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Les Contes d’Hoffmann à Bastille : Benjamin Bernheim un Hoffmann idéal!

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Paris. Opéra Bastille. 03-XII-2023. Jaqcues Offenbach (1819-1880) :les Contes d’Hoffmann, opéra fantastique en trois actes , un prologue et un épilogue, sur un livret de Jules Barbier, d’après le drame éponyme de Jules Barbier et Michel Carré; Mise en scène : Robert Carsen ; Décors et costumes : Michael Levine ; Lumières : Jean Kalman ; Chorégraphie : Philippe Giraudeau ; Dramaturgie : Ian Burton. Avec : Benjamin Bernheim : Hoffmann ; Pretty Yende : Olympia ; Rachel Willis-Sørensen : Antonia ; Antoinette Dennefeld : Giulietta ; Christian Van Horn : Lindorf/ Coppélius/ le Docteur Miracle/ Dapertutto; Angela Brower : La Muse/ Nicklausse; Vincent Le Texier : Luther/ Crespel ; Leonardo Cortellazzi : Andrès/ Cochenille/ Frantz/ Pitinacchio ; Christian Rodrigue Moungoungou : Hermann ; Christophe Mortagne : Spalanzani; Sylvie Brunnet-Grupposo : la voix de la mère d’Antonia ; Alejandro Baliñas Vieites: Schlemil ; Cyrille Lovighi : Nathanaël. Choeurs, préparés par Alessandro di Stefano, et Orchestre de l’Opéra national de Paris,, direction : Eun Sun Kim

La mise en scène de de l'ultime chef d'œuvre de ne s'est pas érodée depuis sa création en 2000. Sa énième reprise à l'Opéra Bastille brille par sa nouvelle distribution, en tête.

Après une première représentation contrariée par une grève qui l'a privée de ses décors, la suivante, soixante-quinzième dans cette mise en scène disponible en DVD (TDK) qui a pu connaître des reprises routinières comme en 2010, a cette fois permis au public de profiter pleinement du spectacle haut en couleurs de cet « opéra fantastique » tel que l'a conçu il y a plus de vingt ans . Un plaisir retrouvé pour certains, révélé pour d'autres, décuplé par la grande qualité du plateau vocal et de la direction d', actuelle directrice musicale de l'Opéra de San Francisco, qui fait ses débuts à l'Opéra national de Paris. 

L'opéra se déroule dans un théâtre où l'on donne Don Giovanni de Mozart, d'abord dans les coulisses et la taverne adjacente (Prologue), puis sur scène (Acte I : Olympia), dans la fosse d'orchestre (Acte II : Antonia), et enfin dans la salle (Acte III : Giulietta), dont les rangs de fauteuils rouges continuent à voguer au son de la Barcarolle. La légende de Kleinzach contée par Hoffmann accompagnée de sa railleuse chorégraphie sur le long comptoir de la taverne remplie d'une foule bigarrée (le chœur) a conservé sa piquante saveur. Les mimiques d'automate et la lubricité d'Olympia font toujours s'esclaffer, comme l'intervention burlesque de Spalanzani sous son jupon, clé anglaise à la main, pour désenrayer son mécanisme. L'apparition spectrale de la mère d'Antonia produit toujours son effet sur le plateau en surplomb de la fosse, reproduits sur la scène de Bastille… Une mise en abyme pleinement justifiée, le livret de Jules Barbier inspiré des Contes d'E.T.A. Hoffmann, auteur bien réel, faisant de celui-ci le personnage central (et fictif) de l'opéra. Encouragé par ses compères, il raconte ses déboires amoureux, qui l'ont conduit à noyer ses tourments dans l'alcool. Mais sa muse est là qui à la fin de ce récit libérateur, le remet sur le chemin de la transcendance et de la poésie.

La mise en scène enthousiasme aussi par le choix des accessoires, des costumes de Michael Levine, et par le subtil travail des lumières de Jean Kalman, qui fait passer chaque tableau scénique de la grisaille à une fête de couleurs à l'instant où la musique et l'action s'animent, où la gaité revient. Mais le plaisir nouveau – et quel plaisir ! – vient des chanteurs, tous, à quelques nuances près, formidables dans leurs rôles, se révélant en outre d'excellents acteurs. 

