsi condamnée (sans un instant de répit !) à endosser un statut qui eût pu être celui d'une figurante spécifique. Ludion solitaire, sorte de Joker féminin ricanant, se grattant, tirant la langue, celle qui n'a plus d'Ange que le nom, malmène protagonistes et spectateurs au moyen d'invectives muettes, de grimaces, dont le sens échappe : vraiment fatigant ! La Reine Jezabel et Elias s'adonnent quant à eux, elle à une ridicule pantomime d'auto-étranglement, lui à la reptation pour s'abreuver dans une écuelle pour chien… On goûte en revanche la pluie salvatrice qui clôt une première partie conclue par le moment hautement troublant, sur Dank sei dir Gott, qui voit l'Ange embrasser à pleine bouche le Prophète ravi de s'abandonner au vertige des sens.
La réalisation musicale garde quant à elle sa constante hauteur de vue. Constantin Trinks, armé du surlignage à l'orgue prévu par le compositeur, moins tendu et analytique que Pichon, opte pour le grandiose et la traque du lyrisme d'une œuvre en maints endroits aussi autoritaire que le héros qu'elle dépeint. Le Chœur de l'Opéra, magnifiquement préparé, vainqueur indiscutable de la soirée, brille par l'endurance et la musicalité de chacun des pupitres de cette cathédrale chorale. Derek Welton, récent Amfortas de Bayreuth, bien que n'égalant pas tout à fait Stéphane Degout (quelques tensions percent çà et là) incarne un Elias humain qui passionne jusque dans ses contradictions (Bieito le dépeint aussi en dépressif). Aucune défaillance des rôles secondaires, auxquels le prophète mendelssohnien laisse peu de place : que ce soit l'Ange à la voix enveloppante de Kal Ruütel-Pajula, la Veuve très émouvante de Tamara Banješević, la Jezabel de Beth Taylor (dont l'on est ravi de retrouver les graves nourris révélés par son impressionnante Anna berliozienne de l'été dernier), l'Obadjah solaire de Robert Lewis. Issus comme ce dernier du Lyon Opera Studio, quand ils ne le sont pas du chœur, ou de la Maîtrise (l'excellent Martin Falque), les nouveaux baptisés par Bieito (Celui qui est perdu : Pete Thanapat ; Celle qui attend : Thandiswa Mpongwana, Celui qui cherche : Tigran Guiragosyan ; Celui qui implore : Kwang Soum Kim) sont tous à la bonne place.
Fort heureusement Calixto Bieito, après avoir montré que le fait religieux peut tuer (Prophète et Ange n'y vont pas de main morte), et même s'il est un peu tard pour une victoire aux points, réussit sa fin : une dernière grille de caillebotis descendue des cintres relègue à l'arrière-plan, dans la prison de ses contradictions, une humanité versatile qui aura passé la soirée sous emprise d'un homme dont elle aura voulu finalement se débarrasser, tandis que ce dernier, aspergé d'essence, actionne un briquet. Suspense… Mais surprise : la flamme s'avère inopérante pour l'auto-immolation. Immortel, Elias prophétise enfin, d'un sourire et d'un regard à l'adresse du spectateur, que l'humanité n'est pas près de pouvoir se passer des prophètes en tous genres qui parasitent son quotidien.
Crédits photographiques © Bertrand Stofleth
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Lyon. Opéra. 21-XII-2023. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Elias op. 70, oratorio en deux parties sur un livret de Julius Schubring. Derek Welton, baryton (Elias) ; Tamara Banješević, soprano (La Veuve) ; Kal Ruütel-Pajula, mezzo-soprano (L’Ange) ; Martin Falque, soprano (L’Enfant) ; Beth Taylor, mezzo-soprano (La Reine) ; Robert Lewis, ténor (Obadjah) ; Giulia Scopelliti, soprano (Le Séraphin) ; Pete Thanapat, basse-baryton (Celui qui est perdu); Thandiswa Mpongwana, mezzo-soprano (Celle qui attend) ; Tigran Guiragosyan, ténor (Celui qui cherche); Kwang Soun Kim, basse-baryton (Celui qui implore) ; Yannick Berne, ténor (Achab) ; Chœur (Chef de choeur : Benedikt Kearns), Maîtrise (Chef de la Maîtrise : Nicolas Parisot) et Orchestre de l’Opéra de Lyon, direction : Constantin Trinks