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Genève. Grand Théâtre. 12-XII-2023. Richard Strauss (1864-1949) : Der Rosenkavalier, comédie en musique en trois actes sur un livret de Hugo von Hofmannsthal. Mise en scène : Christoph Waltz. Décors : Annette Murschetz. Costumes : Carla Teti. Lumières : Frank Evie. Avec : Maria Bengtsson, La Maréchale ; Matthew Rose, Le Baron Ochs de Lerchenau ; Michèle Losier, Octavian ; Bo Skovhus, Monsieur de Faninal ; Mélissa Petit, Sophie de Fanimal ; Giulia Bolcato, Demoiselle Marianne Leitmetzerin ; Ezgi Kutlu, Annina ; Thomas Blondelle, Valzacchi ; Stanislas Vorobyov, Le Commissaire de Police ; William Meinert, Le Notaire ; Louis Zaïtoun, Le Majordome de la Maréchale ; Marin Yonchev, Le Majordome de Faninal ; Denzil Delaere, Un aubergiste ; Omar Mancini, Le chanteur italien ; Rémi Garin, Le marchand d’animaux ; Lulia Elena Urdu, La modiste ; Mayako Ito, Elise Bédenès, Vanessa Laterza, Les trois orphelines ; Josè Pazos, Georgi Stredkov, Peter Baekeun Cho, Igor Gnidii, Les laquais de la Maréchale, Les Garçons d’auberge ; Seong Ho Han, 4ème garçon d’auberge ; Vladimir Kazakov, Aleksandar Chaveev, Dimitri Thikonov, Les hommes de Lerchenau ; Sebastià Peris, Un policier. Chœur du Grand Théâtre de Genève (chef de chœur : Alan Woodbridge). Maîtrise du Conservatoire Populaire de Genève. Orchestre de la Suisse Romande, direction : Jonathan Nott
Une impeccable direction d'acteurs, une touche savante et inspirée d'esprit viennois, un Orchestre de la Suisse Romande d'une extrême souplesse, tout a été réuni au Grand Théâtre de Genève pour ce Rosenkavalier de Richard Strauss.
Il semblait bien qu'Octavian prenait un temps, une délicatesse, une précaution, voire une prudence bien particulière pour présenter la rose du Chevalier à Sophie. Tenant dans ses mains un coffret de bois précieux avec une attention de chaque instant, le temps de la présentation est apparu devant s'éterniser. Octavian allait-il se décider à la montrer, cette rose ? D'un geste d'impatience du doigt, Sophie réclamait son dû. Elle aurait pu être déçue, l'objet que lui remet Octavian est relativement petit par rapport à ceux que d'autres production du Rosenkavalier offrent à voir. Et pour cause, cette rose, œuvre d'un joaillier genevois, était en platine, sertie de moult rubis et de diamants noirs. D'ailleurs, à y regarder de plus près, le collier de diamant au cou de la Maréchale et les bagues diverses et variées ornant d'autres protagonistes du spectacle brillaient autrement plus chaleureusement que les pacotilles habituelles des théâtres. Pour l'occasion, le bijoutier avait habillé ce spectacle de ses bijoux. Il avait de même réservé l'entrée à ses invités en leur offrant un escalier illuminé de luxueuses bougies enfouies dans de superbes vases de verre et déroulé le tapis rouge (en l'occurrence il était noir).
Dès l'ouverture, le luxe affiché de la soirée se répand dans la fosse d'orchestre où l'Orchestre de la Suisse Romande apparait admirablement préparé par son chef Jonathan Nott au pupitre. Ça pétille, ça jubile, rapidement on est transporté dans la Vienne de la valse, du champagne, du soin des coiffures, de l'apparence, de ce qui fait le tourbillon voluptueux de cette ville. La bourgeoisie respire encore un peu la noblesse d'antan mais la préciosité s'efface. Reprenant pour Genève le spectacle qu'il avait monté pour l'Opéra Ballet Vlaanderen en 2013, Christoph Waltz situe l'intrigue dans la Vienne du milieu du siècle dernier, encore que certains costumes (Carla Teti) se réfèrent à des époques plus lointaines, tels ces enfants semblants tout droit sortis de tableaux de Albert Anker (1831-1910). Si le décor (Annette Murschetz) d'une pièce aux murs nus dans laquelle ne trônent qu'un lit à baldaquin, qu'une petite table et deux ou trois sièges peut paraître pour le moins spartiate, la manière qu'a Christoph Waltz de diriger son monde dans cet univers nu est remarquable. Chaque personnage est important à chaque instant. Personne n'est laissé pour compte. Sans excès, sans excitation, dans la mesure où le comique, le burlesque prend inévitablement le dessus. C'est un respect total de l'esprit de l'œuvre straussienne qui intitule Der Rosenkavalier une comédie en musique et non un opéra comme Elektra ou Salomé.
Et, de la comédie, il y en a sur la scène du Grand Théâtre de Genève. Au lever de la Maréchale, avec l'arrivée des courtisans, on assiste à des moments d'irrésistible bouffonnerie. La séquence des trois orphelines (Mayako Ito, Elise Bédenès, Vanessa Laterza), la voix pincée, criant leur demande d'aide en se prosternant s'avère l'élément libérant le plateau de la pression de la Première qu'on pouvait jusque-là ressentir.