Si Neil Shicoff avait pleinement convaincu il y a 20 ans, confirme toutes les attentes. Quel lyrisme lumineux et quelle vivante incarnation d'Hoffmann ! Son personnage, dont il sait prendre en compte toutes les composantes et tous les états d'âme, a l'exaltation et la fougue amoureuse de la jeunesse, traverse la désillusion en proie à un touchant accablement, mais sait autant faire preuve d'humour, de légèreté, de jovialité lorsqu'il ne sombre plus dans les vapeurs d'alcool. L'éclat et la beauté solaire de son timbre, l'inaltérable fraîcheur de sa voix que la longueur de l'ouvrage n'entame en rien, sa diction impeccable, le relief donné au chant et l'élégance de la ligne au service de la justesse de l'expression, contribuent à parachever son interprétation, que l'on ose qualifier d'idéale.

présente avec discernement les quatre facettes diaboliques de ses personnages : le malfaisant rival Lindorf, le rancunier Coppelius, le maléfique docteur Miracle, et un Dapertutto dont on se souviendra longtemps de son « Scintille, diamant » qu'il habille des nuances anthracite à noir de sa voix au timbre profond. La Muse d'Hoffmann changée en Nicklausse, son ami fidèle, sa conscience, s'interpose à l'influence de ces diables successifs avec énergie et à-propos dans l'intonation comme dans la gestuelle. La voix d', aux aigus brillants, aux accents mozartiens, peine cependant parfois à se projeter, notamment dans la Barcarolle, un peu lointaine et en retrait de celle de la mezzo-soprano. Quant à sa diction, elle est souvent perfectible, en particulier au tout début de l'acte I : bien difficile de comprendre sa Muse ! 

récolte un record d'applaudissements pour son Olympia spectaculaire, poupée épanouie à la voix étoffée et colorée, qui découvrant les plaisirs de la chair, se laisse gagner par une joyeuse et désopilante hystérie. Vocalement, elle se livre sans retenue à son personnage, au risque de quelques approximations dans ses vocalises qui ne nuisent pas à la tenue de l'ensemble. La soprano , qui fait ses débuts à l'Opéra de Paris, est dans l'Acte II une émouvante Antonia à laquelle elle prête les accents pathétiques de sa voix puissamment projetée, au médium vigoureux et aux éblouissants aigus. Son duo avec Hoffmann (« C'est une chanson d'amour… ») est renversant de délicatesse et d'émotion. fait forte impression en revenante – mère d'Antonia, voilée comme le clair de lune dans la brume nocturne, faisant retentir le timbre rond de sa voix du haut de la scène, à côté d'une statue de pierre décapitée (celle du commandeur ?). Enfin dans l'acte III, quel prétendant ne succomberait pas au charme glamour de la Giulietta d' ? La voix souple, voluptueuse de la mezzo-soprano s'affirme dans toute son étendue, en solo comme en duo avec Hoffmann ou en plus large ensemble, quoique dans une projection mesurée sans doute volontaire dans la Barcarolle. 

Les seconds rôles sont tout aussi bien tenus : en maître Luther, puis Crespel, dont la matité plombée du timbre sied au père protecteur qu'il incarne, et en Spalanzani, dont le timbre clair et les intonations s'accordent avec l'originalité du personnage hirsute à la blouse tâchée de sang. On n'oublie pas la vaillance de dans ses quatre rôles, et en particulier dans celui de Frantz, le serviteur sourd de Crespel, ni Alejandro Baliñas Vieites convainquant dans le rôle de Schlémil. 

Les Chœurs et l' sont dans une forme « olympique » sous la baguette d', qui veille en permanence aux équilibres entre fosse et plateau et insuffle vie à la partition tant dans la dynamique d'ensemble que dans le soin porté aux détails qui font le sel de cette musique.

Crédit photographique © Émilie Brouchon / Opéra national de Paris

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Paris. Opéra Bastille. 03-XII-2023. Jaqcues Offenbach (1819-1880) :les Contes d’Hoffmann, opéra fantastique en trois actes , un prologue et un épilogue, sur un livret de Jules Barbier, d’après le drame éponyme de Jules Barbier et Michel Carré; Mise en scène : Robert Carsen ; Décors et costumes : Michael Levine ; Lumières : Jean Kalman ; Chorégraphie : Philippe Giraudeau ; Dramaturgie : Ian Burton. Avec : Benjamin Bernheim : Hoffmann ; Pretty Yende : Olympia ; Rachel Willis-Sørensen : Antonia ; Antoinette Dennefeld : Giulietta ; Christian Van Horn : Lindorf/ Coppélius/ le Docteur Miracle/ Dapertutto; Angela Brower : La Muse/ Nicklausse; Vincent Le Texier : Luther/ Crespel ; Leonardo Cortellazzi : Andrès/ Cochenille/ Frantz/ Pitinacchio ; Christian Rodrigue Moungoungou : Hermann ; Christophe Mortagne : Spalanzani; Sylvie Brunnet-Grupposo : la voix de la mère d’Antonia ; Alejandro Baliñas Vieites: Schlemil ; Cyrille Lovighi : Nathanaël. Choeurs, préparés par Alessandro di Stefano, et Orchestre de l’Opéra national de Paris,, direction : Eun Sun Kim

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