Un triple programme du Ballet Preljocaj au TCE

Après sa création à Montpellier Danse, en juin dernier, ce programme mixte du ballet Preljocaj fait escale au Théâtre des Champs-Élysées. Avec Annonciation, Torpeur et Noces, il propose trois chocs esthétiques représentant trente-cinq ans de création autour d'une même vision.

Annonciation est l'un des rares duo du chorégraphe Angelin Preljocaj, qui pratique peu les petites formes. Créée en 1995, il figure au répertoire de nombreuses compagnies, dont le ballet de l'Opéra de Paris. Le rideau s'ouvre sur Marie, couronne de cheveux doré sur le sommet de la tête, qui s'étire aux rayons du soleil. On entend des rires d'enfants. Surgit l'ange Gabriel, dans le fracas d'un éclair. Cette apparition fulgurante met Marie dans un état de sommeil. Ce combat fraternel entre la vierge et l'ange Gabriel, venu lui annoncer son destin, est tiré au cordeau, tendu comme un arc. L'extrême précision de la chorégraphie et de l'interprétation rend intacte la puissance symbolique et évocatrice de cette visite inopportune, qui s'achève par un baiser. Le baiser de l'ange. Marie a-t-elle rêvé ?

La deuxième pièce de ce programme mixte en est aussi la seule création 2023, une pièce pour douze interprètes baptisée Torpeur. Est-ce la chaleur imaginaire qui accable les corps au mitan de la pièce qui diminue un peu l'énergie qui se dégage au début de Torpeur ? Dans les premières minutes, si dynamiques et enlevées, on croit presque voir une pièce de postmodern dance et ses lignes croisées. Le rythme ralentit cependant excessivement, jusqu'à s'arrêter tout à fait, dans un bouquet de couples cherchant la fraîcheur. En mettant en mouvements millimétrés ces corps athlétiques, Angelin Preljocaj procède pourtant, comme à son habitude, à une autopsie de la chorégraphie : nette, précise, sans bavure. Une impressionnante aptitude à créer des images plastiquement belles, par le seul ordonnancement des mouvements, un pied touchant une épaule, un bras à angle droit, un torse qui se soulève. Le cercle final au sol en est l'exemple parfait, emboîtement infini de corps huilés par une mécanique précieuse. Dommage que la musique de 79 D, trop paresseuse, ne rende pas autant justice à l'excellence technique des danseurs du Ballet Preljocaj.

La soirée s'achève en apothéose avec la reprise de Noces, la pièce qui fit largement connaître Angelin Preljocaj. Créée en 1989 dans le cadre de la Biennale du Val de Marne, c'était la première collaboration du chorégraphe avec la musique vivante, en l'occurrence les Percussions de Strasbourg, dirigées à l'époque par Roland Hayrabedian. Le choix de la partition de Noces de Stravinsky chantée en russe, et dont l'enregistrement avec le Chœur d'Aix-en-Provence est ici utilisé, marqua aussi durablement la pièce.
Le Ballet Preljocaj s'empare avec énergie et détermination de cette pièce qui trouve son origine dans les souvenirs d'enfance d'Angelin Preljocaj. Lors de ses étés dans les Balkans, retrouvant les membres de sa famille éloignée, le jeune Angelin assistait à des mariages traditionnels où l'imaginaire du rapt et la violence nuptiale étaient sous-jacents. Il transpose cet imaginaire dans un octuor efficace, à l'écriture dynamique, qui n'a pas pris une ride. Des marionnettes figurant des mariées volent dans les airs, ou se retrouvent allongées sur des bancs d'écoliers, enjeu des couples de danseurs en costumes de fête. Un impressionnant dispositif chorégraphique qui continue à faire son effet, 35 ans après sa création.

Crédits photographiques : © Laurent Philippe © JC Carbonne