A Flagey-Bruxelles, rencontre entre le Quatuor Belcea et l’altiste Miguel da Silva
Plus de détails
Bruxelles. Flagey. Studio 4. 8-XII-2023. Music Chapel Festival. Franz Schubert (1797-1828) : quatuor à cordes n°10, en mi bémol majeur D.87. Antonín Dvořák (1841-1904) : quatuor à cordes n°10 en mi bémol majeur, opus 51. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quintette à cordes n°4, en ut mineur K.V 406/516b, d’après la sérénade pour vents K.V 388. Quatuor Belcea, Miguel da Silva, second alto dans le quintette de Mozart.
Dans le cadre du Music Chapel Festival, Flagey accueille pour un passionnant programme le Quatuor Belcea, rejoint par l'altiste Miguel de Silva.
Voici peu, le Quatuor Belcea annonçait le départ de son second violon depuis treize saisons, Axel Schacher (nommé konzertmeister au Sinfonieorchester Basel), aussitôt remplacé par Suyeong Kang, excellente musicienne parfaitement intégrée au groupe après seulement quelques mois de travail commun. Son apport est considérable et change quelque peu l'identité du groupe : sa personnalité attachante et sa grâce féline modifient à la fois la sonorité globale, très chatoyante, de l'ensemble, et l'approche des partitions, plus ludique, malgré leurs exigences techniques ou scripturales : le bonheur d'être ensemble grâce à et pour la musique se lit sur des visages ravis, aux sourires complices.
Pour ouvrir ce concert, donné dans le somptueux et mythique studio 4 à l'acoustique à la fois précise et légèrement réverbérée, l'ensemble londonien nous propose le juvénile Quatuor n° 10 en mi bémol D.87, de Franz Schubert – qu'il enregistrait voici vingt ans, pour l'un de ses premiers disques dans une formation dont ne restent «que» Corina Belcea, bien sûr et l'altiste, très stabilisateur, Krzysztof Chorzelski. Les Belcea en soulignent, non seulement l'héritage classique, et surtout haydnien, par un je-ne-sais quoi d'aristocratique dans la variété des attaques ou la finesse de la sonorité d'ensemble – très contrôlée au cours d'un adagio ici très hymnique et solennel – mais aussi ils en privilégient dans les mouvements pairs l'expression d'un humour décapant (les « ânonnements « du scherzo, les rebonds du final avec les irrésistibles pizzicati du violoncelle d'Antoine Lederlin ou les pianissimi ironiques très contrôlés de Corina Belcea) là où il y a quelques mois les Danel, au festival de l'Eté mosan soulignaient davantage la rusticité bonhomme de la partition, dans une approche moins dégrossie et antinomique, davantage jouée «dans la corde», mais tout aussi défendable.
Autre dixième quatuor à cordes – d'ailleurs écrit dans la même tonalité globale de mi bémol majeur – parfois sous-titré – à raison – «slave » , l'opus 51 d'Antonín Dvořák réalise encore d'avantage la parfaite synthèse romantique entre verve d'essence folklorique et achèvement de la conception formelle héritée de l'ère classique viennoise. Les Belcea en donnent une vision très maîtrisée, d'une somptueuse cohérence instrumentale : les coups d'archets sont magistralement unifiés, et une écoute mutuelle superlative libère toute la sève de la structure dialogique de cette partition aussi attachante qu'achevée. L'allegro non troppo initial s'avère autant rhapsodique que solidement architecturé, mais ailleurs les Belcea exaltent l'inspiration mélodique et la liberté de ton de l'entière partition, depuis la nostalgique et capricieuse dumka de l'andante con moto, donnée sans une once de pathos, jusqu'au tourbillonnant final, guidé par la seule ivresse de la danse, en passant par la chaleureuse romance de l'andante, donnée avec un mélange très mitteleuropa de ferveur et de pudeur.
Ailleurs en Europe, pour cette tournée de fin d'année, la deuxième partie du concert, dans une totale cohérence de conception, ne prévoit rien moins que le cinquième quatuor de Bélà Bartok, synthèse suprême entre folklore imaginaire et maîtrise conceptuelle. Mais à Bruxelles, pour répondre au fil rouge mozartien de ce quatorzième Music Chapel festival co-organisé par Flagey et la Chapelle musicale Reine Elisabeth de Waterloo, les Belcea sont rejoints, pour le Quintette à cordes en ut mineur de Mozart (le quatrième dans la nouvelle édition Bärenreiter) par Miguel da Silva, altiste professeur en résidence de l'institution.
L'œuvre est diamétralement opposée aux partitions programmées en première partie. Cas assez unique chez Wolfgang il s'agit d'une transcription totalement repensée, probablement au retour de Prague, au début de 1787, pour cinq cordes de la très austère Sérénade pour huit vents KV 388 de cinq ans antérieure : cette présente mouture «définitive», pour cordes, convient d'avantage à l'austérité presque violente du propos et en magnifie le travail contrapuntique très poussé.
Nous ignorons le temps qui a pu être imparti aux répétitions de cette œuvre aussi exigeante que grandiose aux cinq interprètes ainsi réunis pour cette seule occasion – Miguel da Silva assurant, durant les quatre jours du festival, les répliques pour trois autres quintettes mozartiens, en compagnie d'ensembles étudiant ou résidant en la Chapelle – mais le résultat, subjugue tant par son professionnalisme que par la beauté de son expressivité dramatique : l'intégration à la griffe sonore de l'ensemble du second alto invité s'avère des plus probantes.
Dès la levée du lapidaire mouvement initial, la sonorité se veut fauve et presque rauque, véritable cri de révolte douloureuse. Tout ce mouvement liminaire évoluera dans des oppositions de nuances, de registres et d'articulations très poussées, presque opératiques, tout en évitant l'écueil de l'agressivité permanente ou gratuite. L'andante réserve un véritable havre de paix par la subtile mise en valeur des registres au fil des permanents changements combinatoires des cinq voix de la trame polyphonique et les effets de miroitement sonore, superbement rendus, qui en découlent. Si le menuet dans son exploration canonique stricte retrouve par la rigueur des attaques l'atmosphère oppressante du temps initial sous ces archets quasi impitoyables, c'est surtout dans le final que les cinq instrumentistes donnent la pleine mesure de leur talent par la fluidité du discours au gré de l'enchainement, confondant de naturel, des huit variations très contrastées, pour mener à cette péroraison aussi triomphale qu'inattendue, exemplaire de probité musicale, sans aucun effet de manche inconsidéré.
Après une œuvre aussi austère donnée avec cette décapante franchise de ton et ce sens captivant du tragique, tout semble dit, et tout bis paraîtrait superfétatoire, malgré les bravi enthousiastes d'un public conquis. Les artistes se retirent mais l'esprit mozartien, tel le sourire d'un sphinx, demeure.
Crédits photographiques : quatuor Belcea ©Maurice Haas ; Miguel da Silva © Miguel di Silva.ch
Plus de détails
Bruxelles. Flagey. Studio 4. 8-XII-2023. Music Chapel Festival. Franz Schubert (1797-1828) : quatuor à cordes n°10, en mi bémol majeur D.87. Antonín Dvořák (1841-1904) : quatuor à cordes n°10 en mi bémol majeur, opus 51. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quintette à cordes n°4, en ut mineur K.V 406/516b, d’après la sérénade pour vents K.V 388. Quatuor Belcea, Miguel da Silva, second alto dans le quintette de Mozart.