Certes, Matthew Rose (Le baron Ochs) incarne un personnage grossier à souhait mais sans la vulgarité qu'on lui prête souvent dans d'autres productions. Très souvent dans le parlé-chanté toutefois capable d'un chant parfaitement conduit, la basse est en pleine maîtrise de son personnage. Sa présence scénique forte offre un pilier d'interprétation à tous les autres rôles.
À Genève, comme il y a dix ans à l'opéra d'Anvers, c'est la soprano Maria Bengtsson qui tient le rôle de La Maréchale. On peut imaginer que les ans, l'expérience, lui permettent aujourd'hui d'aborder ce rôle avec une vue plus intérieure du personnage, mais la prestation vocale de la soprano suédoise nous laisse un peu sur notre faim. En effet, on aurait aimé que son chant, manquant singulièrement de volume dans le registre grave, apparaisse plus impliqué, plus grand, plus noble à exprimer les tourments de sa vie.
À ses côtés, la mezzo-soprano Michèle Losier (Octavian) s'implique avec ardeur tant vocalement que scéniquement pour habiter ce rôle. Sa prestation vocale, empreinte de beaucoup de sensibilité mérite nos plus chaudes éloges. Sa scène de la présentation de la rose est un moment de grâce absolue. Peut-être, et est-ce à cause de la difficulté de la partition, aurions-nous aimé qu'elle restât dans un meilleur contrôle de son volume sonore, l'élocution du texte s'en serait trouvée récompensée.
Avec la prise de rôle de la soprano Mélissa Petit (Sophie de Fanimal) Der Rosenkavalier s'est trouvé une superbe interprète. Avec des aigus projetés dans des pianissimo d'une rare beauté, elle chavire les cœurs des amateurs de beau chant. Quelle douceur, quelle chaleur, quel aplomb, quelle musicalité dans cette jeune femme. Qui doit-on remercier pour l'admirable final de cette comédie en musique ? Richard Strauss pour l'avoir composé ou Mélissa Petit pour l'avoir si magnifiquement chanté ? Autre prise de rôle à noter, le baryton Bo Skovhus (Monsieur de Fanimal) se démène comme un beau diable quand bien même, il ne peut plus prétendre au lustre vocal du passé malgré une puissance toujours présente.
La majeure partie des rôles accessoires sont autant de prises de rôle, tous remarquablement tenus. Remarquons cependant l'excellente prestation du ténor Omar Mancini (Le chanteur italien) dont la voix au grain si particulier apporte une note étonnante à cet air qui, en quelques mesures, met son interprète au centre de l'attention du public par l'attrait de la beauté lyrique et la difficulté de cette courte mélodie.
Dans la fosse, la baguette de Jonathan Nott fait merveille auprès d'un Orchestre de la Suisse Romande en très bonne forme. L'ensemble romand tout en soyeux et en légèreté laisse apparaitre à tout moment des citations de l'esprit viennois avec des bribes de valse se détachant ci et là. On a rarement entendu un si bel OSR !
Le plaisir de jouer, de s'impliquer qui se dégage de la scène dans ce spectacle reflète de manière évidente qu'un travail approfondi de direction d'acteurs, de valorisation de chacun, de chaque rôle dans le but de raconter le livret tel qu'il est ne peut conduire que vers la réussite du projet. Dans le travail de Christoph Waltz, rien de sensationnel, d'imprévisible, de révolutionnaire, mais la chaleur des applaudissements du public confirme qu'on le réconciliera avec son opéra, en présentant des spectacles capables de nous apporter le rêve comme celui que le metteur en scène de ce Rosenkavalier nous a fait vivre.
Crédit photographique : GTG © Magali Dougados
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Genève. Grand Théâtre. 12-XII-2023. Richard Strauss (1864-1949) : Der Rosenkavalier, comédie en musique en trois actes sur un livret de Hugo von Hofmannsthal. Mise en scène : Christoph Waltz. Décors : Annette Murschetz. Costumes : Carla Teti. Lumières : Frank Evie. Avec : Maria Bengtsson, La Maréchale ; Matthew Rose, Le Baron Ochs de Lerchenau ; Michèle Losier, Octavian ; Bo Skovhus, Monsieur de Faninal ; Mélissa Petit, Sophie de Fanimal ; Giulia Bolcato, Demoiselle Marianne Leitmetzerin ; Ezgi Kutlu, Annina ; Thomas Blondelle, Valzacchi ; Stanislas Vorobyov, Le Commissaire de Police ; William Meinert, Le Notaire ; Louis Zaïtoun, Le Majordome de la Maréchale ; Marin Yonchev, Le Majordome de Faninal ; Denzil Delaere, Un aubergiste ; Omar Mancini, Le chanteur italien ; Rémi Garin, Le marchand d’animaux ; Lulia Elena Urdu, La modiste ; Mayako Ito, Elise Bédenès, Vanessa Laterza, Les trois orphelines ; Josè Pazos, Georgi Stredkov, Peter Baekeun Cho, Igor Gnidii, Les laquais de la Maréchale, Les Garçons d’auberge ; Seong Ho Han, 4ème garçon d’auberge ; Vladimir Kazakov, Aleksandar Chaveev, Dimitri Thikonov, Les hommes de Lerchenau ; Sebastià Peris, Un policier. Chœur du Grand Théâtre de Genève (chef de chœur : Alan Woodbridge). Maîtrise du Conservatoire Populaire de Genève. Orchestre de la Suisse Romande, direction : Jonathan Nott