Éblouissante création de Noé Soulier pour la Trisha Brown Dance Company

La Maison de la danse de Lyon poursuit ses séances d'« Histoire(s) de la danse » en invitant la Trisha Brown Dance Company pour un programme automnal et lumineux dans lequel Noé Soulier livre sa création In the fall, commande de la compagnie.

Que faudrait-il ajouter, accumuler, libérer, désorienter, ou plutôt retrancher, pour en arriver à la substance de l'art d'une des grandes figures du postmodernisme : celle de l'Américaine Trisha Brown, disparue en 2017 ? Tout avait commencé dans les années 50 en Californie autour d'Anna Halprin, dont l'enseignement révolutionna le mouvement dansé alliant libres associations et improvisations, réunissant des danseuses comme Simone Forti, Yvonne Rainer ou Trisha Brown, mais aussi des plasticiens, des musiciens, des acteurs… Et s'était cristallisé le 6 juillet 1962 en un « concert » dans une église, la Judson Memorial Church. Le postmodernisme du « Judson Dance Group », expérimentant la danse hors des scènes classiques, à la croisée de tous les arts contemporains, sa façon d'interroger en profondeur, les modes de représentations, la place du voyant et du vu, en un engagement politique et éthique revigorant, était né.

Connaître ce que furent les différents mouvements qui permirent à la danse contemporaine d'émerger pleinement, au cœur des ressources de ses multiples possibles, n'est pas nécessaire certes pour jouir d'un spectacle, mais tellement éblouissant quand cela est conçu avec art. CQFD à Lyon, grâce au directeur de la Maison de la Danse, Tiago Guedes, qui propose de goûter ces pièces pour huit interprètes, deux de Trisha Brown, l'autobiographique Working Title créée à Pékin en 1985 et For M.G, the Movie créé en 1991 en hommage à Michel Guy, le fondateur du Festival d'Automne à Paris. L'occasion de découvrir, en exergue, In the fall, création 2023 commandée par la mythique Trisha Brown Dance Company au jeune directeur du CNDC d'Angers, Noé Soulier. Ce dernier est si bien placé pour rendre hommage à celle qui inspira entre autres son solo d'histoire de la danse Mouvement sur mouvement, que c'en est éblouissant.

Tout semble déjà écrit dans les titres mêmes des pièces et leur ordre d'apparition, il s'agit de chute, d'automne et de légèreté du mouvement qui apparait pour ce qu'il est, non pas aérien, quoique, mais fluide, cherchant un centre de gravité si nouveau qu'il en crée des formes à la fois géométriques et étranges, inspirées par cette recherche du flux continu qui anima Trisha Brown.

La première pièce, In the fall, créée par Noé Soulier, explore les phases ascendantes et descendantes de la chute, par des figures en équilibre qui tiennent la pose avec grâce, non sans rappeler les différentes attitudes emblématiques des danseurs de Roof Piece de Trisha Brown, qui avait proposé en 1971 une chorégraphie en écho de mouvements sur les toits de New-York. Les costumes fluides des huit danseurs de la Trisha Brown Company, aux couleurs primaires, rappellent l'unité de rouge de Roof piece, ses poses statufiées et ses mises en mouvement répétitives qui s'enchaînent avec une fluidité élastique. Le phrasé est extensivité, émotivité contenue puis relâchée, c'est une grande respiration collective qui se déhanche ou se fige, laissant place à la volupté poétique qui s'immisce entre les interstices des lignes de force.

S'en suit Working title de Trisha Brown qui propose une explosion d'accumulation de mouvements et de courses jubilatoires, multipliant les trajectoires des huit danseurs aux costumes bariolés, en patchwork de motifs années 70, tels des éclosions de fleurs en accéléré. Les jetés de bras ou de jambes qui se figent et se balancent, ainsi que les sautillés tracent un réseau d'énergie intense sur la musique envoûtante de Peter Zummo. Trisha Brown disait s'être inspirée des « courses folles » dans la forêt dans son enfance. Il s'agit, poursuivait-elle, de « compositions asymétriques et imprévisibles qui se déplacent ».

Enfin For M.G : The Movie est un hommage puissant à Michel Guy qui fonda le Festival d'Automne en 1972, à travers une évocation de l'éternité deux danseurs restent immobiles de dos, tels des arbres, tandis qu'un autre entame une course effrénée comme désorienté par l'étroitesse de la scène et que d'autres figures cherchent leur centre de gravité, en se liant et déliant, sur une musique d'Alvin Curran, qui donne à entendre des bruits de rue, de vent, d'enfants qui pleurent, de poulie qui grincent. Les corps sont moulés dans des bodies orangés, la couleur de l'automne, donnant à voir la tension de chaque muscle qu'il soit figé ou en mouvement.

Un triple programme à voir en région parisienne dans le cadre du Festival d'Automne jusqu'au 16 décembre.

Crédits photographiques : Trisha Brown Dance Company © Sandy Korzekwa, © D. Perrin © Julieta Cervantes